Le jour s'était levé sur l'école d'exorcisme de Tokyo, apportant avec lui la promesse d'un ciel dégagé, bien que quelques nuages blancs voyageaient dans son bleu d'azur, portés par un vent trop haut pour se faire ressentir bien plus bas. Le froid était pourtant intense et l'herbe de la pelouse du terrain de sport avait gelé durant la nuit, si bien que lorsqu'elle s'y glissa, les brins verts étaient encore recouverts d'une fine couche glacée.

Son fléau bien au chaud dans sa veste, au plus près de son corps, le diamant des Umino apprécia la vue dégagé et le calme environnant. Un matin paisible. Quelques oiseaux sifflaient gaiement, alors que de la buée s'échappait de ses lèvres tandis qu'elle soufflait un air chaud, vidant l'entièreté de ses poumons. Les yeux clos, la demoiselle s'étira longuement et réchauffa son corps de quelques échauffements articulaires.

Cela ne faisait pas longtemps qu'elle avait posé ses valises à l'école de Tokyo, une semaine tout au plus. On lui avait précisé avoir un seul camarade dans sa promo, mais il était en déplacement lorsqu'elle était arrivée. Pas que cela l'ait gênée. Elle s'en fichait complètement, en fait. L'idée d'avoir à faire à quelqu'un d'autre la rebutait quelque peu. Surtout qu'ils allaient se voir souvent, finalement. Un léger froncement de sourcils accentua son expression naturellement froide, alors qu'elle mouvait son épaule droite en cercle inversée. Elle se demandait à quel point cette nouvelle personne allait la ralentir. Faire équipe, ce n'était vraiment pas ce qu'elle préférait. Mais si elle pouvait l'utiliser pour devenir plus forte encore, pourquoi pas.

Kasca dézippa sa veste et la laissa sur les escaliers avant de retourner dans l'herbe. Le soleil commençait à réchauffer le sol, et faire fondre le gel. L'herbe était trempée et glissante, l'occasion idéale de s'entrainer sur un terrain un peu désavantageux. Ses cheveux blancs sursautèrent lorsqu'elle fit quelques sauts, histoire de monter un peu son cardio et réchauffer définitivement son corps. Le serpent-dragon se maintenait enroulé autour d'elle, glissant ses écailles chromatiques contre sa peau. Lui n'aimait pas du tout le froid, aussi se plaisait-il à resserrer son étreinte sur l'humaine pour profiter au maximum de sa chaleur grandissante.

L'Umino commença lentement à ressentir son énergie occulte, se concentrant intensément pour la sentir filer dans chacun de ses muscles, de la pointe de ses pieds jusqu'à chacune des mèches de ses cheveux immaculés où se reflétaient quelques rayons d'un soleil hivernal. Elle tendit sa main devant elle, yeux fermés, son fléau glissant lentement contre sa nuque et laissant les poils fournis de son extrémité caresser le poignée de l'exorciste, alors qu'il refermait sur son bras son étreinte. Lorsque Kasca ouvrit les yeux, le bout de ses doigts étaient tâchés de l'encre particulière avec laquelle elle pouvait peindre dans l'espace.
En totale maîtrise de son énergie occulte et après avoir longuement pris le temps d'être en pleine conscience de celle-ci, Kasca pouvait dès à présent s'entrainer à peindre à distance.

Peindre dans l'espace était un exercice extrêmement difficile. Elle devait sans cesse penser aux proportions, aux dimensions. Réaliser des objets proches d'elle, à la bonne taille, c'était assez facile. Mais plus elle peignait loin, plus elle avait tendance à les faire soit trop grands, soit trop petits. Kasca souffla, se focalisant sur l'encre et ce qu'elle désirait peindre. Visualiser l'objet à bonne distance, sa taille, les traits.
Annoncer son dessin l'aidait à mieux les peindre, surtout lorsqu'elle s'essayait à un exercice qu'elle ne maîtrisait pas encore. Kasca, souvent, restait silencieuse, mais appeler l'objet l'aidait à mieux le visualiser. C'était un peu un mind-trick envers son cerveau.

« Chaise. »

Sa voix claqua dans le silence du stade, alors que bout de ses doigts elle traçait des traits à distance. Le meuble, tout de noir fait, et de cette matière un peu luisante qu'est l'encre, apparut un plus loin et dès qu'elle eut fini de le peindre, tomba sur le sol sans bruit. Kasca s'approcha. Cette fois, elle avait surestimé la distance et peint une chaise bien trop grande. Enfin... Elle pouvait toujours se hisser dessus, mais à la base, ce n'était clairement pas ce qu'elle voulait faire.
Son regard cilla quelque peu alors que d'un geste, elle fit disparaitre l'objet inanimé qui se transforma en fumée noire, sans laisser de trace.

Kasca se concentra de nouveau. Elle allait peindre de nouveau, le bras tendu, lorsqu'une voix l'interpella. Son regard glacé vint se poser sur deux silhouettes. Deux hommes, l'un déjà rencontré comme il l'avait accueilli à son arrivée ici après son transfert de l'école de Kyoto à celle de Tokyo. Il s'agissait du professeur Youki Tooka, un homme brutal mais pas dénué de sourire, au contraire de Kasca qui les fixait sans autre émotion sur son visage qu'un froncement léger de ses sourcils.
L'autre lui était inconnu, mais aux traits de son visage, elle devina aisément qu'il s'agissait de son camarade de promotion. Relevant quelque peu son menton, elle le détailla, laissant glisser ses précieuses d'un bleu de glace de haut en bas. Il avait l'air fort, physiquement parlant, bien plus musculeux qu'elle ne l'était puisqu'elle était au contraire, très fine et sèche. Assez grand, peut-être un peu plus que la moyenne, en tout cas plus que Kasca. Des cheveux de jais qu'elle devinait attachés à l'arrière de son crâne et une mèche d'un bleu clair laissée libre pour encadrer son visage. Si son style vestimentaire n'avait rien de vraiment particulier à première vue, elle ne put passer à côté du fait qu'il portait avec lui une énorme faux. Doucement, l'expression de l'Umino se raffermit. Il arborait en plus un léger sourire détaché, qui la saoulait déjà. Kasca le fixait, impassiblement fermée et glacée. Il n'avait pas l'air d'un petit calibre.
Quand bien même, elle le surpasserait sûrement.

« Umino Kasca, voici ton camarade de classe : Sato Daisuke. » annonça le professeur en pointant du doigt l'autre roublard.
« Sato, mmh... ? » siffla t-elle entre ses dents, le regard posé sur le visage de ce Daisuke.

Kasca releva encore légèrement son menton, comme l'un de ses sourcils. Elle connaissait cette famille d'exorcistes. Elle avait passé beaucoup de temps à lire et à apprendre, comme elle passait beaucoup de temps seule. Si elle ne s'entrainait pas, elle s'instruisait, ou elle peignait pour parfaire ses gestes. Le serpent-dragon glissa sa tête contre son oreille, soulevant la plus longue mèche de cheveux blancs qui encadraient son visage, ronronnant près d'elle alors qu'il dardait ses prunelles translucides où se reflétaient milles couleurs sur les deux hommes.
Kasca ne répondit rien, se contentant de fixer celui qui sera à présent son collègue.

« Eh bien... » tenta de briser Youki-sensei, alors que le silence devenait légèrement pesant voire limite tendu, Kasca n'aidant certainement pas du tout.

L'homme trentenaire s'éclaircit la gorge, jetant un coup d'oeil furtif aux deux jeunes.

« Je vous propose un simple entrainement, un petit échauffement pour faire connaissance. Quoi de mieux après tout pour apprendre à se connaître qu'un petit combat amical, mmh ? Et puis, je veux voir de quoi vous êtes capables, tous les deux. » dit-il sur un ton léger, alors qu'il posait sa main sur l'épaule de ce Daisuke.

