Agenouillée devant Wada Chiwa-sensei, Kasca écoutait sagement les tenants et aboutissants de la mission pour laquelle elle allait être envoyée, en compagnie des deux pots de fleurs lui faisant office de camarades, le quatrième ayant du s'absenter. Les eaux limpides de son regard suivaient les cents pas effectués par l'apparente jeune femme, alors qu'elle procédait au traitement de chaque information donnée. Elle expliquait clairement vouloir tester les capacités de leur classe, puisque cela faisait maintenant quelques mois qu'ils étaient présents à l'école de Kyoto et suivaient cours et entraînements.
Ce n'était pas la première mission de Kasca, puisqu'elle avait déjà accompagnée Takehiko Umino sur le terrain plusieurs fois. Néanmoins, il s'agissait de sa première fois en équipe. On ne pouvait pas dire que Takehiko était du genre solidaire, et la plupart du temps, elle s'était plu à mettre la jeune exorciste en difficulté, la laissant se débrouiller seule même si elle n'aurait pas risqué de lui faire perdre la vie, cela n'avait pas empêché Kasca de se retrouver dans des situations extrêmes.

Quand bien même, la perspective d'avoir deux autres personnes dans les pattes ne l'enchantait pas du tout, et elle appréhendait cela plus que la mission en elle-même. Elle darda un regard à sa droite, qui s'accrocha sans peine à Katsuro siégeant entre elle et Takeshi. Sage décision, puisque les deux ne pouvaient pas se piffrer depuis le premier jour. Si pour Kasca le joueur de cartes faisait partie du paysage, il en était autrement concernant le troisième adolescent présent dans la pièce. A ses yeux, Takeshi Ahad n'équivalait même pas une moitié d'un métis d'une autre famille. Si elle aurait pu lui accorder un peu d'attention et d'importance, cet espoir s'était envolé dès leur première rencontre où elle s'était défoulée un peu trop fort sur le quatrième larron de la classe après que ce dernier se soit ouvertement moqué d'elle. Le caractère chevaleresque de Takeshi s'était confronté à la psychorigidité dantesque de la demoiselle. Leurs valeurs s'entrechoquant avec force, ce fut un professeur qui dut intervenir pour les séparer.
Depuis, ils ne se vouaient qu'une profonde méprise l'un envers l'autre.

Et si Katsuro, au lieu de jouer les éponges, semblait plutôt s'amuser à compter les points entre les deux rivaux, ces derniers avaient très vite compris que le plus intelligent à faire restait de s'ignorer royalement.
Sauf que... S'ignorer en classe, c'est facile. En mission, c'est vraiment délicat.

Kasca tapota d'un doigt sur sa cuisse, alors que Chiwa-sensei finissait son discours, insistant sur le fait qu'elle comptait sur eux pour agir en équipe, qu'elle ne désirait pas les voir s'entretuer, et après un regard soutenu lancée à l'Umino et au blond, les renvoya.

Le trajet en voiture fut des plus silencieux. Kasca prenait grand soin de laisser Katsuro toujours entre elle et Takeshi, pas tant pour éviter le conflit mais surtout parce que la présence et la proximité de ce dernier la débectaient.
L'assistant se gara devant un complexe de plusieurs temples abandonnés. L'endroit était silencieux et la jeune exorciste glissait déjà ses yeux sur son environnement en refermant d'un geste sec la portière de la Mercedes noire. Elle s'avança auprès de l'assistant, et des deux autres, évitant soigneusement de leur prêter la moindre attention.

Quelques consignes de sécurité données, et les voici tous les trois enfermés derrière un rideau jusqu'à ce qu'ils aient exorcisé le fléau objectif de leur venue ici. L'Umino poussa un profond soupire et s'avança d'un pas assez lent mais ni tremblant ni hésitant. Elle observait les environs, si calmes et silencieux. Trop calmes, trop silencieux. Le fléau étant un classe 2, elle ne se faisait pas trop de mourrons quant à sa capacité à l'exorciser, étant donné qu'elle avait deux outils à sa disposition -je parle bien sûr de Takeshi et Katsuro- ainsi que ses compétences. Kasca se tourna finalement vers les autres, et si elle leur lâcha un regard, ce ne fut pas de son plein gré, mais bien par obligation.

« On va faire le tour et observer les environs, d'abord. » Histoire de se familiariser avec le complexe, et leur, sûrement, futur environnement de combat. « Restons ensemble. »

Elle ne le pensait pas de bon coeur.
Mais cela lui semblait la meilleure des idées -puisque c'était la sienne- plutôt que de se séparer et de risquer de tomber isolé, nez à nez, avec le fléau. Après tout, ils n'étaient que des premières années, contre un fléau de classe 2.
Quand elle pensait "ils", elle voulait surtout parler des deux autres. Kasca ne se considérait pas à leur niveau. Sans trop attendre leur réponse, elle s'engageait dans l'allée menant à une cour un peu centrale. Tout autour trois temples se dressaient, dont un, juste en face, plus imposant.

Douce journée que voilà, à simplement devoir tailler les haies autour des temples des moines, c’était reposant, c’était calme, c’était… silencieux. Seuls le bruit des tenailles et le murmure des râteaux alentour venaient troubler cette quiétude. Encore une douce journée, tranquille.

“Katsuro, tu peux venir ?”

C’était moins une question qu’un ordre, je regardais alentour posant les ciseaux que j’avais en main. Envolés la quiétude et le moment hors du temps. L’expression douce de Chiwa-sensei avait sonné comme un glas me ramenant sur terre et à des problèmes beaucoup moins importants que la taille de ces buissons. C’est vrai quoi, qu’est-ce qui peut plus compter dans la défense et la beauté de ce lieu que d’avoir les bosquets les plus élégants ? Je montais les marches du perron, frictionnant mes mains à l’eau claire avant de pénétrer dans la salle.

