Ça fait deux jours qu'il pleut. Deux jours qu'Haru repousse le moment de sortir de chez lui, en se perdant dans la contemplation du ciel grisonnant et pleurant à chaudes larmes sur Tokyo. Deux jours qu'il hésite à repartir pour Kyoto, dans son deuxième appartement. Avoir deux appartements, c'est quand même le grand luxe. Ce n'est pas l'argent qui lui manque maintenant qu'il trempe dans des affaires louches. Il y met même du sien, régulièrement, et récupère une partie des paris à chaque combat clandestin mené. Avec son énergie occulte, c'est trop simple de gagner. Maintenant, les gens se pressent pour le voir combattre. On attend l'adversaire qui le fera tomber. De temps en temps, Haru se laisse battre, feint la difficulté. C'est bon pour les affaires.

La sonnerie de son téléphone reprenant un des génériques emblématiques d'un anime très connu retentit dans son salon. Il laisse son regard dériver du gris du ciel à la table basse où repose son portable. D'un pas trainant, il s'y dirige et décroche. C'est des ordres d'en haut. La conversation est courte et rapide. Il y a apparemment des choses intéressantes à voir à Shinjuku. Eh bien... Allons donc les voir.
Haru attrape une chemise blanche et l'enfile, passe rapidement un coup de main dans ses cheveux, parfume son col puis met sa veste en cuir. Enfin, il s'équipe de son fidèle casque bluetooth et de son parapluie et le voici parti, après avoir bien pris soin de fermer à clé son appartement.
Son chat dormant, il ne l'a pas dérangé pour lui dire au revoir.

Le chemin vers le métro se fait dans le calme, musique dans les oreilles. Il ne pleut pas trop, mais suffisamment pour déployer son parapluie en cloche et transparent. C'est quand même pratique pour regarder autour de soi.
Haru dévale les escaliers du métro et s'insère dans la rame. Il se colle dans un coin et en attendant que le temps passe, glisse ses yeux vermeils sur les gens autour, d'un air absent. Dans son casque résonne de la k-pop. Il triture vaguement les colliers à son cou, argents.

Après un ou deux changements, il sort à l'air libre de Shinjuku. Alors, qu'y a t-il de si intéressant par ici ? L'Ordre ne le ferait pas déplacer pour rien, il y a forcément quelque chose. Fléau dangereux ou exorciste isolé. La propagande est quelque chose d'importante dans l'agrandissement du groupe. Ils doivent sans cesse recruter des nouveaux exorcistes, les rallier à leur cause. Haru pense que c'est pas plus mal.

Alors qu'il traîne devant une vitrine de vêtements, la pluie se fait plus intense. L'envie est grande de se réfugier dans un café. Et pourquoi pas après tout ? Haru presse le pas, murmure dans sa langue natale les paroles de "Ready for love - Seventeen" alors que l'eau inonde son parapluie et que bientôt à chaque pas il marche dans une flaque. Heureusement qu'il a mis ses bottines.
Haru passe devant une ruelle et par le plus grand des hasards y jette un coup d'œil. Grand bien lui fasse puisqu'il assiste à l'exorcisme d'un fléau dans l'obscurité du bout de la rue, entre deux poubelles. Il arque un sourcil, s'engage sans hésitation dans le couloir étroit.

Il y a là une gamine, pas plus de 18 ans et encore. Une jeune exorciste, et en apprentissage, devine t-il aisément au fait qu'elle n'ait pas levé de rideau pour protéger son acte de la vue des singes. Un pari risqué, mais finalement avec la pluie, personne n'a prêté attention à cette petite rue esseulée. Haru fait glisser son casque sur sa nuque, la musique se joue toujours mais il l'entend à peine maintenant, avec le fracas de l'eau sur le sol.

« C'était bien joué, mais peut-être pas assez discret. » lâche t-il à l'attention de l'adolescente en tirant une clope de son paquet du bout des dents.