Kasca regarda une nouvelle fois ce dernier, l'analysant abominablement alors qu'elle dardait ses prunelles de haut en bas, encore. Oui, un combat, après tout pourquoi pas. Histoire de voir de quelle trempe était ce Sato. De quelle trempe était sa famille. Kasca ne s'y intéressait guère, c'était après tout une famille mineure parmi les exorcistes. Elle était une Umino.
Mais... Elle était tout de même au moins curieuse de voir le sort inné "Noble Truth" en action. Elle en avait vaguement entendu parler, mais les écrits plus poussés à ce sujet étaient conservés dans le monastère Sato. Aussi n'avait-elle pas pu pousser ses recherches plus loin. C'était l'occasion rêvée pour le faire.

Sans un mot, Kasca s'éloigna un peu du duo et se mit en place plus loin, s'étirant de nouveau et réchauffant ses articulations. De la buée s'échappait de façon régulière de ses narines, suivant le rythme calme de sa respiration.
Elle planta ses prunelles sur son vis-à-vis, laissa son fléau reprendre sa place sur son bras et sortit sa dague, alors que le professeur donnait ses dernières recommandations.

« On évite les blessures graves ou mortelles, n'est-ce pas. Ce n'est qu'un duel amical. Le premier a toucher 3 fois l'autre remporte la manche. Duel en 3 manches. » annonça t-il alors qu'il levait son bras vers le ciel, pour donner le signal du départ.

Kasca se tendit, s'abaissant quelque peu sur ses jambes, ses pupilles se dilatant à l'appréhension et dans l'attente du combat.

« Ouais, on se détends, les affrontements, c'est le meilleur moyen de connaître une personne. »

Ah, vraiment ?
Kasca darda ses prunelles sur son vis-à-vis alors qu'il prenait place devant elle, analysant sa démarche nonchalante mais non moins déterminée et ferme, supposément qu'il devait avoir un assez bon contrôle et une certaine confiance en lui. Son expression détachée ne manqua pas non plus à l'étudiante de dernière année, qui se ferait un plaisir de la lui faire ravaler. Le regard fixé sur lui, elle le vit effectuer un geste appelant à la détente d'une paume de main les deux bras ouverts. Son sourire la tendait déjà, et autrement que de le prendre pour une expression neutre de la personnalité de Daisuke, elle fut intimement convaincue qu'il s'agissait là d'une provocation sans équivoque, à son égard.

Aussi, lorsqu'il se mit à son tour en position, Kasca s'abaissa plus avant sur ses genoux, les muscles bandés.

« Montre moi donc qui tu es, Kasca. »

Quelle arrogance.
Le temps sembla se suspendre un seul instant, la tension à son comble, avant que le coup de sifflet ne vienne briser le précaire équilibre de calme sur lequel ils se tenaient. Et tout explosa, d'un coup. Le Sato s'élança vers elle sans réfléchir : il était du genre téméraire. Kasca, elle, ne bougea pas, le laissant venir à elle alors qu'elle prenait plus ample appui sur sa jambe arrière, prête à sauter.
Elle vit l'immense faux se lever et alors qu'elle plaçait sa dague entre ses dents pour libérer sa deuxième main, la vit s'abattre à côté d'elle sans ciller. Il ne l'aurait pas visée, elle en était certaine : il n'y avait qu'elle pour faire ça. Ce Sato ne faisait pas exception au fait d'être un gentil petit élève, prompt à aider les autres et à les faire passer avant lui, avant l'objectif. Mais Kasca, elle, elle ne perdait jamais de vue son objectif.

Alors qu'il plongeait ses jambes vers l'avant en utilisant comme point d'appui son arme, le diamant des Umino plongea elle aussi en avant. Dans son saut, elle évita le coup de pied lancé par son adversaire, qui pivota de revêche pour envoyer une jambe de façon circulaire. Au même moment, ses doigts fins trouvèrent les épaules du Sato, et elle s'y hissa pour effectuer un poirier.

Lorsqu'elle passa par-dessus lui, son regard tomba dans le sien. Et si dans les yeux de Kasca s'animait un blizzard si froid qu'il en devenait brûlant, dans les yeux de Daisuke, c'était un feu au contraire bien plus ardent qui y dansait. De parfaits opposés, tant le glacier de l'Umino affrontait le brasier du Sato.
Elle se laissa retomber de l'autre côté de lui, tournant sur elle-même pour faire face au dos du jeune homme. Nul doute qu'il allait contre-attaquer, aussi se prépara t-elle en imaginant dans sa tête son prochain appui.

D'un geste limpide, simple et rapide, elle traça du bout de ses doigts peints un trait vertical à côté d'eux. Kasca sauta d'un pied, balançant sa jambe sur le trait dessiné dans l'espace pour y prendre appui de la deuxième et attaqua frontalement l'héritier des Sato d'un coup de main tendue. Elle avait conscience de leur écart en terme de force physique et de résistance. Elle ne risquerait pas de se fracasser le poing sur les muscles de l'étudiant en face, et préféra donc utiliser l'arête de sa main à cet effet.

Kasca était pleinement consciente qu'elle avait à faire à un adversaire des plus habiles et qu'il lui donnerait du fil à retordre. Quand bien même, elle gagnerait. Il ne pouvait en être autrement. Elle ne le prenait pas à la légère, mais au fond d'elle-même, se consumait la rage d'être au-dessus, le désir de l'humilier, de lui prouver qu'elle avait une bonne longueur d'avance sur lui et que, quoi qu'il essaye d'y faire, il n'arriverait jamais à la rattraper.
Elle briserait sa volonté contre la sienne. Elle le ferait plier. Elle le mettrait à genoux devant elle. Elle lui ferait ravaler sa fierté et son arrogance, contre les siennes, elles ne faisaient pas le poids. Elle effacerait son stupide sourire. Elle lui apprendrait, de force, au fer rouge, qu'il n'était qu'une poussière dans son univers.

A peine eut-elle décollé son pied de son trait d'encre qu'il explosa sous un nouveau coup circulaire de son vis-à-vis. "Rapide" intima l'éclat dans les yeux singuliers de la jeune exorciste. Heureusement pour elle, elle avait pu prendre son élan avant que son point d'appui ne disparaisse dans un jet d'encre volatile.
La deuxième surprise, ce fut la prise de risque du brun devant elle, qui au lieu de tenter une esquive, plongea tête la première contre l'arête de sa main. Kasca toucha, pour le coup et bien comme il faut. Mais vulnérable dans les airs, elle ne put rien faire quant à la suite. La prise de Daisuke se referma sur sa jambe et si elle eut une expression sévère, elle put clairement sentir le coup qu'il lui porta dans le ventre. Kasca n'était pas une combattante résistante, son poids plume avait toujours été un point fort comme un point faible. Si elle était rapide et agile, elle était d'autant plus fragile. Heureusement pour elle, il fut assez gentil et naïf pour la frapper du plat de la main et non du poing.

Elle se vit tomber, à travers le reflet dans les yeux bruns du Sato. L'impact sur le sol fut amorti par un arrondi du dos, et lestement elle s'engagea vers l'arrière pour se rétablir d'un salto... avant qu'il ne l'assaille d'un nouveau coup dans la jambe, stoppant net son mouvement. Kasca enragea intérieurement, et roula sur le côté, évitant une troisième attaque de justesse. Tout comme lui, elle se propulsa vers l'arrière, imposant une distance respectable entre eux.

Les yeux de tempête tombèrent sur Daisuke alors qu'il adoptait une position défensive, son énorme faux dans la main. Kasca souffla, s'abaissant de nouveau sur ses genoux. Dans son esprit, tout cavalait à fond et elle procédait aux traitements des informations récupérées et conclues pour cette première confrontation.
Si elle semblait avoir un temps d'avance sur lui en terme de rapidité et d'agilité, il le compensait aisément par sa force. Il n'avait rien d'un combattant comme Takeshi contre lequel Kasca s'était longtemps amusée à le faire tourner en bourrique en esquivant ses différentes armes, tant elle le surpassait en vitesse. Aussi acrobatique qu'elle, il semblait aussi utiliser tout ce qui se trouvait à sa disposition, son arme n'étant pas simplement là pour frapper mais aussi pour qu'il y prenne appui. Cette faux était un problème. Tant qu'il l'avait dans les mains, elle pouvait difficilement s'approcher, à moins qu'elle profite du fait de la longueur et de la dimension de la faux à son avantage. Il serait forcément plus lent dans ses mouvements et s'obligerait des attaques circulaires pour manier cette lame courbe. Kasca dardait ses prunelles sur lui, longuement, les sourcils froncés et les dents serrés. Pour la première fois depuis longtemps, elle ressentait le mordant de la difficulté.