“Tes camarades arrivent aussi, vous partez en mission…” C’est bien ce que je disais, une tâche bien moins importante que l’entretien de l’école, notre véritable vitrine sur le monde des exorcistes. On attire pas les mouches avec de la végétation désordonnée, je vous le dis ! “...et arrête de tergiverser, ça va être intéressant, je compte sur toi.”

Intéressant, en effet ça ne pouvait que l’être, elle avait toujours ce sourire en coin, ces yeux passant de l’un à l’autre, cherchant à apporter attention et harmonie. Ça aurait sans doute eu son effet si les deux qui nous rejoignirent n’avaient pas autant d’atomes crochus que l’eau et l’huile. Mon corps tel un bouclier contre les regards perçants de Kasca portait à Takeshi. C’est ça que vous faites Waka Chiwa-sensei ? Ne cachez pas votre rire diabolique en nous expliquant la suite, vous ne m’aurez pas. J’écoutais les informations en prenant quelques notes, autant sur ce qu’elle disait que les réactions des deux fortes têtes. Point positif, ils sont forts. Ça, j’en suis certain, le nom Umino parle déjà de lui-même, l’agilité dont elle fait preuve aussi, même si je n’arrive pas à cerner où sont les capacités si célèbres de l’Anima. Ahad, c’est plus exotique, plus obscur, mais il avait aussi fait preuve de belles choses du peu que je l’avais vu faire. Et puis c'était marrant son fourre-tout, quelles folies j'aurais fait avec un sort comme ça pour jouer au poker... Enfin bref, pourquoi me faire concourir avec des élites comme ça ? Mes pauvres haies laissées à l’abandon…

Nous voilà embarqués dans une voiture avec chauffeur, mode de vie appréciable si l’ambiance à l’arrière n’était pas glaciale. Je souriais, remerciant intérieurement mes deux compères d’avoir fait le choix de s’ignorer royalement tout le temps du trajet. J'aurais bien discuté avec notre conducteur, mais je restais aussi mutique. ça me laissait le temps de relire ce que j’avais noté travail d’équipe, blablabla, temples anciens, forêt, classe 2, blablabla . La voiture s’arrêta après un trajet assez long, la nuit arrivait. Je rangeais les feuilles sur la banquette, remontant mes lunettes sur le nez. L’air humide de la forêt emplit mes narines, ça aurait été une belle journée pour du jardinage. Les temples étaient là, l’atmosphère était lourde, sans doute que la présence du Rideau n’aidait pas à se sentir rassuré. Facile de rentrer, dur de sortir, une belle prison à ciel ouvert si vous voulez mon avis. Le passage se fit sans un mot, le voile se referma derrière nous, nous y voilà. Nos pas résonnaient plus que nos mots, pas de menace en vue pour l’instant. Ça nous laissait le temps de nous habituer aux lieux, même si ça voulait dire que nous devrions rester là plus longtemps. Je ne saurais dire ce que j’aurais préféré, mais je suivais mollement Kasca dans son initiative. Je n’allais pas avancer sans vous mes cavaliers solitaires.

“Bien chef” dis-je avec un sourire confiant, si ça lui faisait plaisir de prendre les devants, tant mieux. On avait rien de mieux à faire que d’avancer de toute façon et soit nous tombions sur notre cible, soit c’est elle qui nous tombera dessus. Tout ce qu’on pourra gagner comme informations d’ici là, sera à notre avantage. Une cour, un point central, un point de pivot, excellent lieu pour que nos amis se battent si vous voulez mon avis, de la place pour se mouvoir, une visibilité intéressante, des buissons mal entretenus pour se cacher. Je me notais l’emplacement central dans la tête, ce sera mon point de repère si d’aventure l’exploration des temples s'avérait tortueuse. Nous continuions notre marche à peine ponctuée de quelques mots et de souffles. Non mais ces arbustes-là aussi… Je m’approchais, passant ma main sur les feuillages, mon regard croisant celui de Takeshi. C’était à moi de décider ? Qu’importe la direction pour l’instant non ?

Mes doigts étaient collants, des toiles d’araignées de bonne taille, mais pas de la première jeunesse, beaucoup de moucherons étaient morts simplement englués, sans plus de cérémonie. Leurs occupantes étaient parties ailleurs on dirait. Pourtant, c’est un bon coin pour elles, moustiques, mouches, insectes, il y avait de quoi faire. Pour une fois, c’est moi qui devais faire un pas vers mes compagnons, me retournant vers eux et prenant soin de leur présenter à tous les deux en même temps ma découverte. Pas sûr que ce soit vraiment une piste, mais c’était mieux que rien. Après tout, c’était aussi notre mission de détecter ce qui était inhabituel.

“Elles devraient pas être vides comme ça, pas en cette saison… Quelque chose les a dérangés.”dis-je en croyant déjà être un grand expert des araignées et insectes maintenant, enfin, c’est surtout que j’avais vécu à la campagne. Si je leur avais montré en même temps c’était aussi parce que je n’étais pas sûr non plus que leurs égos auraient supportés du favoritisme pour celui qui aurait la primeur de l’information. Aussi insignifiante soit-elle.

“On a qu’à commencer par là.”suggérais-je, pointant du pouce par-dessus mon épaule, le temple ouest, le plus petit des trois.

Pitié, avançons, je veux retourner à mon jardinage tranquille. Oui c’est silencieux comme ici, mais ça me donne beaucoup moins l’impression d’être coincé entre deux feux de forêts qui se bouffe leur oxygène l’un et l’autre. Pas sûr que les coups d’épaules et les piques acerbes soient le meilleur moyen de retrouver un semblant d’air. Il faut que je trouve le moyen de vous transformer en mégafeu.