Tenant son parapluie dans le creux d'une aisselle, il l'allume en la protégeant de l'humidité d'une main, puis reprend le parapluie et tire profondément sur la cigarette. Ses poumons se gonflent à bloc, à mesure que son torse se déploie. Haru souffle longuement la fumée, son regard s'évadant au-dessus de leur tête, sur le gris du ciel qui décidément ne veut pas s'arrêter de chialer.

Haru repose son regard sur la jeune fille, alors qu'il tire de nouveau sur la cigarette qu'il tient entre ses doigts. La pluie tombe toujours sur eux, avec douceur, mais suffisamment pour la tremper. Ses cheveux ruissellent, collés à son visage. Elle a les traits cernés et tirés, elle ne doit pas beaucoup dormir, ou bien trop, ou mal.
Elle ne semble pas tant choquée par sa présence, lui répond vaguement d'un "Meh" auquel il cille quelque peu, lui indique faire mieux la prochaine fois. Son uniforme ne permet aucun doute : elle est étudiante exorciste. Il se demande de quelle école, se perd un instant dans ses souvenirs de ses propres études, avant que tout ne bascule lentement dans les méandres de la noirceur de son cœur.

Haru s'approche d'elle, suffisamment pour la couvrir de son parapluie. Il se tient maintenant juste devant elle, son regard coulant sur son visage. La question qu'elle lui pose lui fait relever un sourcil. N'est-ce pas évident qu'il puisse voir les fléaux tout comme elle ? Après tout, il vient de faire un commentaire sur le bref combat qu'elle vient de mener.
Haru souffle sa fumée, juste au-dessus de la tête de l'ado, pour ne pas l'intoxiquer.

« T'es du genre à savoir quel crayon de couleur à le meilleur goût, dis-moi. » lâche t-il d'un ton complètement sarcastique et détaché, ses yeux vermeils plantés dans ceux de la jeune exorciste.

Une petite pique. Il n'est même pas certain qu'elle va la comprendre. Haru tire de nouveau sur sa clope, puis l'écrase contre le mur le plus proche en recrachant la fumée pleine de toxines. Il jette son regard sur l'ado, engage une conversation qu'il n'a, d'avance, pas envie de mener.
Mais l'Ordre Occulte a besoin de sang neuf. Il n'est cependant pas encore certain d'avoir tiré le gros lot aujourd'hui...

« Tokyo ou Kyoto ? » demande t-il, simplement.

A sa pique sarcastique et moqueuse, elle ne répond rien. Haru, en l'observant, ne sait dire si c'est parce que ça lui coule dessus comme les gouttes de pluie, ou si c'est parce qu'elle a vraiment un retard mental. Son regard détaille plus avant la silhouette de l'adolescente, cherche à en percer les mystères, mais il doit se rendre à l'évidence : il n'est pas omniscient, et ne peut s'appuyer que sur ses observations. Il ne peut pas lire en elle, ni à travers elle. C'est indécent, et si quelqu'un est capable de faire ça dans le monde, Haru préfère mourir que de se laisser disséquer de la sorte.

Ses yeux aux sursauts de rouge tombant sur elle, il attend qu'elle daigne piper un mot. Un léger son parvient à ses oreilles, alors qu'il lui semble voir sur le visage de la jeune femme un retour à la réalité plutôt doux. Elle a l'air de vraiment planer. Est-ce qu'elle est sous l'emprise de stupéfiants ? Haru se demande.

Elle prend le temps de la réflexion, un long moment de silence qu'elle impose entre eux. Haru s'impatiente, il n'a jamais été très bon à attendre. La petite exorciste lâche finalement une réponse brève et efficace. Tout ça pour ça... ?
A l'évocation du lycée où il a passé sa jeunesse, Haru lève les yeux sur le ciel qu'il peut voir gris
à travers le plastique transparent de son parapluie. Ah... L'école de Tokyo... De lointains souvenirs lui reviennent, mais il les balaie avec rancoeur et, tout de même, un peu de mélancolie.