L'Umino tourna la tête vers leur professeur qui l'observait avec un sourire narquois. C'était donc ça... Une colère sourde la gagna, et elle tut un juron, glissant sa jambe vers l'arrière sur l'herbe mouillée, prenant un meilleur appui dans l'idée de sauter vers l'avant à la rencontre de son adversaire, bientôt.
L'idée qu'on lui ait imposé ce Daisuke Sato dans l'espoir de la calmer et de la canaliser s'installa confortablement dans sa tête. Pour sûr qu'ils avaient eu vent de ses déboires à l'école de Kyoto. Qui faisait se rencontrer deux jeunes exorcistes promis à être camarades dans un duel ? Si ce n'était dans l'espoir de faire naître une rivalité entre eux, Kasca ne voyait qu'une seule raison à cette vaste blague : ils voulaient la faire plier. Et si sa volonté enrageait devant tant d'arrogance, elle devait bien se rendre à l'évidence qu'elle avait en face d'elle une personne actuellement capable de l'égaler.
Il était déjà loin le temps où elle dominait un Katsuro ou un Takeshi.

Le coeur battant, Kasca reprit sa dague dans sa main. Allez, calme. Respire. Sang-froid. Elle expira profondément. Contre lui, elle devrait compter sur la surprise. Ce qu'il fallait absolument, c'était passer cette putain de faux. Il avait l'air d'adorer utiliser ses jambes. Il fallait qu'elle feinte.
A l'intérieur, le glacier grondait un chant de colère. Elle n'était plus aussi sûre d'elle. Deep inside, c'était le sort inné du Sato qui la déstabilisait, doucement, lentement. Coup après coup.

Kasca s'engagea vers l'avant, direction droit devant elle et Daisuke. Brandissant sa lame, elle traça du doigt un nouveau trait vertical, exactement le même, au même endroit que le précédent, à côté de l'exorciste. A quatre mètres, avant d'être à portée de sa faux, l'Umino sauta pour prendre appui sur le trait d'encre noire. Mais au lieu de le toucher, elle passa juste derrière, et atterrie sur une marche gribouillée rapidement pendant son saut, lui assurant l'avantage de la hauteur une nouvelle fois.
Mais Kasca ne sauta pas cette fois. La marche en légère pente, elle se laissa glisser contre elle, les pieds en avant direction les jambes du Sato. S'il savait utiliser ses jambes, elle n'était pas en reste.

Qu'elle touche ou pas, elle traça une plaque pour réceptionner ses pieds joints, couchée à l'horizontale sur l'herbe glissante, afin de contrôler sa chute et asséner une attaque circulaire de sa dague. Tranchant en avant.
Kasca se releva d'un bond pour faire face au Sato. C'était le prix d'une attaque de finir à portée de l'arme énorme du jeune homme. Mais elle se préparait déjà à dessiner de nouveau devant elle. Du moins feinta t-elle un geste du bras portant son fléau.

Ce qu'elle fit en réalité, ce fut surtout d'initier une barrière dans l'espoir de se protéger de la contre-attaque imminente.

Touché.
C'était du deux pour deux maintenant et tout allait se jouer sur le prochain coup pour savoir qui emporterait cette première manche déjà explosive.

Les yeux dans les yeux alors que sa barrière parait pour elle le coup de poing du jeune homme, Kasca lui envoya un sourire narquois le menton relevé dans une mimique de très grande provocation. Cette joute lui avait redonné du poil de la bête, malgré l'effet de Noble Truth qui insinuait en elle les tentacules de sa propre nature colérique, resserrant lentement son emprise sur l'esprit à la fois aiguisé et étriqué de l'Umino.
Son glacier hurla un vent froid sur le brasier du Sato. Mais au lieu d'étouffer les flammes, elle ne fit que les embraser.

On ne perdit pas de temps. Il n'était pas que fort et agile mais aussi assez intelligent tactiquement pour savoir quand reculer. Plus il bougeait, plus Kasca l'observait, plus elle saurait lire entre les lignes du langage de son corps. Plus il lui serait facile et simple de s'offrir des ouvertures, quitte à les provoquer, à lui rentrer dedans pour faire trembler ses défenses. Il n'était plus question de faire connaissance, il n'avait jamais été question de cela en réalité. Tout ça était devenu très personnel pour elle. Kasca se battait pour l'écraser. Kasca se battait pour faire respecter son nom. Et elle se fichait de Daisuke, au fond. Elle le faisait pour donner tort à leur professeur, et aux autres. A tous ceux qui pensaient que le Sato était capable de la faire plier, de la contenir, de l'encadrer.
Elle en ferait de la charpies, elle le scinderait en deux, en quatre, en dix, en mille. Elle le découperait comme elle l'avait fait avec les autres, elle insinuerait en lui des graines de peur à son égard, lui ferait ravaler son arrogance d'avoir pensé pouvoir gagner contre une Umino. Elle le briserait.

La faux fut balancée dans un léger arc de cercle à sa droite. Son vis-à-vis prit la décision de foncer sur elle. Kasca fit de même. L'arme vrombissait dans l'air, tournant sur elle-même dangereusement, plus intimidante que son propriétaire. Mais plus intriguante. Plus attirante.
Kasca fit un bond de côté, direction la lame courbe. Son poignard trouva refuge entre ses dents une nouvelle fois, libérant sa seconde main alors que la première peignait un escalier à trois marches rapidement juste devant ses pieds qu'elle gravit sans plus attendre. L'encre s'échappait à son contact, signe de la précipitation dans laquelle elle avait peint. Plus elle se précipitait, moins elle était précise, mais peu lui importait : l'objectif était en vue.

Kasca était à présent au-dessus de la faux et d'un bond sur la dernière marche se jeta sur l'arme. Ses mains trouvèrent le manche et elle se laissa rouler sur le sol pour se réceptionner. La faux était plus lourde qu'elle ne l'aurait pensé. Elle était longue et difficilement maniable pour elle qui n'en avait pas l'habitude. Qu'à cela ne tienne : elle apprendrait.
Pour l'heure, pas le temps de souffler, le Sato arrivait sur elle.

Kasca fit la première chose qui lui vint en tête : elle mimiqua presque parfaitement la première attaque qu'il avait effectué, à la différence qu'elle le visait du tranchant de la faux qu'elle vit s'abattre dans le sol, s'enfonçant sur une vingtaine de centimètre tant la lame était coupante. Il avait esquivé, évidemment, et elle s'appuya sur le manche pour attaquer d'un jeu de jambes. Mais l'Umino avait aussi rajouté sa touche personnelle à cette attaque qui n'était pas la sienne.

Elle se laissait guider par le poids de l'arme qui, elle, continuait sa course dans le sol dans un arc de cercle mortelle, découpant la terre humide comme du beurre. Si bien qu'en plus de l'élan de son saut, elle profitait de celui du manche qu'elle tenait à deux mains, menue comme elle était, par cet effet de levier habilement mené.

Du moins jusque là. Peu habituée à l'arme, nul doute qu'elle avait sûrement eu les yeux plus gros que le ventre et que la réception laisserait à désirer.
Mais c'était grisant. Et quelque part sur son visage, un très léger sourire carnassier fit flasher ses dents entre ses lèvres fines alors qu'elle plongeait littéralement sur le Sato, yeux dans les yeux.

Encore.

Ce sourire, elle le détestait.