Si Katsuro joua le jeu et accepta sans broncher l'ordre de la jeune exorciste, ce ne fut pas vraiment la même pour le troisième. Quand bien même il hocha la tête en signe d'approbation, au lieu d'emboîter le pas à l'Umino, il préféra demander directement au joueur de cartes quelle direction prendre. Le regard de glace glissa sur lui dans un mouvement de tête trahissant toute la méprise qu'elle avait à l'égard de Takeshi. Elle retint un profond soupire de justesse dans une moue étrange et préféra suivre des yeux le pas détaché du grand japonais brun, qui semblait s'intéresser d'avantage aux buissons qu'à eux.
Finalement, il eut l'air aussi surpris que Kasca de la soudaine question de Takeshi pour lui. Posant un main sur sa hanche, la jeune femme roula des yeux et les laissa décider entre eux, prenant un peu d'avance sur leur duo. Elle leur tournait le dos quand s'éleva à ses oreilles la voix de Katsuro.

Si elle écoutait vaguement tout ce que disait le blond, lorsque le malicieux et discret taroteur avait quelque chose à dire Kasca avait au moins la décence de lui accorder un peu d'attention. Aussi s'arrêta t-elle et se tourna vers lui, lorsqu'il désigna sa main pleine de toile d'araignée. Les yeux bleus s'y arrêtèrent un instant avant de retrouver le brun des prunelles du jeune homme. Kasca resta silencieuse un instant, fit glisser son regard sur les environs.
La remarque de son camarade coulait de source : s'il y avait un fléau ici, c'était normal que les bêtes soient dérangées par sa présence. Mais ça, ils le savaient déjà.

Il finit par pointer du doigt le plus petit des trois temples, derrière lui. Kasca engagea le pas fermement, bien décidée à ne plus perdre de temps à commenter des choses évidentes, comme la présence d'un fléau ici. C'était pour ça, qu'ils étaient là après tout. Oui, les toiles d'araignée étaient vides. Oui, il y avait un démon à exorciser par ici. Et oui, c'était pour ça qu'ils étaient là. N'y en avait-il pas un pour rattraper l'autre, finalement ?
Elle serait beaucoup plus rapide et efficace seule.

Gardant ses pensées pour elle-même pour ne pas échauffer un peu plus la tension palpable entre eux, son carré sursautait à chacune de ses foulées alors qu'elle sortit sa dague par prudence, en approchant du temple. Arrivant au niveau de la porte, l'expression grave et sérieuse, elle se tourna vers les deux garçons.

« Wakabayashi-kun, est-ce que tu penses pouvoir nous servir d'éclaireur ? » demanda t-elle au joueur de carte, sachant qu'il avait de quoi répondre à la positive puisque durant leurs entrainements elle avait pu voir à l'œuvre l'unique carte qu'elle lui connaissait. Elle se tourna ensuite subtilement vers Takeshi. « Ce serait bien que l'un de nous reste à l'extérieur pour faire le tour du bâtiment, voir s'il y a quelque chose d'intéressant, et rejoindre l'équipe juste après. »

Elle ne tenait pas tellement à séparer leurs forces, mais l'extérieur avait l'air plus safe que le reste donc, être à deux à l'intérieur, ça serait sûrement du gâteau, non ?

« Je rentre avec Wakabayashi-kun. » imposa t-elle en poussant la porte du temple, jetant un oeil à l'intérieur. L'obscurité présente l'obligea à plisser les yeux un instant, puis elle s'engagea dedans sans plus de cérémonie.

L'intérieur était plongé dans le noir. Quelle plaie de ne pas avoir pris de lampe torche. Kasca soupira doucement, sur ses gardes à présent. C'était à Katsuro de jouer, et d'utiliser sa carte pour les guider. En attendant, Kasca s'habituait peu à peu à l'obscurité. Ça sentait la poussière et le vieux. Personne n'était venu ici depuis longtemps, visiblement.

Bon, il était temps de se mettre au travail pas vrai ? Non pas que je n’apprécie pas de passer une nuit en forêt à l’orée de temples abandonnés à raconter des histoires effrayantes, mais si je pouvais dormir dans un vrai lit ce soir, je ne serais pas mécontent. Prenez la tête de l’expédition milady, protéger votre roi. Enfin, sauf si celui-ci peut vous être utile. Je hochais la tête à la demande de Kasca, oui sur ce point-là, j’étais le plus prédisposé pour cette tâche.

Je vous disais que je voulais en finir rapidement, mais idéalement la fin se ferait sans douleur, ou sans être surpris par un Fléau dans un coin d’ombre. Allons-y The Chariot, montre-toi. J’exécutais ma manœuvre, pas d’urgence pour l’instant, autant essayer de faire en sorte que notre éclaireur soit le plus à même d’avancer. Me voilà donc en train d’exécuter ce qui se rapproche le plus d’une danse pour renforcer le minion qui nous rejoindrait bientôt. J’avais tiré mon jeu de cartes par superstition, non pas que ça changeât grand-chose par rapport à n’importe quel autre bout de papier, mais dans ce genre de situation, ça restait mon meilleur médium.

J’écoutais distraitement la suite des instructions de notre leader d’opération. J’étais un peu attristé pour Takeshi, je n’étais pas persuadé que sa valeur serait utilisée au mieux en le gardant à l’extérieur. Il fallait bien que quelqu’un s’y colle néanmoins et d’un autre côté, envoyé les deux ensembles à l’intérieur pouvait compromettre la mission bien plus que notre adversaire tapi dans l’ombre. Je jouais avec les cartes, les mélangeant habilement, les faisant passer d’une main à l’autre. Oups, carte qui m’échappe, tant pis, reste là. Peut-être que notre garde à l’entrée pourra te récupérer ensuite et te ramener à tes sœurs ?

Les cartes volaient, quand finalement je me décidais à en retirer une du paquet, dans un tour de passe-passe le reste disparaît. Abracadabra, et la carte du jour, ou plutôt du soir est… C’était pas ce que j’espérais, mais bon. Je serais la carte entre mon majeur et mon index, sentant de plus en plus l’Energie occulte affluée. Il était là.