Haru pose de nouveau ses yeux sur l'apprentie en face de lui. Elle est donc toute fraîche, et peut-être n'a t-elle pas encore vu d'horreurs. Ou peut-être que si. Il ne sait pas trop, avec son air ailleurs.
Haru a un léger tic d'agacement à son sourcil. Il ne sait pas trop par où commencer avec elle.

« T'es un bébé, du coup. » lui lâche t-il, à l'évocation de sa première année d'étude.

Il se dit que peut-être s'il continue de lui envoyer des piques, elle finira par se réveiller. Il ne sait pas. Il tente le coup. Après tout, pourquoi pas ?
Haru joue avec son briquet dans sa poche.

« Moi aussi, j'ai étudié à l'école de Tokyo. »

Pas une information capitale à son sujet, mais ça leur fait déjà un point commun. Un point sur lequel il pourra s'appuyer pour l'amener, délicatement, sur le même chemin que lui.

Une petite moue apparait sur le visage de la jeune exorciste, faisant légèrement hausser un sourcil au mercenaire de l'Ordre Occulte. Elle lui dit de revêche avoir déjà quelques missions à son actif, lui tirant un léger sourire d'amusement. Dans les yeux du blond vogue très rapidement un éclat de mélancolie affective envers des souvenirs égarés du temps où il étudiait lui aussi. Du temps où, avec ses camarades, ils bravaient leurs premiers fléaux. Avant qu'il n'en perde un. Puis deux. Puis tant d'autres.

Haru penche quelque peu sa tête en avant vers elle, lorsqu'elle avoue une bribe de son passé. Il ne pipe pas grand mot de ce qu'elle dit, mais quelque part, cette phrase provoque un déjà-vu chez lui. Mmh, sensation étrange de passer à côté de quelque chose d'évident.
Haru doit creuser.

« Ah, oui...? » lance t-il dans un rictus lui aussi, presque provocateur.

Elle n'a pas l'air d'apprécier être prise de haut, autant jouer là-dessus pour la pousser à parler d'elle-même. Que peut-elle lui dévoiler sur elle, sans qu'il n'ait à lui poser de question ? Jusqu'où peut-elle aller, devant un parfait inconnu ?

« T'as pas l'air très dégourdie pourtant. »

Pique gratuite, perche tendue. Titillement et taquinerie, tentative de déstabilisation, entre foutage de gueule et malice.

Haru est assez amusé par l'attitude de l'adolescente. Elle a cet air à la fois complètement détaché mais ses mimiques d'agacement à chaque pique qu'il lui envoie. Un sourcil se hausse alors qu'elle annonce toute fière, son nom prénom et ses hauts faits, comme pour tenter de l'impressionner. La situation est un peu ridicule, lui si grand devant elle, qui le fixe d'un œil où pointe une lueur d'énervement mais bien camouflée derrière ses cernes énormes.

Elle frissonne sous le parapluie, comme elle porte des vêtements trempés. Haru se fend d'un léger sourire et se penche vers elle, son visage à quelques centimètres du sien.

« Fais attention, Mochizuki Sayuki, tu risquerais presque de me faire peur. » la charrie t-il encore, son regard vermeil se plantant dans celui fatigué de l'adolescente.

Haru se redresse, le parapluie légèrement secoué dans le creux de son épaule fait tomber autour d'eux un cercle de gouttelettes qui se perd dans celles que les nuages gris bien au-dessus dans le ciel font tomber encore.
Sayuki commence à frotter ses bras pour se réchauffer un peu.

Sayuki.
Sa.
Yu.
Ki.

...

Ses yeux s'écarquillent un peu devant le souvenir qui lui revient à l'esprit. Sa mémoire se réveille enfin et Haru la pointe du doigt, soudain.

« Eh mais t'es la petite que j'ai sauvé sur le toit de chez toi, là ! Y'a... dix ans quelque chose comme ça ? » s'écrie t-il, la voix empreinte d'une certaine excitation.

Ah voilà, il vient de mettre le doigt sur l'évidence qui lui manquait jusque là. Cette sensation de passer à côté de quelque chose, c'était ça. Haru se fend d'un nouveau sourire, plus franc cette fois.