Du plus profond de son être, et plus encore alors que résonnait en elle le sort inné du Sato. Monstre et ombres, démons et flammes, grondaient dans sa tête, dans sa poitrine, s'éveillaient doucement à l'appel de la Noble Vérité qui les dérangeait dans leur apparente tranquillité. Car s'ils ne régnaient pas déjà en maître sur l'âme de Kasca comme on pourrait le penser -à sa vision cruelle, à ses manières ignobles, à son regard méprisant, à la haine qui suintait de ses pupilles de glace-, c'était bien parce qu'elle les avait enchaîné aussi loin que possible dans son esprit. Jour après jour, méthodiquement et avec une grande précision, à mesure qu'on la disséquait pour en faire une arme mortelle, elle s'était évertuée à, constamment et avec consistance, ranger et ordonner son reste d'humanité dans un coin, là-bas. Quelque part.
Celui-là même qu'elle s'évertuait tout autant à ne jamais exprimer.

Daisuke Sato était une personne qu'elle ne comprendrait jamais. Elle en était convaincue. S'ils étaient tous les deux de purs fruits de la société occulte dans tout ce qu'il y avait de pire, ils étaient intrinsèquement différents. Si différent qu'elle ne trouvait aucune résonnance en lui. Elle ne trouvait rien qui n'appelle pas en elle un profond dédain et si, habituellement, elle l'aurait jugée avec indifférence et mésestimé, elle ne ressentait ici qu'une colère sourde. Sournoise, elle s'installait dans le creux de sa poitrine et petit à petit, déstabilisait l'Umino plus qu'elle ne l'aurait jamais cru. Elle si contrôlante de ses émotions, de ses attitudes, de ses mots, de ses regards, de tout ce qu'elle était. Elle si contrôlante, la voici qui perdait pied.

Littéralement.

Le coup fut porté à ses côtes, sans délicatesse, aucune. Kasca roula dans l'herbe, propulsée par son adversaire, expression mêlant douleur et irritation sur son visage triangulaire aux joues creuses. L'herbe humide lui permit de se rétablir rapidement sur quelques appuis de pied et de genou, alors que son regard se portait froidement sur son vis-à-vis, sur son sourire, et que sonnait pareillement les mots de leur instructeur à ses oreilles.

« Le point va à Daisuke. On s'remet en position, c'est loin d'être fini. »

Léger instant de fureur dans les flammes glaciales qui parsemaient ses prunelles, lorsqu'elle les glissa sur Youki Tooka qui soutint ce regard sans sourciller. Kasca le prit très personnellement. Toute cette mascarade, tout ça... tout ça avait des airs de punition. Le même genre que lui réservait Takehiko Umino, souvent, très souvent, pour tenter à maintes reprises de briser son esprit. Tailler dans le gras, tailler dans ses flancs.
Tailler ce diamant, encore et encore.
Pour le parfaire.

Kasca se releva et épousseta ses jambes où quelques brins d'herbe étaient restés accrochés. Bruits de pas se rapprochant lui firent relever la tête. Non content d'avoir gagné cette manche, le Sato venait remettre un coup dans son égo. Double et triple humiliation.
Les yeux de tempête se posèrent dans ceux du son adversaire sans effort mais avec tout le mépris dont elle était capable. Elle écouta attentivement tout ce qu'il lui dit, et retint de l'insulter de justesse. En elle se mouvait un ressentiment piquant, qu'elle semblait, bizarrement, avoir du mal à contrôler. Sa lèvre inférieure eut un léger rictus vers le bas, subtil témoin de la bataille intérieure qui avait lieu dans la tête de l'Umino.

Pour qui se prenait-il, à parler de quelque chose qu'il ne connaissait ni ne comprenait pas ? Était-il stupide ? N'avait-il pas lui-même remarqué la facilité avec laquelle l'encre se brisait au premier contact ? Et elle perdait face à ça ?
Il s'éloignait déjà, n'attendant visiblement aucun réponse à sa provocation. Il la prenait de haut, et d'aucun se souvenait que le dernier à avoir fait ça l'avait payé du prix de sa vie. Pas littéralement, mais arracher la langue d'un incantateur, c'était tout comme. Kasca le fixa, sans ciller, aller se remettre à sa place. Fixa son dos, sa démarche, sa silhouette. Se perdit plus encore dans de sombres sentiments à son égard, qu'elle construisait aussi méthodiquement, minute après minute, regard après regard. Coup après coup.

Très bien, Daisuke Sato.
Mettons en œuvre ton idée, puisque tu t'estimes si intelligent pour comprendre le sort d'un fléau aussi unique que le mien.

Respiration lente et mesurée. Rythme cardiaque régulier et posé. Genoux fléchis, corps souple, et ceinture abdominale engagée. Regard fixé sur l'objectif.
Shift dans son comportement.

Kasca n'attendit pas le coup de sifflet. Dague en main, elle s'élança vers le Sato. Son expression était encore plus froide, encore plus fermée. Ses yeux n'exprimaient rien d'autre qu'une profonde et glaciale détermination, saupoudrée d'une colère sourde, naissante. Elle s'ouvrait doucement, elle prenait de la place, petit à petit. Cette émotion folle, qui lentement et déloyalement, s'échappait à son contrôle. Une faille, dans laquelle s'engouffrait sans détour le sort inné de Daisuke.

Kasca leva la main portant le serpent-dragon. Le fléau trembla d'excitation contre elle, resserrant son emprise sur sa maîtresse, autour de sa taille, ses écailles lisses la blessant presque, pour ne pas tomber dans sa course. Elle peignit, enfin. Deux gestes rapides, précis. L'image se fit dans sa tête, l'encre apparut du côté gauche de Daisuke. Trois traits, comme une barrière de métro prenant racine dans le sol, plus longue que haute, mais suffisamment tout de même pour avoir l'avantage du ciel. Et surtout, à une hauteur décemment choisie pour éviter d'être trop confortable si jamais il venait à l'idée au Sato d'abimer le dessin avec sa faux. Il devrait porter un coup bas, et à ce moment-là... Kasca peignit encore devant elle, une marche sur laquelle elle sauta prestement, une deuxième rapidement, qu'elle faillit rater mais l'idée même de rater ne lui traversa pas l'esprit : fixé sur l'objectif.

Elle sauta, passant par-dessus Daisuke, pour se réceptionner sur sa barrière improvisée si jamais elle était toujours debout et s'il ne l'avait pas fait disparaître d'un coup de faux. Peu importe, le résultat serait le même : la dague fut lancée alors qu'elle passait au-dessus de lui. Elle se réceptionnera sur la barrière ou dans l'herbe, glissera sur le fil de l'encre, ou sur le parterre humide. Sa course et sa réception ainsi contrôlées, Kasca engagera un coup de pied retourné.

Et tout en même temps, de sa main qui peint, jettera de l'encre sur le visage du Sato.
Kasca savait qu'à son contact, elle disparaîtra aussi vite qu'elle apparaitra dans ce monde. Mais son adversaire lui, c'était une information qu'il ne connaissait pas encore.
Elle avait assez d'ego pour se permettre une petite leçon sur son sort inné, et celui de son fléau. Elle lui ferait regretter son idée stupide. Des armes faites d'encre... Stupide, vraiment.

Kasca pourtant, profitera de ce moment de battement, l'espérait-elle, dans la surprise, pour envoyer l'arête de sa main vers le cou du Sato.

Chaque altercation au corps-à-corps était autant une prise de risque pour elle que pour lui. A chaque coup donné, elle pouvait en recevoir un autre. Il avait l'avantage de sa faux, elle avait l'avantage de sa créativité. Le ciel était à elle.

Elle lui montrerait.
Ils ne faisaient pas partie du même monde.

L'attaque surprise et le jet d'encre eurent l'effet escompté. Touché, cria sa main contre le cou du Sato. La victoire à portée de tes doigts, murmura à son esprit le hoquet de la respiration choquée de son adversaire.
Pas encore, lui intima le poing fulgurant de Daisuke, dans le creux de son ventre.