“La Tempérance renversée, Remise en question et repositionnement. ” incantais-je, laissant la carte tomber de ma main.

Elle semble alors commencer à s’enfoncer dans le sol. Une demie seconde passe avant que le bruit d’une cloche retentisse. Vous avez vu comme j’ai bien appris ma leçon Chiwa-sensei ?

Pour mes deux camarades, ils savaient ce qui allait suivre. Émergeant du sol, un tricorne, un crâne aux yeux luisants, un pirate ? Je préférais le définir comme un corsaire, après tout, nous n’étions pas des brigands sans foi ni loi, nous avions des valeurs et une allégeance, pour nous certes, mais allégeance quand même. The Chariot était là, son embarcation se mouvant à travers le sol comme s’il y avait juste en dessous une mer invisible. Ses grandes orbites creuses ou seule la flamme occulte brillait m’observait. Il savait quoi faire, d’un mouvement de tête, je l’envoyais au-devant des ténèbres et lui emboîtait le pas dans le temple, non sans un dernier regard entendu vers notre camarade métis.

Ta mission est aussi importante que la nôtre. Protège nos arrières cher cavalier.

L’odeur de renfermé est forte, mais il n’y a pas que ça, difficile de s’habituer à l’obscurité totale malgré une première étape dans la pénombre. Nous étions vraiment dans le noir absolu, la seule lumière provenait de l’entrée où l’ombre de notre camarade s’agita un instant avant de reprendre sa place. The Chariot n’émettait aucune lumière comme on aurait pu le croire, mais ça ne l’empêchait pas de pouvoir se mouvoir avec aisance. Il avançait plusieurs pas en amont et, même sans vision, je voyais. Étrange sensation, mais la connexion entre mes invocations et moi étions comme ça, fonce fidèle éclaireur, ouvre-nous la voie des mers.

Le temple était certes le plus réduit des trois, il n’empêchait que l’exploration se faisait lentement, nous étions sur nos gardes. À tout instant j’étais prêt à rappeler le batelier et à dresser une barrière de fortune autour de nous. Chaque pas, me faisait me sentir un peu plus dans la gueule du loup que le précédent. Il s’arrêta au bout de quelques instants supplémentaires, je devinais une autre énergie. Je devinais Kasca proche plus que je ne la voyais et je voulais éviter de lui parler pour ne pas griller l’effet de surprise. Je m’approchais de l’Arcane, marchant doucement sur les dalles irrégulières. Un courant d’air vicié provenant du sol et, sur ses porteurs, des restes de toile d’araignée bien plus massifs que ce que je n’avais jamais vu. The Chariot peinait à manœuvrer entre les toiles, cherchant à éviter de les toucher pour ne pas donner l’alerte. Comme je m’en doutais, c’était elles les sources d’énergie étrangère, les restes des sécrétions. Un indice sur ce qui nous attendait.

Par un subtil rayon de lune qui parvint à filtrer à travers la toiture endommagée, je pu enfin discerner le visage de ma camarade. Échange de regards entendus, l’antre du loup se révélait être celui d’une araignée. Je n’étais pas spécialement motivée à l’idée d’aller sur le terrain de la bête, bien sûr, je suivrais notre chef d’équipe de fortune si elle y allait mais, ne valait-il pas mieux jouer nos cartes ici sur un terrain où nous aurions au moins connaissance de l’environnement ? D’un autre côté, qui sait sur quelles distances s’étendent les galeries et surtout, où se situe le nid du Fléau.

Pas de friction lorsque son ordre fut intimé aux deux garçons. Bien que la tension était toujours palpable entre elle et Takeshi, ils étaient tous les deux assez intelligents pour ne pas laisser ce conflit mettre en danger la mission qui leur avait été confiée. Du moins, pour le moment. Qui savait à quel moment leurs égos allaient finalement s'éclater l'un contre l'autre, encore une fois. Dans une quête de pouvoir pour l'une, dans une quête de reconnaissance pour l'autre.

Et toujours entre eux, il y avait Katsuro. Le taroteur détaché et rêveur, avec son sens de l'observation aiguisé, son sang-froid indéniable et cette légère tendance à la psychopathie peut-être. Si Kasca ne lui faisait pas plus confiance qu'à Takeshi, elle pouvait au moins lui reconnaître une certaine utilité. De plus, il allait rarement contre son sens, ce qui lui facilitait la vie, honnêtement. Un Takeshi c'était suffisant. Si en plus elle devrait se coltiner un Katsuro récalcitrant, elle ne donnerait pas cher de leurs peaux. Mais le joueur de cartes suivait, se laissait porter par le courant provoqué par les idéaux conflictuels de ses deux camarades. Toujours en retrait, mais jamais en retard.
Il avait quelque chose d'intriguant parfois, et Kasca hésitait encore entre du pur génie ou une profonde idiotie. La seule chose dont elle était certaine c'était qu'elle ne lui ferait jamais confiance.

L'Umino darda ses prunelles de glace sur lui alors qu'il jouait encore avec ses cartes. Dans son silence, elle attendait patiemment qu'il invoque la seule qu'elle lui connaissait. Dans sa grande bonté, Katsuro leur avait déjà dévoilé cette carte et son utilité. A voir ce qu'il en était maintenant sur le terrain en conditions réelles. Alors qu'il tirait la bonne, une autre tombait sur le sol et Kasca laissa ses yeux bleus la suivre s'égarer vers l'entrée du temple.
L'invocation réussie, ils entrèrent, laissant Takeshi dehors tout seul. Et c'était tant mieux. Quand bien même elle était une Umino, elle n'en restait pas moins humaine et évoluer dans une perpétuelle tension lui montait un peu les nerfs en boule. Beaucoup.

