Gauche, droite, ça faisait déjà deux fléaux de moins entre Izumi et le type à qui elle s’adressait. Elle n’aurait d’ordinaire pas prêté grande attention à la santé physique de qui que ce soit mais ses nouveaux associés lui avaient longuement répété au cours des derniers jours ô combien les vies des exorcistes étaient précieuses. Et puis, pour être honnête, elle doutait de pouvoir vraiment sortir de là par elle même. On lui avait vaguement parlé au QG de cette histoire de domaines, mais c’était une toute autre chose de l’expérimenter en vrai. A sa décharge, la délinquante n’aurait pas vraiment imaginé se retrouver de sitôt coincée dans l’un d’entre eux, mais elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même.
Izumi avait été missionnée quelques jours seulement après son arrivée à Tokyo. On l’avait chargé de rentrer à Osaka pour y récupérer un artefact qui intéressait l’Ordre. Comme d’habitude avec les discours des grandes pontes, elle n’avait pas compris grand-chose, si ce n’est qu’il était probable qu’un ou plusieurs fléaux se soient accaparé la relique. La jeune fille avait pour consigne de retrouver un autre membre de l’Ordre sur place, mais avait ressentie dès son arrivée une forte activitée dans le bâtiment suspecté, et avait décidé de s’y aventurer seule.
Chacun de ses pas lui confirmait qu'un affrontement avait lieu non loin de sa position, et elle s’était retrouvée avant de comprendre comment dans ce qui semblait être une sorte d’estomac géant. Étrange, elle aurait juré avoir été en train de marcher au milieu d’un couloir en béton quelques instants plus tôt.
Si le manque d’expérience d’Izumi lui faisait souvent défaut, nul besoin ici d’être familier avec le monde de l’exorcisme pour sentir l’embrouille arriver. Activant sa technique innée, la délinquante répandit instantanément une forte chaleur au travers de son corps tout entier, augmentant fortement son explosivité, sa résistance et sa souplesse, et ce juste à temps pour esquiver la charge de deux petits fléaux. La jeune fille les observa, les yeux plein de mépris. Ils n’étaient que vaguement humanoïdes, et tous deux environ deux fois plus petits qu’Izumi, mais autrement plus trapus.
“Des classes 3 hein ? Cassez vous de là.”
Surprenant les abominations par une vitesse peu commune, Izumi expédia un pénalty au premier qui l’envoya rebondir plus loin, avant de plaquer le second sous son genou et de lui écraser la tête de quelques coups bien placés. Consciente qu’il valait mieux ne pas s’attarder, elle entama un sprint vers le cœur du domaine, qu’elle atteignit bien vite pour y retrouver un grand nombre de classes 3 similaires aux précédents en train de s’acharner sur un autre humain. C’était donc lui son binôme ? Heureusement qu’elle avait pris les devant plus tôt, sans quoi ce type se serait retrouvé seul.
Seulement voilà, à peine s’était-elle fait la remarque qu’elle vit son présumé partenaire s’écrouler sous le nombre des adversaires. Près de lui, et comme pour le narguer, se trouvait un fléau plus grand, qui semblait parfaitement à sa place au sein du domaine, comme s'il en était le maître. Remarquant Izumi, il bondit en arrière et précipita les petits fléaux en sa direction d’un simple geste de la main alors que d’autres émergeaient des murs. C’était lui l’ennemi à abattre, mais Izumi ne parvenait pas à l’approcher tant ses sbires étaient nombreux et se résolut donc à protéger le corps inconscient de l’exorciste qui gisait plus loin, se lançant ainsi dans un duel d’endurance qu’elle doutait de pouvoir gagner. Qu’importe, elle n’avait pas le choix et elle ne comptait pas se soumettre sans batailler.
Les missions de dernière minute, ce n'était pas forcément ce qui faisait le plus plaisir à l'hôte du ver des abysses. Mais malheureusement, squattant la plupart du temps l'école de Tokyo, il était ainsi un exorciste assez aisé à contacter (et à forcer) en cas de problèmes. Et pour le coup, c'était le cas. Quelque chose de plus compliqué, un fléau plus puissant que prévu, assez pour que sa présence même altère la réalité et l'espace sous les traits de son domaine intérieur. Et malheureusement, l'exorciste envoyé n'avait très certainement pas le niveau pour gérer ça en solo. Du coup, ce n'est pas des chasseurs de fantômes qu'on appelle, mais le seul gugusse occupé à lire un magasine aléatoire récupéré dans un konbini, tranquillement installé au fond de son lit en pensant profiter d'une journée au calme.
Et merde.
« Mais, eh, je. Oui. Ok. Ça va. »
Soumission obligatoire pour celui squattant les bâtiments du monde occulte. Malheureusement. Aucune information quant à son partenaire, aussi, seulement que c'était une femme et qu'elle était relativement nouvelle dans le métier. C'était compréhensible : ce n'était pas une exorciste récupérée du berceau et entraînée dans une des écoles, mais une personne extérieure à ce système qui fut sûrement entraînée "sur le tas" par un exorciste plus expérimenté. Ce n'était pas vraiment quelque chose d'impossible. C'était un peu plus précis concernant la mission : une relique occulte aurait libéré son énergie, la protection apposée par ses semblables s'étant rompus avec le temps, amenant ainsi un grand nombre de fléaux à s'en approcher.