« Alors, t'as plongé dans le monde occulte, toi aussi, finalement. »

La phrase est douce amère dans sa bouche. Si elle n'a pas l'air encore traumatisée, il sait que dans les années à venir, elle finira par l'être. Ou bien par mourir. Trop jeune encore. Ah... Si les fléaux n'existaient pas, ils n'auraient pas à mettre en danger leur jeunesse. Et pour ça, le plus logique, le plus simple, c'est d'attaquer à la source.
Tout ça est clair comme de l'eau de roche dans l'esprit d'Haru, qui s'accroche aux idéaux de l'ordre occulte comme une ultime raison de rester en vie.

Sayuki, elle est toute jeune encore. Elle a dit être en première année. C'est une fleur qui n'a pas encore éclot, et peut-être sera t-elle piétiné avant de l'être. On n'a pas idée d'envoyer des adolescents à la mort, au combat. Tout ça... ça l'énerve profondément.
Mais Haru garde ses réflexions pour lui et affiche plutôt un léger sourire, plus détendu à présent.

Les souvenirs de sa rencontre avec la gamine qu'elle était à l'époque lui reviennent en tête.

Le sourire du coréen s'agrandit un peu lorsqu'il voit les yeux de la petite s'écarquiller. Alors elle le remet, elle aussi ? Il ne sait pas quel âge elle avait quand ils se sont rencontrés la première fois il y a une dizaine d'années. La possibilité qu'elle n'en ait gardé aucun souvenir n'est pas à ignorer mais à la vue de sa réaction, elle se souvient elle aussi visiblement.

Cette nuit-là, Haru rentrait d'une mission dans un quartier voisin et il était juste tombé par chance sur sa maison lorsqu'elle se faisait attaquer par un fléau assez costaud. A l'époque, il était encore étudiant mais n'avait déjà pas froid aux yeux. Il prenait sa tâche très au sérieux, convaincu qu'exorciser les fléaux étaient une bonne chose. Aujourd'hui, il en est toujours convaincu mais ses idéaux ont largement évolué avec les années et les expériences morbides vécues. Dans le cas contraire, il serait encore sûrement un exorciste compté parmi les rangs de l'école de Tokyo. Cette nuit-là, il l'avait rattrapée avant qu'elle ne s'envole dans les cieux à cause de son sort inné tout juste éveillé. Après avoir exorcisé le monstre qui hantait sa maison, ils avaient un peu discuté sur le toit. Il ne l'aurait pas laissé sans la rassurer : lui-même avait dû gérer l'apparition de son sort inné seul, et le plongeon dans le monde occulte, jusqu'à finir par trouver la voie de l'école.
Sayuki aurait pu prendre ça pour un rêve après tout, mais visiblement, elle en a fait sa réalité.

Haru ne sait pas trop comment prendre les mots qu'elle lui dit. Elle l'a pris pour modèle alors ? Quelque part, le remord et la culpabilité le frappent : il aurait voulu qu'elle ne rentre jamais dans le monde occulte. Qu'elle ne cultive pas son don, qu'elle vive une vie normale avec ses parents, parmi tous les autres.
Mais elle est là, devant lui, en uniforme, déjà en train d'exorciser des fléaux alors qu'elle n'est qu'en première année. Haru glisse ses yeux ailleurs, peu à l'aise à l'idée qu'elle l'ait suivie sur une pente si dangereuse. Peu à l'aise à l'idée de ce qu'il doit faire ensuite. Mais il le doit.

Les yeux aux éclats de rouge tombent de nouveau sur l'adolescente.

« Si je t'avais vraiment sauvée, tu porterais pas cet uniforme. » répond t-il finalement.

Un sourire léger étire ses lèvres alors qu'il pose sa main sur l'épaule fragile de la jeune fille. Ses doigts la pressent quelque peu, et il la fixe un instant, peu certain du chemin qu'il commence à emprunter avec elle.
Mais il le doit.