"Non, pas encore" pensa Kasca, profondément, alors que son regard trouva accroche sur le visage de son vis-à-vis. Elle se sentit partir, propulsée par le coup puissant, serra les dents devant la douleur, mais ne put retenir l'air qui fut expulsé de ses poumons. Pas encore, s'hurla t-elle, et avec une nouvelle détermination, banda tous ses muscles pour contrer l'élan qu'il lui imposait et la tirait en arrière. Si son pied glissa un peu dans l'herbe humide, il y trouva un nouvel appui, solide. Les yeux de tempête firent jaillir le tonnerre alors que du poing ancré encore dans le creux de ses entrailles c'était le sort inné du Sato qui l'empoisonnait encore plus fort.
C'était le quatrième coup porté, celui qui marquait un tournant dans l'empreinte de Noble Truth sur l'esprit emmêlé de l'Umino. Entre sa rage et sa détermination, et l'entrelacs sans queue ni tête des nœuds de ses pensées et promesses, cela trouvait le chemin, à tâtons et depuis le début de leur affrontement. Le chemin vers ses peurs, bien ancrées à l'intérieur, méthodiquement verrouillées, comme le reste de ses émotions.

Les pupilles se dilatèrent soudainement, alors que dansait la faux autour d'elle. La lame brilla de son air menaçant et si elle sentit le léger coup à son épaule alors qu'elle se redressait pour préparer sa contre-attaque, son attention fut happée par le changement de main et l'arc de cercle de la lame droit vers la prunelle de ses yeux, le trésor de son existence, la créature pour laquelle elle s'était promise. Pour laquelle elle avait sacrifié son Anima. Son sort inné. Ce qui faisait d'elle ce qu'elle était : une Umino.
Le serpent-dragon tenta de s'échapper, et dans sa panique fit crisser ses écailles chromatiques sur la peau nue de son ventre en la griffant. Il resserrait son emprise encore, alors même qu'il se mouvait pour échapper au sifflement sinistre de la faux, si bien qu'il l'aurait forcé à retenir son souffle si elle ne l'avait pas fait d'elle-même.

Kasca avait, bien entendu, déjà pensé à cette possibilité. A ce que son fléau soit pris pour cible alors même qu'elle le tenait au plus près d'elle. Il était si petit, si fragile, et à la fois si puissant que si elle le laissait s'échapper, elle ne saurait le rattraper. Elle ne pouvait utiliser son sort que s'il était sur elle, transformant ainsi l'énergie occulte de sa propriétaire en encre. Il était inutilisable, libre comme le vent, autrement. La caresse douloureuse des écailles fit bouillir le sang de la jeune exorciste. Erreur de débutante, de l'avoir laissé à découvert ainsi.
Pour une Umino comme elle, perdre son fléau de la sorte était inacceptable. Quelle honte, si elle se pointait dans sa famille en ayant perdu le précieux serpent-dragon, quelques semaines à peine après l'avoir maîtrisé de son Anima. Quelle honte cela serait, de devoir se tenir devant Owari Umino. Elle préférerait mourir.

Elle ne pouvait pas laisser faire ça. La panique laissa place à un sang-froid formidable.
Kasca, dans un geste calculé, abaissa et plia son bras autour de son fléau dans l'idée de le protéger. Elle devait agir aussi vite que le coup qui leur était porté. La lame courbe glissa dans sa peau, et, épousant la course de l'arme, le diamant des Umino tourna sur elle-même et dans le même arc de cercle dessiné par la faux, si bien qu'elle ne s'enfonça pas plus que de mesure dans sa chair et que ce mouvement lui permit de se rapprocher au plus près de Daisuke.
Elle dansa comme il fit danser son arme fétiche, ses pieds pivotant rapidement et sa chevelure sursautant dans ce 360 degrés.

Il n'y avait que deux manières de ne pas se retrouver à portée de la faux : s'en éloigner, ou se placer entre la lame et l'utilisateur. La deuxième solution s'était imposée à elle rapidement, et elle comptait bien utiliser cette nouvelle proximité à son avantage. D'autant plus qu'il avait osé vouloir s'en prendre à son fléau. Le serpent-dragon glissait du creux de ses reins à son cou et retrouvait place sur son autre bras alors que Kasca dépliait celui marqué d'un filet de son sang, le même qui perlait à présent le long du fil de la lame du Sato. Elle enfonça son poing, à son tour et sans délicatesse, à l'exact emplacement de son foie.
Et puisqu'elle était plus agile que forte, sauta et prit appui sur le jeune homme pour se propulser dans un salto arrière hors de portée de sa lame et d'une contre-attaque au corps à corps. Elle comptait sur le déséquilibre provoqué par la pose de son pied d'appel pour qu'il ne puisse pas l'attaquer.

Kasca se rétablie sur ses jambes pliées, et sautilla un peu, essoufflée de ce court mais intense duel. Le serpent-dragon glissa sur le sang à son bras, trouvant agréable de si frotter pour autant le goûter que l'étaler sur son humaine. L'Umino, elle, avait le regard fixé sur son adversaire.

« Le dernier coup ne compte pas Daisuke, c'est Kasca qui l'emporte. »

La manche était pour elle.
Emotion difficilement maintenue, et léger sourire étirant ses lèvres. Elle se sentait étrange. Extatique. Le coeur battant une chamade singulière, et c'était comme si elle pouvait suivre le parcours de son sang de son palpitant jusqu'à chacun de ses organes, jusqu'au bout de ses doigts qu'elle tendait devant elle, absorbée par les sensations nouvelles qui se dégageaient de son corps. De son esprit. Du sort inné du Sato, qui, coup après coup, martelait ses défenses, faisait sauter les verrous, enfonçait les barrières qu'elle avait hissé tout autour de son cœur.

Et lorsque Kasca releva quelque peu les yeux, elle perdit de nouveau son souffle. Non pas de douleur, non pas de peur. Si ses pupilles se dilataient encore, plus fort, plus intensément, recouvrant presque l'entièreté de ses iris au pastel bleu, c'était surtout parce qu'elle fut happée par la vision du ciel qui s'offrait à elle. Pendant un instant, il lui sembla s'égarer une éternité dans les lueurs d'aurore boréale qui lui rappelaient sans effort la danse des écailles chromatiques de son fléau. Des notes dorées empruntaient des cercles de couleur dans ce ballet doux et singulier, faisant battre son cœur, en chœur, avec celui qu'elle entendait dans le creux de ses oreilles. A moins qu'il ne s'agissait du sien, qu'elle pouvait entendre, enfin, chanter sa mélodie dramatique. Qu'elle écoutait enfin. Les mains un peu tremblantes, elle plaça ses doigts en carré, devant son visage, et cligna des yeux, pour mémoriser à jamais dans son esprit la toile qui se présentait à elle. Un souvenir qui restera gravé dans sa tête, comme tous ceux qu'elle emportait avec elle dans cette habitude particulière qui était sienne.
Kasca se perdit dans le flot de cette émotion qui l'emportait dans une légèreté accueillie les bras ouverts, si bien qu'elle en oublia complètement ce qu'elle faisait ici, s'autorisant même un rire, cristallin et clair, alors que palpitait dans ses prunelles l'excitation de la découverte d'un nouveau monde qui s'ouvrait devant elle.
C'était ça, ressentir ? C'était ça, vi-

« On se remet en place, dernière manche. »

Elle cilla, le rappel à la réalité fut brutal et tout d'un coup le monde perdit de ses couleurs. Si le ciel dansait encore, devant elle, il y avait toujours la silhouette trouble du Sato. La promesse de lui faire mordre la poussière, tant son arrogance était allé si loin qu'il avait cru pouvoir lui prendre son précieux trésor, caché dans le creux de ses doigts. Le fléau coulait ses crins translucides sur la peau de son poignet, subtilement excité lui aussi par les émotions auxquelles sa maîtresse s'était ouverte quelques secondes auparavant.
N'y subsistait que cette sensation étrange de dissociation : cette légèreté, comme si elle était là sans l'être, comme si plus aucun poids ne pesait sur elle.

Kasca souffla. Elle ne saisissait pas l'objectif ultime du sort inné de Daisuke, mais en appréciait les effets plus que de mesure. Quand bien même elle ne se sentait pas en total contrôle d'elle-même et qu'habituellement elle aurait détesté cette condition, elle se complaisait presque dans ce flot inconnu. Sans savoir et sans comprendre, qu'il avait toujours été là, maintenu et contenu, en son for intérieur, depuis de si longues années.
Perdre pied, perdre le contrôle et se noyer dans ses émotions à terme. Et si pour l'instant, elle semblait encore en équilibre sur le fil tendu par Daisuke, elle était à ça de perdre ses moyens.