La porte se referma derrière eux dans un silence feutré, et s'engageant derrière leur éclaireur au bateau naviguant sur les flots du sol, les voici évoluant dans un espace sombre, poussiéreux et inconnu. Kasca le précédait, naturellement. Déjà parce qu'elle leadait leur duo mais aussi parce qu'entre eux deux, elle était la plus à même de les défendre. Elle laissa glisser une main contre une porte coulissante au tissu tendu, l'ouvrit avec douceur, intima un regard dans la pièce. Vide.
L'opération fut renouvelée plusieurs fois. Le temple était petit mais bourré de petites salles. Ils avançaient lentement aussi prudents et observateurs l'un que l'autre. Si Kasca avait toujours l'impression qu'il allait lui planter un poignard dans le dos à un moment, elle savait qu'elle pouvait au moins compter sur le taroteur pour d'autres compétences. Autant avec Takeshi, il n'y avait rien à y faire, autant avec Katsuro ils auraient peut-être pu s'entendre si Kasca n'était pas Kasca.

Ils s'arrêtèrent à peu près en même temps, à la sensation d'une nouvelle source d'énergie occulte. Kasca respirait calmement. Elle se tourna légèrement vers le joueur de cartes, s'assurant qu'il avait lui aussi eu la même information. Les yeux s'étant peu à peu habitués à l'obscurité, elle devinait des toiles éparses et gigantesques, qui se dressaient dans cette pièce principale. L'invocation dérivait au gré des flots dans un mouvement maîtrisé, évitant les fils de soie, chargés d'énergie occulte. Là dans le sol, l'entrée d'une tanière sifflait un chant d'air impur. Kasca resta immobile un instant, réfléchissant à la décision à prendre.
Le mieux, c'était de retrouver leur troisième camarade. S'enfoncer à deux, un combattant et un soutien, dans cette bouche c'était se jeter assurément et aveuglément en danger. Kasca n'avait pas peur, et si elle était courageuse, elle n'était pas téméraire.

Elle recula un peu contre Katsuro et lui intima d'une main sur son torse de faire demi-tour vers l'entrée, son regard bleu de glace tranchant dans les prunelles brunes aux sursauts rougeoyants du garçon, la tête légèrement levée puisqu'il était plus grand qu'elle. Elle n'osa dire de mot, ni même en chuchoter. Qui sait se qui se cachait dans la pénombre. Et s'ils avaient encore l'avantage de la surprise de leur présence contre le fléau, autant le conserver.

Pourtant, après quelques pas en arrière, Kasca s'arrêta de nouveau et se tourna d'un air pensif vers la bouche sortant du sol.
Le fléau étant sous terre, il combattrait en terrain connu. Et Kasca détestait quand l'adversaire avait un avantage certain sur elle. L'environnement, c'était son arme principale. Si elle ne pouvait pas jouer avec, et même que cela la desservait... Elle passa une main dans ses cheveux, son carré glissant au contact de ses doigts. Il fallait trouver un moyen de faire sortir le fléau de son nid, pour le combattre là où ils en auraient décidé.

Mouvement sur la gauche. Elle raffermit la prise sur son poignard et se mit directement en position de défense, un bras tendu devant Katsuro. D'aucun aurait pensé qu'elle le protégeait par humanité et solidarité, mais il suffisait de la connaître un minimum pour se rendre compte qu'il lui était simplement plus utile vivant que mort ou blessé, peut-être. Peut-être pas. Qui sait ?
Le regard glacé de l'Umino se posa sur un cocon de toile qui gigotait encore.
Elle n'était pas certaine de ce qu'il se trouverait à l'intérieur. Elle avait quelques connaissances sur les araignées, via des documentaires animaliers regardés de ci et de là, sans plus. Il pouvait s'agir d'une victime comme d'œufs prêts à éclore.

Immobile et le regard acéré sur le cocon, Kasca put entendre la porte du temple s'ouvrir et se refermer.
Quelqu'un venait d'entrer ici. S'agissait-il de Takeshi ?

Au moins, nous arrivions à nous comprendre et à penser de la même façon tous les deux. Est-ce que ce n’était pas mignon de voir les premières graines d’une collaboration germée ? De voir les prémices d’un lien se créer les yeux dans les yeux ? Bref, moins de réflexion d’ensemble, on avait du pain sur la planche. Nous reculions sous l’ordre de ma chef de fortune.

La tension monte rapidement, la combattante se retrouvant à faire face à la menace… D’un amas de toile d’araignée qui s’était mis à bouger. Je pouvais que la remercier mentalement d’avoir fait front à la place de votre serviteur. Croire que j’étais sans défense était une erreur, croire que je pouvais être meilleure qu’elle dans un affrontement pur aussi. Et de loin. Je regardais au mieux dans la pénombre ce à quoi nous avions affaire. Œufs, définitivement. Pas des plus gros, pas des plus beaux, mais ça voulait aussi dire qu’on était loin du cœur. Il n’y avait là que les ratés et nous.

Forcément que cet équilibre fragile n’allait pas pouvoir se maintenir. Le bruit de la porte qui s’ouvre et se referme. Le poids d’une présence tierce. Je me positionnais au dos de Kasca, plus facile pour elle de me planter l’une de ses dagues, plus important pour nous d’avoir un champ de vision aussi étendu que possible. Détecter l’énergie occulte ne faisait pas tout. Dos à dos, dans une valse lente, nous pouvions avoir une véritable vue d’ensemble et nous avions encore notre atout dans cette situation. En réponse silencieuse, The Chariot approcha de moi.

Takeshi nous rejoignait ? Il y avait quelque chose dehors ? Une alerte ? Non, réfléchis on t’a dit, t’es là pour ça. Si il y avait quelque chose dehors, Takeshi aurait directement donné l’alerte, il ne savait pas ce qu’il y avait à l’intérieur. Voir pire, nous aurions d’abord entendu les bruits de l’affrontement de notre ami au sang chaud. Ce n’était donc pas une alerte ou quelque chose pour nous dire de sortir.