« Le combat des exorcistes est vain. » Il la lâche et se rallume une clope en marmonnant. « C'pour ça que j'me suis barré, moi. »

Il inspire puis souffle. La fumée s'échappe de sa bouche et de son nez alors qu'il l'expire de côté pour ne pas gêner Sayuki. Son regard divague sur la pluie qui frappe encore son parapluie transparent.

Tout va bien, demande t-elle de sa petite voix traînante.
Est-ce que tout va bien, Haru ?
Est-ce qu'un jour seulement, tout est allé bien...?

Sayuki reste perplexe devant ses mots, et le coréen sait exactement ce qu'il se passe dans sa tête. Elle ne veut pas le croire, elle n'arrive pas à procéder à l'information qu'il lui a donné. L'incompréhension plie ses traits jeunes et sans aucune ride, si ce n'est les cernes profonds qui marquent le dessous de ses yeux. Haru la fixe en silence, la laisse appréhender ses mots et leurs conséquences, lui laisse tirer ses propres conclusions.

Il faut la brusquer assez, mais pas trop non plus. Il ne faudrait pas l'effrayer. Quand bien même, il s'agit surtout de planter des graines dans son esprit. Il ne s'attend pas à ce qu'elle le suive ici et maintenant. Les recrutements sont parfois longs et complexes. Haru en sait quelque chose. Approché quelques mois avant son craquage, il avait eu le temps de réfléchir avant de se tourner vers l'Ordre Occulte, à l'époque.

Elle cligne des yeux, demande des explications, et le regard du mercenaire s'adoucit quelque peu devant l'innocence dont elle fait preuve. Elle n'a sûrement jamais vécu encore la mort d'un camarade. Son pouce glisse sur l'épaule fragile de la gamine devant lui, dans une légère caresse avant qu'il ne retire sa main pour tirer de nouveau sur sa cigarette, soufflant la fumée.

« Non, Sayuki... Je t'ai condamné. » lui répond t-il, avec douceur. « Le monde occulte est sombre et froid. Il est plus cruel encore que celui des non-exorcistes et nous, tu sais, nous on est pris dans ce putain de cycle infini. A exorciser, mourir, exorciser, mourir, exorciser, mourir... »

Sa voix se perd alors qu'il fait un geste circulaire de la main pour imager ses paroles. Un léger coup d'un doigt, habile et habitué, sur sa clope et la cendre en tombe sur le sol, non loin d'eux. Haru prend garde à ne pas intoxiquer, brûler ou souffler sur l'adolescente. Pour autant, il lui souffle quand même un autre poison, dans ses mots.

« J'aurais espéré que tu taises ton sort et que tu vives une vie... normale. » Il esquisse un sourire et son regard rougeoyant cille quelque peu. « Mais te voilà. »

Encore préservée d'horreurs, si ce n'est rencontrer des fléaux tous les jours. Haru écrase le reste de sa cigarette contre le mur. Il s'est arrêté de pleuvoir. Il replie son parapluie, les gouttes tombent en un éclat tendre sur le sol. Le ciel est toujours grisonnant. Son cœur l'est tout autant.
Il offre un sourire plus franc à Sayuki.

« Je t'offre à manger, gamine ? »

A tout ça, Sayuki ne répond rien. Elle se contente de l'observer de ses grands yeux cernés, et dans son visage qui crie à un manque de sommeil flagrant. Ils ont au moins ça en commun. Si Haru dort beaucoup, son sommeil est loin d'être réparateur. Depuis longtemps, à chaque fois qu'il tombe dans les bras de Morphée, c'est pour un nouveau duel sous le couvert de ses paupières. Il se bat contre un ennemi invisible, qui pourtant est toujours à l'affût de la moindre faille, de la moindre faiblesse, du moins signe de vulnérabilité de sa part. Son adversaire est de taille, il a du pouvoir. Il fait pleuvoir un orage au-dessus de lui, qui n'a même pas de rassurant l'odeur de la pluie. Il n'a, pour ainsi dire, qu'un voile obscur et insidieux, qu'il jette sur Haru. Haru qui lutte. Tous les jours. Tous les matins. A chaque fois qu'il doit se lever, un lendemain. Il est épuisé.