On siffla le début de la dernière manche.
Kasca se rendit compte qu'elle n'avait même pas récupéré sa dague. Léger écarquillement des yeux, lorsque la panique la prit d'abord, avant que ne reviennent à elle les réflexes longuement travaillés depuis toutes ces années : le sang-froid, méthodique et calculateur, désirait reprendre le dessus. Un pas en avant, puis deux, et elle s'élança dans sa course tout droit vers le Sato.
Son pas léger, l'esprit qui planait. Sa réflexion qui se confrontait à ses émotions.

Déséquilibre. Elle tanguait dangereusement sur la corde, qu'il tenait du bout des doigts.

Kasca ne dessina pas. Si elle n'avait pas récupéré son poignard, elle n'était pas dénuée de capacités physiques et avait, elle aussi, été entrainée à l'art du combat au corps à corps. Elle devrait faire appel à toutes ses capacités créatives et agiles, pour l'emporter. Elle savait qu'elle ne devait pas sauter, au risque d'être vulnérable puisque le brun avait très bien compris qu'il avait tout à gagner à l'attaquer en plein saut.
Elle agirait vite. Au plus près. Sans hésitation.

Et au-dessus d'elle, le ciel dansait encore dans ses couleurs chatoyantes.

L'Umino arriva à portée de faux et se laissa glisser par-dessous, profitant de l'herbe humide. Elle peignit un carré plein au-dessus d'elle si jamais il avait pour idée d'utiliser le manche pour la frapper, et se redressa ensuite juste devant lui, prête à en découdre dans un corps à corps pur et exaltant.
Elle avait la sensation d'être sous amphétamines, son corps bouillonnait autant que son esprit, et ses pupilles agrandies témoignaient seulement de ses réflexes décuplés par un contrôle parfait qui s'effritait.

Kasca allait enchainer les coups, l'obliger à se défaire de sa faux pour la combattre à armes égales. C'était maintenant que tout se jouait.

La caresse du vent sur sa peau, le sifflement provoquée par sa vitesse, le flou artistique ambiant alors que ses yeux ne quittaient pas la silhouette de son adversaire. Au plus profond, les battements de son cœur qui s'emballait, d'habitude si contrôlé, pulsant le sang à travers tout son corps. Elle avait l'impression de ressentir chaque parcelle de son corps comme si on s'amusait à y parcourir par effleurement un milliard d'aiguilles. Son esprit n'était pas en reste : si son sang battait à travers ses veines et ses artères, sous sa peau, dans sa chair, à travers chacun de ses organes, ses vaisseaux étaient aussi tous dilatés, incluant ceux de son cerveau. Kasca avait l'impression d'évoluer perpétuellement sous adrénaline : ce moment où l'instinct de survie prend le dessus face à un danger, ce moment de flottement où les réflexes prennent le pas sur la raison, mais qui n'est pas censé durer aussi longtemps.

C'était grisant. L'impact ne fut que plus excitant.

L'arête de sa main rencontra le poignet de Daisuke. Souffle retenu, muscles bandés, engagement total. Elle enchaina avec un coup de pied retourné, qu'il para encore. Comme prévu, il avait lâché sa faux qui glissa sur le dessin, faisant exploser l'encre dans une fumée noire. Elle s'évapora comme les pensées concrètes de l'Umino lorsqu'elle croisa de nouveau le regard de feu du Sato. La glace fondait sous l'élargissement de ses pupilles, et à mesure que les coups étaient échangés dans un ballet maîtrisé autant par lui que par elle où leurs pas mêlaient à la fois technicité et créativité, gracieusement et férocement, Kasca avait du mal à retenir le léger retroussement du coin de ses lèvres répondant en écho au sourire d'excitation du jeune homme. Et s'il avait redoublé de vitesse pour la prendre de court, il lui semblait qu'elle ne pouvait manquer un seul de ses coups. L'impression de légèreté dans sa tête alliait l'éveil de ses réflexes à une détermination plus mordante encore. Elle se demanda si c'était ça, qu'on ressentait après avoir réussi un kokusen. Il lui semblait avoir lu quelque part que cela réveillait le potentiel de l'exorciste, au point que pendant les minutes qui suivaient ses capacités étaient améliorées au-delà de leur limite.

Réflexions qui la perdirent et ce fin moment de déconcentration suffit à son adversaire, plein de ressources, pour lui asséner un coup en traître. Elle aurait du s'y attendre, elle aurait du le voir venir. Elle aurait pu, si elle l'avait voulu. Esquivant le coup circulaire, elle s'apprêtait à sauter sur lui pour glisser dans son dos et profiter du moment où il lui envoya un coup de pied afin de le toucher elle aussi. Mais Kasca n'en fit rien. Au lieu de déplier les genoux pour prendre son élan, elle se pencha en arrière, feintant une dérobade maladroite. Il n'en était rien. Si son front rencontra effectivement la paume de main de Daisuke, c'était de son plein gré. Elle ne bougea pas plus pour éviter le coup de poing qui suivit, et ne prit même plus la peine de s'en cacher.
C'était deux points pour lui, mais même si elle n'avait pas paré, elle ne comptait pas le laisser s'en tirer aussi facilement sans elle aussi marquer des points et marquer son corps.

Kasca posa son ménagement la paume de sa main sur le visage de Daisuke, claquant son front et recouvrant ses yeux d'encre qui s'évapora aussitôt, grinçant des dents à l'impact de son poing dans ses flancs alors que s'insufflait en elle une nouvelle dose d'amphétamines à base de Noble Truth. Elle lui asséna aussi sec un coup rapide dans les côtes avant qu'il ne s'échappe à son contact et à sa portée, d'un saut vers l'arrière réceptionné sur ses mains.
Kasca était loin d'être stupide. Elle savait pertinemment que s'il s'éloignait ainsi c'était dans le seul but d'observer les effets de son sort inné sur elle. Cette fois encore, il avait attaqué en deux coups. Même si elle planait et que, définitivement cette fois, son esprit avait pris le large, ses méninges fonctionnaient encore et à mesure qu'ils combattaient, il lui semblait comprendre un peu plus le sort de son vis-à-vis, quand bien même elle n'en saisissait pas l'essence.
La curiosité l'avait emporté sur un terrain glissant. Elle lui avait accordé deux points, et avait profité de cet instant de flottement et de surprise pour les lui reprendre aussitôt.

Le prochain échange qu'ils engageraient serait le dernier.
Mais avant...

Kasca regarda le ciel, encore, de nouveau happée par la beauté des illusions qui dansaient sous ses yeux et les siens uniquement. Elle joua à en attraper les couleurs qui chantèrent à ses tympans des notes d'une mélodie inconnue, et si ses prunelles scintillaient d'émerveillement, son visage n'arborait plus qu'une expression à la fois absente et teintée d'intrigue. Le toucher d'un chemin doré fit sonner une musique claire et les battements de son cœur s'y mêlaient allégrement, l'emportant avec eux dans un tambourinement singulier.
Le diamant des Umino profita librement du temps mort que Daisuke lui accordait pour observer le monde changer autour d'elle. Un pas en arrière la déséquilibra plus que de mesure, mais elle se rétablit d'une pirouette, ses bras cherchant à compenser dans un léger mouvement circulaire qui laissa derrière elle un tracé fin d'encre noir.

Sous les huit coups de Noble Truth, elle résistait encore quelque peu à l'appel ardent de son palpitant qui semblait animer de sa propre volonté à présent et l'emporter ailleurs. Une partie d'elle, de raison, lui martelait qu'il fallait revenir sur terre, qu'il fallait combattre et gagner. L'autre s'était perdue de son plein gré dans le champ des possibles des merveilles que lui offrait le sort du Sato. L'ouverture à des émotions longtemps contenues et emprisonnées, tues, au fin fond de son être. A quoi servaient-elles sinon à s'y perdre plus que de mesure ? Et tout ce qu'elle ressentait, là, Kasca savait qu'il ne fallait pas qu'elle s'y jette la tête la première. Une voix pourtant, à l'intérieur d'elle, la questionnait sans cesse : pourquoi pas ?