Dans ce cas, s’il rentrait, pourquoi ? Nous n’avions pas donné d’alerte non plus et le plan était clair depuis le début. Pas de son, de parole ou de question de l’intrus. En plus, un bruit d’ascension à l’extérieur… Les conclusions sont claires, il n’y a que deux options.

La première, Takeshi est rentrée car il a vu le Fléau et préfère jouer l’effet de surprise. Le Fléau est donc sur le toit. La deuxième, c’est notre camarade sur le toit et dans ce cas, ayons le cœur net. Ma main effleura le poignet de ma camarade, elle avait sans doute senti les mêmes choses que moi mais autant s’en assurer. Dans la pénombre, je pointais le toit du menton avant de revenir vers l’intérieur du temple pour lui signaler les deux présences.

Il était temps d’abattre des cartes et de voir le jeu de la personne en face. J’expédiais le batelier vers le fond du bâtiment, zigzaguant entre les piliers, les murs fins et les toiles mortes. Je sentais sa présence qui remontait le fil du chemin que nous avions emprunté. Il avançait et disparu soudainement, sans un bruit de sa part, mais comme si un poids lui était tombé dessus par surprise avant qu’il disparaisse. Ça avait été discret, sans doute que si mon attention ne s’était pas portée là-bas et que je n’avais pas cette connexion avec l’Arcane je l’aurais ratée.

Au moins c'est clair.

En effet, ça répondait à la question et le fier pirate pourrait revenir plus tard dans le jeu. Option 2 donc. Menace principale ou secondaire maintenant ? Le mieux à faire était d’aller voir. Je saisissais cette fois le poignet de Kasca, dansons très chère, mais j’ai besoin de mener un peu. Ne me tranche pas cette main pitié. Ne nous retrouvons pas non plus coincés entre deux maux. Rebroussons chemin vers ce que nous connaissons au moins un peu. Là-bas, on pourra toujours s’appuyer sur ce qu’on a vu et s’assurer qu’aucune surprise n’émerge du nid.

Le regard porté sur le chemin qu'ils avaient emprunté jusque là, après que le bruit de la porte n’ait disparu en écho dans le temple, Kasca réfléchissait à vive allure tout comme, elle le savait, son camarade. Ce fut le toucher léger des doigts longs de Katsuro qui attirèrent son attention, et dans un subtil frisson elle glissa sur lui ses yeux glacials.
Il lui indiqua silencieusement d’un geste de la tête le toit, puis l’entrée de la bâtisse. Kasca cligna des yeux et le fixa un court instant : étonnamment, tous les deux étaient sur la même longueur d’onde et si elle aurait pu s’attarder sur ce point, elle était tout à fait consciente que ce n’était ni le lieu ni le moment pour cela.

Il y avait donc deux présences ici, en plus d’eux : l’une était celle de Takeshi Ahad, l’autre un ennemi. Peut-être. Pour en être sûr, il fallait aller voir, il n’y avait pas d’autre choix. Et s’ils étaient méthodiques et prudents, ils ne manquaient pas pour autant de courage tous les deux.

Kasca contenait son énergie occulte. Si le taroteur devait se servir de la sienne pour guider le bâteau pirate qui les précédait, l’Umino décida de tenter de passer encore inaperçu si ennemi il y avait. On ne disait jamais non à un effet de surprise, après tout. Ils pouvaient bien garder cet as dans leur manche.
D’autant plus que d’après la réaction du brun, après avoir envoyé son servant au-devant, il ne s’agissait pas du troisième luron qui avait pénétré le temple après eux. Takeshi était donc sur le toit. Une information importante, et Kasca pensa déjà à un moyen de prévenir le blanc de les rejoindre. Dans tous les cas, nul doute que s’ils entamaient un affrontement, il viendrait en bon chevalier princier qu’il était. A vomir.
Bref.

Le grand japonais lui saisit le poignet, lui intimant de le suivre. Kasca glissa près de lui docilement, couvrant ses arrières, son regard balayant la salle, évitant toiles d’araignée et surveillant les nids d'œufs. A mesure qu’ils rebroussaient chemin, elle en aperçut deux autres qui avaient échappé à leur exploration, plus tôt. Fronçant un peu les sourcils, ses doigts fins jouèrent un peu sur le manche de son poignard. Si elle ne faisait pas, et ne ferait son doute jamais, une confiance aveugle au joueur de cartes, elle devait bien se rendre à l’évidence qu’il était dans son propre intérêt d’établir une communication sereine entre eux. Si avec Takeshi l’exercice était des plus difficiles, Kasca trouvait cela plus naturel avec le nonchalant, qui la dépassait déjà d’une tête, et qui, sûrement, grandirait encore.
Ils n’avaient après tout qu’une quinzaine d’années, tous les trois.

Katsuro les faisait avancer vers l’origine de ce qui avait anéanti d’un coup sa carte-guide. L’Umino décida de passer devant lui alors, silencieusement, détachant son poignet de la main du jeune homme et glissant devant lui prestement. Elle resta tout près, mais se sentait plus à l’aise de le précéder ainsi. Non pas qu’elle désirait absolument lead -Kasca était plus intelligente que cela- mais il fallait bien se rendre à l’évidence que les capacités physiques de Katsuro laissaient à désirer. Il était un invocateur, malgré tout, et elle était une combattante. C’était donc, logiquement, à elle de faire office de frontlane.
Aussi la voici qui menait leur marche discrète, un poil en avant par rapport à lui, mais restant tout de même à son niveau au cas où une attaque arriverait par l’arrière. Là-haut, ils pouvaient entendre quelques bruits sourds de pas. Takeshi semblait aller bien.