Le coréen darde ses yeux sur l'adolescente alors qu'elle éternue. Il n'a pas de veste à lui prêter, mais il se dit qu'il devrait l'emmener dans un lieu chaud pour éviter qu'elle n'attrape vraiment froid et qu'elle ne tombe malade. Elle pourrait faire sécher sa veste au moins, et ses longs cheveux parme, dont il a reconnu l'essence synthétique.
Elle accepte son invitation et il s'engage vers des rues plus empruntés, plus vivantes, bien qu'autour de lui, tout reste gris et sans saveur. S'ils croisent des gens, Haru ne les voit pas, n'y prête pas attention. Il est parmi eux comme un fantôme, s'il est présent, il est pourtant invisible.

« Il y a forcément des trucs dans le coin. On va trouver. » Tokyo regorge de petits restaurants, qui s'ils ne payent pas de mine, sont pourtant parfois des petites pépites au bon rapport qualité prix.

Ils s'arrêtent à un feu rouge, et Haru est distrait par le passage d'une publicité sur grand écran d'un building. Jusqu'à ce que la gamine l'interpelle. Les yeux du mercenaire se posent sur son visage, devant lui, et il n'empêche pas le fin sourire d'étirer ses lèvres devant son attitude quelque peu joviale. Qu'il est bon d'être jeune, après tout.

« Tu peux m'appeler Haru. » lui répondit-il d'un ton doux.

S'il a plutôt l'image d'une grosse brute sans coeur et sauvage, lorsqu'il combat, dans la vie de tous les jours le hafu est plutôt un homme simple et paisible. Malgré un caractère ferme et parfois susceptible, on est pourtant loin de sa rage sur le terrain, lorsqu'il enfonce son poing couvert d'obsidienne noire dans la mâchoire d'un adversaire.
Haru traverse lorsque le feu passe au vert. Il n'est pas très bavard, de base. Il mène la marche silencieusement, ne sait pas vraiment quelles questions il peut poser à Sayuki. Il s'arrête devant un petit restaurant de brochettes et jette ses yeux sur elle.

« Ici, ça te dit ? » demande t-il, avant de la fixer quelque peu. « Au moins, tu seras au chaud. Tu trembles comme une feuille. »

Haru rentre à l'intérieur et s'installe à une petite table libre bien au fond du restaurant. Il croise le bras devant son torse, s'appuie sur le dossier de sa chaise. Son regard s'accroche au visage de l'adolescente. Il lui faut pourtant faire la conversation. L'effort lui coûte, mais il le fait.

« Et tu te plais, dans ce que tu fais au moins ? »

Bon, bah c'est loupé, elle a déjà pris froid. Alors il ne faut plus que compter sur un bon repas pour éviter qu'elle ne tombe vraiment malade. Elle est habillée d'une manière trop légère pour l'hiver. Elle aurait aussi pu faire un effort de ce côté. Au moins mettre un pull sous son uniforme de lycéenne de l'école de Tokyo.
Mais bon, il est pas son père donc il ne dit rien.

Elle se mouche bruyamment avant de lui répondre, et pendant ce temps, lui il regarde le menu. Il y a plusieurs choix de brochettes qui l'intéressent, et évidemment, son intérêt se porte plutôt sur celles qui sont épicées. Tout coréen qui se respecte apprécie tout ce qui est pimenté, et goûtu tout en même temps. Haru ne fait pas exception. Il tend ensuite le menu à Sayuki, en écoutant la réponse de la jeune fille, ses yeux rougeoyants se vissant sur son visage.