"Pourquoi faire ?" répondait-elle, alors.
Tambours battants, piano doux et violons, ajoutaient leurs chants à celui des tintements des couleurs dans son ciel. Kasca tourna un peu sur elle-même, jusqu'à ce que son regard ne retombe sur le jeune homme auquel elle devait encore prendre un point pour gagner.

"Pourquoi faire ?" lui lança la voix, dans sa tête, et "Pourquoi pas" lui répondit à son tour Kasca.
Les yeux de tempête se raffermirent sur leur prise alors que la poussait en avant l'excitation de ses sens amplifiés par Noble Truth. A la fois trop, puisque sa course n'était plus aussi équilibrée et légère qu'elle l'eut été normalement, si bien contrôlée habituellement. Ses appuis avaient quelque chose d'hasardeux à présent, et si elle n'en avait eu cure jusqu'à présent, aveuglée par la nouveauté des sensations, un agacement pointait le bout de son nez. Il avait l'ascendant sur elle, assurément. Elle trébucha, et se rétablit d'une roulade de côté, préférant éloigner sa course du Sato, abandonnant l'idée de lui faire face en frontal au risque de se jeter bêtement sur lui et de lui offrir la victoire. Son pied rencontra l'arme abandonnée sur l'herbe glissante et machinalement, elle la ramassa, emprisonnant le manche entre ses doigts fins d'une main, trainant le reste sur le sol humide alors qu'elle cherchait un appui mental auquel s'accrocher pour maintenir le peu de sa raison qui subsistait encore. Les tambours s'emballaient, à la même mesure que son coeur. Kasca souffla, un soupire profond, alors que ses prunelles s'accrochaient encore à son vis-à-vis.
Son fléau la rappela un peu plus dans son corps, resserrant son emprise sur son bras libre alors qu'elle tendait ses doigts pour peindre.

Bancalement, l'encre fit son chemin dans l'espace rempli de couleurs et étiré qu'elle voyait. Une marche un peu trop penchée, mais sur laquelle elle se hissa. La deuxième n'apparut pas à la hauteur escomptée, calculée, provoquant une légère perte d'équilibre à l'impact de son pied dessus. La troisième, plus haute encore, lui demanda un effort de plus pour s'y hisser d'un saut et s'y rétablir d'une pointe. La quatrième, puisqu'elle continuait son ascension dans les airs, la mena au milieu des cercles dorés. Elle s'y perdit. Si elle eut une expression surprise, ce ne fut pas parce que sa foulée suivante ne trouva aucun appui, mais parce qu'elle gravait dans son esprit la vision qui s'offrait à elle. Au milieu des chemins de couleurs, Kasca se laissa absorber par la mélodie engagée, qui se précipitait et la précipitait, yeux lentement clos, dans sa chute innesquivable.

Calculée.

Elle feinta, une nouvelle fois, l'accident. Si au départ il aurait pu sembler à son adversaire qu'elle s'était simplement loupée, elle fit de cette erreur la base de son ultime attaque. Kasca tournoya sur elle-même, après avoir fait face au ciel et s'être laissée inonder par sa toile, sa seconde main trouvant emprise sur le manche de la faux alors que son regard plongea, comme leur propriétaire, tout droit vers Daisuke.
Le manche en avant et la lame vers l'arrière, mortellement prête à s'abattre sur le Sato, le diamant des Umino tentait le tout pour le tout.

Sourire carnassier et les yeux de tempête s'ancraient encore une fois, toujours, dans ceux de Daisuke Sato. Si l'action se passa très vite, il lui semblait flotter, un peu -beaucoup- dans l'espace et dans le temps, le monde se distordant autour d'elle dans un long couloir la menant tout droit en direction du jeune homme où la faux s'abattit après que l'Umino l'ait brandit dans sa direction. La lame pénétra la chair de son propriétaire, de son bras tendu vers elle, rencontrant son énergie occulte condensée pour renforcer son corps. Cela n'échappa pas à l'œil aguerri de Kasca, qui nota dans son crâne cette nouvelle capacité découverte chez son vis-à-vis. Mais dans sa chute, elle ne put rien faire d'autre que de tenter des parades, bien trop tard.
Noble Truth se joua d'elle. Si le sort inné avait allongé le monde autour d'elle, comme un ressort elle se vit bien trop proche du Sato, bien trop vite. Malgré son excellent temps de réaction, elle ne pouvait pas encore faire de miracle, et c'est sous son expression de surprise que Daisuke la força à accueillir deux nouveaux coups chargés -bien sûr- de son sort inné.

Les effets furent immédiats tant elle avait ressenti l'adrénaline de cette rencontre, s'ouvrant au fil de leur échange à ces sensations d'excitation. Si ses pupilles s'étaient dilatées jusque là, elles firent l'inverse, se rétrécissant au point de laisser totalement place à ses iris glacées, au bleu plus clair encore que le ciel hivernal actuel les surplombant. Cette fois-ci, elle crut le sentir.
Elle crut sentir son énergie traverser sa peau, ses muscles, entrer dans ses vaisseaux, au point d'impact dans son dos, atteindre allégrement tous ses organes, forçant son corps à accepter ses effets. Quand bien même une partie d'elle était curieuse, son instinct se méfiait, à juste titre, de cette nouvelle vague menaçante de Noble Truth.
L'orchestre dans sa tête, d'un ton provocateur, engageait une harmonie terrible et elle n'entendait plus que les précipitations de son palpitant qui cherchait, désespérément, un point d'accroche dans le rythme effréné de cette terrible musique.

Terrible fut plus encore sa réception.
Si, d'ordinaire, elle aurait trouvé une parade à son déséquilibre en une roulade, Kasca ne put que se laisser tomber sur le sol, et glissa dans l'herbe humide. La faux, malicieuse, ripa dans ses jambes et il s'en fallut de peu pour qu'elle s'y enfonce, lâchée par la jeune exorciste. Le constat était sans appel : Daisuke avait gagné.
Elle avait perdu devant plus faible qu'elle, devant plus faible que les Umino. Mauvaise joueuse, et mauvaise perdante, elle grinça des dents en tentant de se relever. Ce n'était pas si grave, elle avait déjà perdu, notamment contre son entraineuse chez les Umino. Elle était toujours revenue plus forte, avait travaillé dur pour se surpasser. Elle ferait de même contre lui. Si ce professeur avait voulu lui faire comprendre qu'elle ne pourrait pas dominer Tokyo comme elle l'avait fait à Kyoto, il se mettait le doigt dans l'oeil. Pour Kasca, ce n'était qu'une étape de plus qui s'ajoutait pour atteindre son but. Il n'était rien de moins que cela, et peu lui importait qui il était. Elle le surpasserait.

Surprise, encore, lorsque sa paume de main trouva appui sur l'herbe et commença à s'y enfoncer, lentement. Il ne lui avait pas semblé que le terrain d'entrainement comportait des sables mouvants ou autre... Kasca se releva rapidement, à genoux, précipitant ses pas vers l'arrière dans un geste défensif de se voir engloutir dans le sol. Son regard glissa vers le ciel, et elle fut happée encore par la beauté du spectacle qui s'y dessinait.

« Yes, c'était super les jeunes, bien joué ! » lança Tooka en s'approchant, applaudissant brièvement de ses grandes mains. « Allez, venez là, j'ai deux trois choses à vous dire. »

Si elle n'entendit qu'un mot sur deux de ce qu'il leur cria, Kasca se releva sur ses deux jambes et mécaniquement, machinalement, s'approcha à son tour, comme si son subconscient avait pris le relais sur sa conscience complètement dominée par le sort inné du Sato. En témoignaient ses pupilles encore très étroites, et les frémissements incontrôlées sur sa peau qui lui donnaient la chair de poule sans qu'elle ne puissent rien y faire, mais sans qu'elle ne s'en rendent compte elle-même.
Kasca luttait pour rester éveillée, elle planait réellement, son esprit occupé par le tintamarre de la musique qu'elle entendait en elle. C'était comme si d'un coup elle se retrouvait au milieu d'un orchestre au point culminant du spectacle. Ses paupières cillèrent un peu, plissant, alors qu'elle s'agenouillait devant leur professeur en l'attente de ses instructions.