Quatre… Cinq… Kasca comptait les portes et les pièces visitées jusque là. Si sa mémoire était bonne -et elle était infaillible- juste après, il y avait l’entrée. Elle s’arrêta, glissant une main légère sur le plexus de Katsuro. Donc là, quelque part devant dans la pénombre, il y avait quelque chose qui les attendait. Il fallait feinter. Elle ne pouvait pas se permettre d’y aller à l’aveugle. Ils se tenaient dans un angle. Kasca hésita à jeter un regard dans le couloir donnant sur la porte d’entrée.
Y aller frontalement était une mauvaise idée. Si elle était leur adversaire, elle s'attendrait aussi à ce qu’ils arrivent par ce côté, puisque c’était l’unique voie empruntable. Alors… Son regard se porta sur les séparations coulissantes, en papier typiquement japonaises, de la pièce qu’ils venaient de longer. Peut-être qu’ils pouvaient passer par là, au travers le papier, et prendre ce fléau à revers.

Mais quelque chose n’allait pas : pourquoi aurait-il choisi de sortir de sa tanière, qu’ils avaient vu plus tôt, plus loin dans le temple, pour les attendre ici ? Si elle était ce fléau, elle aurait juste attendu sagement dans son trou que les exorcistes viennent d’eux-mêmes s’y jeter. Cela n’avait pas de sens de sortir à découvert, en tenaille en plus, puisque Takeshi n’était pas discret et qu’il était repérable. Katsuro aussi, pour le coup. Leur adversaire savait au moins qu’ils étaient deux.
Kasca ne pouvait compter que sur l’effet de surprise de sa présence à elle. Quand bien même… Elle jeta un regard vers l’arrière, derrière la grande silhouette du taroteur. Quelque chose clochait.

L’Umino recula contre lui et le poussa à l’intérieur de la pièce faisant l’angle avec l’entrée. Longeant un pan de mur en papier, elle s’accroupit ensuite et lui intima de faire de même. Là, il fallait se faire comprendre encore, même si elle se doutait que -et c’était étonnant de le voir de ses propres yeux- derrière son air nonchalant, Katsuro était pour le moins mâlin.
Kasca se désigna d’un doigt et lui pointa le mur fin qui faisait face à l’entrée. Derrière, silencieux, il y avait la chose qui avait réduit en poussière sa carte. Elle toucha ensuite du bout du doigt le torse du taroteur et mima l’angle où ils se tenaient juste avant. En soit, elle avait juste besoin qu’il lui offre une diversion pour frapper. Même si elle ne savait pas du tout ce qu’elle trouverait une fois le papier traversé.
Kasca pointa ensuite le toit, en troisième étape. Ils devaient prévenir Takeshi de les rejoindre, à trois ils seraient forcément plus forts et polyvalents. Mais peut-être que ce dernier viendrait de lui-même ?

L’Umino attendit de savoir si le joueur de cartes avait saisi son plan. Il fallait qu’ils soient accordés. Même si elle n’avait pas peur et que ce n’était pas la première fois qu’elle faisait face à un fléau, c’était quand même la première fois qu’elle devait évoluer en équipe. Et au fond, cela l’agaçait un peu.

Il fallait reconnaître que Kasca avait joué le jeu un temps avant de reprendre les devants pour protéger votre serviteur. La situation était tendue, aussi le léger sourire que je dessinais sur mon visage n’était pas vraiment là pour me détendre, mais bien parce que je me rendais compte de quelque chose. Nous faisions la paire, à voir maintenant si ce serait suffisant pour remporter la main, c’était toujours mieux qu’une carte haute !

Nous étions quasiment revenus vers l’entrée et il convenait maintenant de penser à la suite, j’ai assez fait pour l’instant et le plan qui suit semble être la meilleure solution alors que nous entendons Takeshi s’affairait au-dessus. Il y avait du bon à savoir que ce n’était que deux menaces au lieu de trois, et que la menace ne venait pas d’en haut. Kasca avait raison, je comprenais sa réflexion simple quand elle me toucha du doigt après avoir indiqué le fin volet de papier. Oui, je me sacrifierai pour vous ma reine, pour la victoire. J’en étais pas moins déçu de devoir passer en première ligne. Trouver la clé c’est bien, devoir défoncer la porte pour l’exemple ne m’amusait pas vraiment. Elle était sans doute encore invisible aux yeux de la menace alors que l’étranger et moi étions des lumières dans la nuit.

Amusant comme parfois le temps peut sembler long, comme parfois, il peut donner l’impression de s’étirer à l’infini, une seconde semblant être une minute, ou une heure. Reprenons la suite voulez-vous ? Autant faire dans le flamboyant pour continuer de couvrir notre dernier atout. Autant être un phare. Pas bien impressionnante, je faisais pourtant mine de laisser s’échapper un peu plus d’énergie occulte alors que je me redressais. Après un instant de respiration, j’avançais par le couloir que nous avions déjà emprunté. Et c’est là, que le temps sembla devenir plus épais, plus élastique.

D’abord, une véritable pestilence, elle venait de l’entrée, ensuite un bruit sourd derrière nous, des planches coupées tombant au sol. Je dois bien avouer que je ne saurais pas vous retranscrire les mots que Takeshi prononça à ce moment-là alors que le halo de sa torche éclairée maintenant de façon plus franche le noir absolu de l’entrée. Face à moi, la multitude, d’yeux, de pattes, Fléau à l’aspect débile et juvénile. Je l’aurais défini sans doute comme un classe 4 s’il n’avait pas fait preuve de discrétion. Une certaine réflexion donc, alors que la tête aux cheveux clairs apparaissait au plafond, ne se rendant pas compte de la détonation qu’il avait fait, de l’explosion qui arrivait. Fin du tour messieurs, dames, il faut révéler vos mains maintenant. Plus de place pour la discrétion aussi je remplissais mes poumons alors que la bestiole arachnéenne face à moi en fit de même. À toi de jouer l’as, je jette mes cartes pour te laisser une chance.