Elle dit que ça lui plait, d'être exorciste. Elle doit prendre ça comme un jeu, elle dit ne pas avoir rencontré de problème jusque là. Haru sait les problèmes que les exorcistes rencontrent, et il sait que la première fois qu'elle perdra un camarade, elle remettra tout en question ou elle se jettera corps et âme dans la lutte contre les fléaux, comme il l'avait fait à l'époque.
Elle n'a pas encore eu de grosse blessure qu'on a du rafistoler, elle n'a pas vécu l'enfer sur terre dans une mission se révélant trop dangereuse pour elle. Parfois, ils manquent tellement d'effectifs qu'ils sont obligés d'envoyer les trop jeunes au casse-pipe. Haru s'est reculé contre le dossier de sa chaise.

Elle lui retourne la question, se fait curieuse des raisons qui l'ont poussées à arrêter d'être un exorciste et se tourner vers une voie plus solitaire et indépendante. Elle n'a encore aucune idée qu'il est considéré comme un renégat, un maître des fléaux pour utiliser le bon jargon. Il n'est pas certain que lui dire la vérité le servira à l'instant présent. Alors il laisse plutôt planer le flou.

« Je me suis lassé. » un demi-mensonge qu'il lui lâche d'un ton désintéressé, balayant le sujet d'un geste de la main.

Le serveur vient prendre leur commande, et Haru se décide sur trois plats. Il jette son regard sur Sayuki.

« Prends ce que tu veux, je t'invite. Et mange à ta faim. Faut te nourrir à ton âge, pas la peine de faire de chichi sur le prix. » La fin de sa phrase est presque grognée, l'intonation est typiquement coréenne, un peu brute et bourrue.

De nouveau seuls, Haru cherche à continuer la conversation. Il n'est pas à l'aise en social, et il sait qu'il est plutôt maladroit quant il s'agit d'être délicat. L'effort n'est pas naturel et lui coûte, même s'il le cache tant bien que mal. Il joue avec son briquet sur la table, pour évacuer son malaise.

« Et t'as commencé quand, du coup ? » demande t-il pour s'intéresser encore à elle. « Ça a l'air tout frais. Même si tu exorcises déjà des petits fléaux toute seule. »

Elle peut le prendre comme un compliment. C'en est un, à demi-mot assumé.

Dans l'attente de leur repas, il y a un léger malaise entre eux, témoin de leur maladresse. Haru n'a jamais été réputé pour savoir se comporter socialement avec les autres, et il ne sait jamais trop quoi dire. L'adolescente laisse couler le sujet à son propos dans les abîmes de leur conversation. C'est une sage décision : le coréen se serait sûrement montré peu prompt à continuer dans cette voie, fermé comme une huître d'un claquement trop fort et trop abrupt.

Pour autant, s'il lui est difficile de faire la discussion, Haru l'observe. Tout dans son attitude dénote d'un manque de confiance : elle est visiblement impressionnée par sa présence mais après tout, ce n'est qu'une ado. Quinze, seize ans à peine. Même pas aux prémices de sa vingtaine. Si jeune, et déjà aux charbons, à devoir exorciser des fléaux en mettant sa vie en danger.
Si ça n'a pas été le cas encore, elle le sera forcément un jour : traumatisée.
Ils sont tous passés par là.

Elle lui répond que ça fait plus ou moins un an, qu'elle chasse le fléau. Première année, et déjà sur le terrain, c'est pas joli à voir. Les effectifs de l'ordre occulte sont dans le rouge mais pour envoyer une si jeune personne au front, chez les exorcistes c'est visiblement la même.

« Mmh. » ponctue t-il la réponse de l'ado.

Et le silence retombe entre eux. Haru laisse son regard dériver ailleurs, peu à l'aise dans cette situation, même si son expression taciturne n'en montre pas grand chose. Heureusement pour eux, les plats arrivent tous en même temps. Ils sont rapides ici.
Le coréen se rend compte à la vue de la nourriture qu'il a vraiment faim. Dardant ses prunelles sur le visage de l'ado qui s'est cachée derrière son haut, il murmure un "Bon appétit" poli et entame une de ses brochettes. Haru en bon coréen qui se respecte a commandé épicé.
Mâchant le morceau de porc rouge de piment distraitement mais avec force, le mercenaire observe la petite faire de même avec ses plats, s'assurant de son appétit dans le silence.