« D'abord, je vous félicite c'était du beau spectacle. Vous avez surement beaucoup appris de l'autre malgré ce court mais intense échange. » Il coula un regard sur l'Umino, qui dissociait complètement sur un chemin de couleur doré derrière lui, faisant hausser un sourcil à Youki Tooka. « Cependant... » Il marqua une pause, puis fit claquer ses doigts devant le visage de Kasca qui glissa de revêche ses yeux sur lui. Sans le voir. « Cependant, vous avez tous les deux outrepassé mes directives. J'avais dit pas de blessure et regardez vous. C'était un entrainement, pas un duel à mort. N'est-ce pas, Kasca ? »

Le diamant des Umino cligna des yeux une unique fois sur le visage de Tooka, mais ne répondit rien, se contentant de baisser le regard sur ses mains posées sur ses cuisses. Tooka prit cela pour de la soumission, mais en réalité, Kasca n'accordait aucune attention à ses mots. Ses prunelles s'étaient accrochées à ses jambes repliées sous elle, s'enfonçant petit à petit dans le sol sans qu'elle ne comprenne pourquoi. Aucune panique encore dans son regard pourtant, ni aucune expression sur son visage. Sa conscience bataillait encore, avec peine, contre le sort inné de Daisuke, si bien qu'elle décida de fermer les yeux et prendre une profonde inspiration dans un effort de reprendre un peu de contrôle sur elle-même.

"Tout ceci n'est pas vrai, tout ceci n'est pas réel. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas réel." se répétait-elle dans un murmure de son esprit, étouffé par la symphonie grotesque qui s'évertuait à le rendre sourde au monde qui l'entourait, mais aussi à elle-même.

« Heureusement que Daisuke est... ce qu'il est. » continua Tooka, puis il posa sa main sur l'épaule de Kasca, la tirant une nouvelle fois de son observation de son corps glissant lentement mais sûrement dans le sol. « Ici, à Tokyo, tu vas apprendre où est ta place. »

Et malgré tout, les mots furent plus fort cette fois. Kasca l'entendit très clairement. Si elle ne réagit pas extérieurement, elle voua en ce instant une haine profonde contre l'exorciste expérimenté qui lui offrait un sourire et un rire éclatant, balayant d'un revers d'humour la bombe qu'il avait fait exploser à son visage. Si Kasca avait encore des doutes quant à ses véritables intentions lorsqu'il avait décidé, pour leur première rencontre, de les faire combattre Daisuke et elle, elle n'en avait plus du tout. Très bien. Qu'il en soit ainsi.
Elle leur montrerait à tous.

Ce fut là, qu'elle se sentit partir. La même sensation, très exacte, lorsqu'on se réveille parce qu'on vient de chuter dans un rêve. Son premier réflexe fut de poser une main sur le sol comme pour amortir une glissade qui n'eut jamais lieu. Et il lui sembla, succinctement, que son souffle se faisait plus court, plus pressé, plus oppressé. Kasca gigota un peu, rétablissant ses jambes sous elle. Mais finalement, plus les minutes passaient et plus le sort du Sato s'évaporait. Les verrous reprenaient leur place et, petit à petit, elle reprenait un parfait contrôle d'elle-même, si bien qu'au milieu d'une conversation houleuse entre Tooka et Daisuke, elle trancha.

« C'était enrichissant, Tooka-sensei. » lança t-elle froidement, pour stopper les prémices de leur dispute à son propos. Elle coula un regard glacial vers son nouveau camarade de classe. Kasca était loin d'être stupide et s'il voulait continuer leur duel, elle savait que c'était dans l'unique but d'expérimenter son sort sur elle. Il devra se trouver un autre cobaye. « Je ferai mieux la prochaine fois et suivrait vos instructions à la lettre. » feignit-elle, son regard fixé sur le visage du brun.

« Mmh... Oui, très bien. » conclut finalement Youki, en observant les deux jeunes, loin de ne pas sentir la tension que l'Umino installait entre eux. « Bon, on s'arrête pour aujourd'hui pour l'entraînement... » Kasca eut une vision d'échappatoire, bien vite balayé par le prof qui continua. « ... mais vous allez me faire le plaisir de me rejoindre en salle de classe, tous les deux. Et sans tentative d'assassinat cette fois. » « Compris, Tooka-sensei. » répondit Kasca en penchant son buste vers l'avant dans un léger salut poli avant de se relever et de s'éloigner des deux.

Tout cela... commençait déjà à lui taper sur le système.
Le diamant des Umino partit récupérer sa dague abandonnée sur le terrain. Son fléau avait retrouvé refuge dans son pendentif depuis un moment sans qu'elle ne s'en rende compte jusque là. A quel moment avait-elle renvoyé le serpent-dragon... ? Froncement de sourcils sur son visage fermé. Elle releva la tête machinalement, vers le ciel, lorsque l'ombre d'un oiseau passa sur l'herbe.
Le vent portait toujours des couleurs uniques, dansant librement dans des ondulations chromatiques. A l'intérieur, l'orchestre s'était finalement tu. Kasca respirait calmement, ses yeux rivés sur les aurores d'argent et d'or qu'elle seule pouvait voir. Elle fit volte-face, pour voir que leur professeur avait pris de l'avance sur eux, et qu'il ne restait plus que Daisuke devant elle.

L'Umino le fixa, le jugea, le jaugea une nouvelle fois, silencieusement.

Il était un combattant hors pair, c'était indéniable. Et créatif, et plein de ressources. Athlétique, peut-être un peu trop téméraire à en voir les expression qu'il avait affiché durant leur échange de coups. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'il adorait batailler. Il maniait cette faux comme personne et Kasca se demanda s'il savait aussi utiliser d'autres armes. Elle savait Takeshi Ahad maître dans cet art, mais là où l'un basait sa force sur un arsenal multiple, l'autre semblait avoir jeté son dévolu sur une unique arme pour en faire le prolongement de son corps. Il était combattif, avait l'esprit aiguisé, ne se laissait pas impressionner.
Mais ce qui gênait le plus Kasca dans son appréhension de sa personne, c'était le détachement dont il faisait preuve. Malgré elle, et sans avoir pourtant pris de photographie mentale, la première chose qui revenait à son esprit lorsqu'elle le voyait là devant elle, c'était son sourire. Cette expression à la fois imperturbable, paisible et presque provocante, qu'il affichait sans cesse. Il n'avait pas tremblé une seule fois face à elle.

A Kyoto, tout le monde la craignait. Takeshi comme Katsuro, pour avoir témoigné de sa rage et de son courroux sur leur quatrième camarade, pour l'avoir côtoyée en mission, de nombreuses fois. Kasca faisait ce qu'elle avait appris à faire depuis sa naissance : régner par la division. On ne domine que par la crainte. C'était ainsi, chez les Umino. Kasca ne craignait que peu de choses. Daisuke n'en faisait pas partie.
Quand bien même, elle le détestait plus encore qu'elle ne détestait Takeshi. Ce dernier respectait au moins sa supériorité, et elle avait toujours eu l'ascendant émotionnel sur lui, si fragile. Daisuke, lui, ne présentait aucune faille visible. C'était agaçant.
Elle trouverait. Et elle s'y engouffrerait comme il s'était joué d'elle avec son sort inné.

Kasca coula son regard froid de haut en bas et de bas en haut sur le jeune homme, une main posée négligemment sur sa hanche. Il avait gagné cette fois, mais elle était persuadée que c'était uniquement parce qu'elle lui avait accordé deux points. Sinon, elle lui aurait fait mordre la poussière, comme à tous les autres.
Aussi le méprisait-elle, et plus encore en sachant qu'il avait eu l'audace d'essayer de s'en prendre à son fléau.

Noble Truth finit par ne plus avoir du tout d'effet sur elle, laissant de nouveau entièrement place au glacier qui entourait son cœur. Et quelque part, malgré tout, le silence en son for intérieur faisait résonner le vide en écho bien plus fort que jamais auparavant et le ciel au-dessus d'elle semblait plus fade que l'hiver.