“TAKESHI !” criais-je pour l’alerter et qu’il attire aussi l’attention. En face, le hurlement strident de l’engeance qui se répercuta sur les murs, atteignant le trou au fond du temple. S’ils avaient besoin d’une alarme, la voici. J’étais sûr que nous avions quelques secondes, enfin plutôt, j’étais sûr d’avoir donné à Kasca quelques secondes en rajoutant Takeshi dans l’équation.

Mais surtout, si tu pouvais faire en sorte que je me fasse pas gober par un vulgaire Fléau, ça m’arrangerait. Trop tard pour jouer ma propre carte ou encore trop tôt qui sait ? Peut-être avais-je confiance en ce plan, ou peut-être avais-je besoin de la détonation pour rabattre les cartes. Il faut savoir renverser la table à l’occasion. Il faut juste espérer que je ne joue pas trop tard alors que j’arme mon poing et que le rejeton de Fléau me charge.


Fais ton œuvre Umino, réalise ton plan et rends fier tout le monde. Rends-moi fier.

Par chance, ou parce qu'elle avait su être clair, Katsuro sembla avoir tout compris à son plan élaboré dans le silence lourd du petit temple. Dans l'obscurité brisée par quelques filets de lumière qui tombaient du toit abîmé par le temps, Kasca vit son partenaire hocher la tête et déjà partir pour se mettre en position après un temps où il semblait rassembler son courage. La jeune Umino le laissa disparaître de son champ de vision pour elle-même se tourner vers le panneau en tissu fin. Raffermissant sa prise sur son poignard, elle se tenait prête à bondir dès qu'il y aurait du mouvement en direction du joueur de cartes. Elle espérait qu'il fasse un bon appât.

Un instant, le temps se suspendit et elle pouvait sentir la tension grandissante dans son corps à l'anticipation des actions à venir. Mais tout se passa très vite ensuite, et elle dut réagir tout aussi rapidement. D'abord des bruits sourds en provenance du toit, puis ensuite un flot de lumière du jour pénétrant dans le temple. Si elle avait relevé la tête pour l'apercevoir, elle n'accorda pas plus d'importance à Takeshi, malgré qu'elle n'en pensa pas moins à ses paroles, sachant pertinemment que la priorité était plutôt du côté du taroteur ainsi mis à découvert. Car si elle pouvait voir en ombre chinoise la créature arachnéenne derrière le voile de tissu, nul doute que le fléau avait une vision beaucoup plus aiguisée de son camarade. Et si la réussite d'une mission se passait d'abord en exorcisant les fléaux ciblés, il y avait quelques bonus à en tirer si tout le monde en revenait vivant.

Kasca bondit, traversant en le déchirant le panneau qui la séparait de la créature obscure. Occupée à hurler à en faire trembler les murs du temple, dans un son strident, elle ne put échapper à la lame de l'Umino. Prise par surprise, elle n'eut que le temps de plonger ses yeux multiples sur le diamant avant que cette dernière ne plante son poignard dans son crâne à la fois insectoïde et humanoïde. Pour autant, son attaque ne fut pas suffisante pour venir à bout de la créature qui semblait plus coriace que ce qu'elle avait espéré.
Et dans le fond du temple, commençait à grouiller de ses tréfonds d'étranges monstres aux huit pattes. Takeshi avait eu la merveilleuse idée de les rejoindre et se trouvait pile au bon endroit pour accueillir, et se faire accueillir, par ces nouveaux ennemis. Les toiles tremblaient quelque peu à l'arrivée de ces fléaux, plus petits mais pas moins nombreux.

Kasca elle, était au prise avec la grosse araignée. Une patte la repoussa violemment contre un mur, et elle faillit en laisser son poignard planté dans la tête de l'insecte. Arrachant la lame en même temps qu'elle vola plus loin, elle protégea ses côtes de l'impact. L'Umino grimaça à la douleur, mais ne perdit pas plus de temps avant de bondir de nouveau près du fléau. Ils le tenaient en tenaille avec Katsuro et elle espérait qu'il avait d'autres cartes dans sa manche. L'araignée s'était déplacée entre eux et si elle n'était pas stupide, elle attaquerait le taroteur, montrant son dos à Kasca qui pourrait en profiter pour bondir sur elle. Il fallait aussi compter sur Takeshi pour retenir les nouveaux arrivants à leur petite réunion dans le temple.
Mais elle savait Ahad capable de merveille avec son arsenal en poche. De toute façon, elle n'avait pas d'autres choix que de lui faire confiance sur ce coup, tout comme son regard se porta sur la silhouette du grand japonais brun. Il leur fallait agir en cohésion.

Bondir ou... Passer par en-dessous ?
L'idée lui parut bonne. L'abdomen de l'araignée était forcément plus à découvert que le reste de son corps. Si elle parvenait à la planter ici, ils l'auraient.
Katsuro faisant un merveilleux appât, son rôle était tout tracé.

Mais contre toute attente, ce fut vers Kasca que l'araignée se tourna, pianotant dangereusement sur le sol avec ses huit pattes. Elle n'avait pas l'air si grosse perchée dans les ombres, mais finalement, sa taille était plus conséquente. L'Umino ne pouvait pas reculer plus. Il allait falloir gruger pour esquiver et s'échapper. Au final, le piège s'était retourné contre elle.
Pas de panique, il fallait garder son sang-froid. Elle attendrait l'attaque et esquiverait, profiterait peut-être d'une action de son camarade pour contre-attaquer à son tour. Il fallait rester en contrôle et ne pas céder à la tension et à la peur. Elle était une Umino. Elle ne connaissait pas la peur.

Sa lame rencontra une des pattes lancées sur elle, et elle esquiva un second coup, son dos heurtant le mur qui la maintenait dans une position dangereuse. Elle ne pouvait plus que compter sur les deux autres pour lui offrir une ouverture.