Et en plus ce n'était pas la porte à côté, mais dans le Kansai. Parfait. Tout bonnement parfait. Heureusement que les avions existaient, sinon il aurait eu l'excuse pour ne pas avoir à y aller, faute de temps. Mais Dieu n'était pas assez satisfait de l'état de l'héritier des Umino, et autant le mettre un peu plus dans le mal.
Après un peu plus d'une heure, un vol d'avion et un sandwich avalé tout en courant au travers d'un dédale de couloirs d'un aéroport légèrement bondé, c'est aux côtés d'un assistant, un nouveau qu'il ne connaissait pas, que le jeune homme arriva devant le bâtiment. S'étirant un peu, son partenaire dressa alors un rideau, cachant l'immeuble perdu dans une petite ville isolée aux yeux du monde. Enfin "cacher" n'était pas forcément le terme approprié, vu que l'image de l'endroit restait visible de l'extérieur, comme une image figée.
« Quand faut y aller. »
La porte ouverte, il y pénétra alors. Et en une fraction de seconde, avant même que son pied ne rencontre le sol, la scène entière changea. Sans même une transition. Passant de l'intérieur d'un couloir à quelque chose de plus organique, de plus humide, de plus... dégueulasse. Haussant un sourcil, les mains dans les poches, l'héritier des Umino regarda derrière lui pour voir l'absence d'une sortie, avant de plisser les yeux et de pousser un grognement d'exaspération. C'était très différent du domaine intérieur visité lors de sa mission aux côtés de Daisuke. Là-bas, l'intérieur était composé de multiples pièces carrées reliées les unes aux autres par des paravents de papier, téléportant aléatoirement les deux bourrins d'une pièce à une autre.
Là, l'endroit était plus grand, plus "visitable", et surtout, plus dégueulasse. Le bruit de son pied rencontrant le sol en chair étant d'ailleurs appuyé par des bruits humides presque caoutchouteux, lui arrachant un léger grognement de désapprobation. Bordel, forcément fallait en plus que ça soit avec un fléau absolument dégueulasse.
Il continua finalement d'avancer, avant de finalement tomber sur Izumi. C'était une manieuse d'énergie occulte, ça, ça se sentait directement : de son corps semblait presque irradier son sort inné. Et pour le coup, Toshiyuki ne pensa même pas à quelqu'un de l'ordre, ou quoi que ce soit d'autre. Pour lui, c'était simple, cette personne était...
« Me voilà, me voilà, désolé du retard... Alors, qu'est-ce qu'on a ? »
Une petite boutade, référence aux séries américaines policières, et un grand sourire étiré sur les fines lèvres de l'exorciste. Pour lui, il se trouvait en face d'un compère, et de la fameuse exorciste qui devait être là avant lui, et qu'il devait aider. Sans se douter que sa réelle partenaire était morte un peu plus loin, achevée par quelques fléaux, le cadavre presque invisible sous le sang et les détritus, mélangés à cette ambiance et cette lumière d'un rouge écarlate qui rendait le tout encore moins lisible. Mais surtout, il remarqua qu'elle était en difficulté, en plein combat... Sans pour autant remarquer le fléau plus gros, qui venait de disparaître, sûrement en le voyant venir.
Ni une, ni deux, Toshiyuki s'élança en avant, son bras émettant une légère lumière d'un bleu sombre alors qu'il frappe soudainement l'air, lançant son propre sort inné. Une espèce de tornade noire frappa l'air juste devant lui, le vide, qu'il dévora au passage, l'espace se recomposant en rapprochant brutalement une partie des fléaux s'attaquant à Izumi. D'un nouveau coup, c'étaient désormais les fléaux les visés par l'hôte du ver, qui les dévora ainsi de la même manière, en fracassant cette espèce de tornade noire qui engloutis les petites créatures, les faisant totalement disparaître. C'était déjà ça de fait.
Curieuse interruption que celle du nouveau venu. Si elle lui était reconnaissante, Izumi était pour le moins confuse. C'était lui son binôme ? Mais alors qui était donc le macchabée qui s'enfonçait lentement dans le domaine visqueux non loin de là ? Un civil peut-être ? Un autre utilisateur d'énergie occulte piégé ici par hasard ? Toutes ces questions commençaient à donner une sacrée migraine à la délinquante, alors elle se décida à les reporter à plus tard.
Après tout, l'important était pour l'heure de survivre, et son actuel partenaire semblait en connaître un rayon en exorcisme. Tout du moins son sort était-il assez spectaculaire pour qu’elle l’imagine calé sur le sujet, bien qu’elle soit un exemple vivant que maîtrise ne rime pas toujours avec savoir.
Les quelques assaillants restant vaincus, Izumi se décide à répondre au jovial exorciste. Contractant ses muscles, elle active sa technique au plus haut niveau atteignable pour vaporiser le sang qui s’était déposé sur elle, avant de se tourner vers Toshiyuki.
“Un sacré bordel, comme tu peux le deviner. J’ai pu voir brièvement le fléau derrière ce domaine, mais il s’est barré quand t’es arrivé. Ce truc est vicieux, et il se contente juste d’invoquer en boucle et à l’infini ces petits familiers pour enterrer ses cibles sous le nombre. Je me demande pourquoi il s’est arrêté cela dit. Peut-être que ça le fatigue ?”
La délinquante tourne la tête de gauche à droite pour observer les alentours. D’un côté comme de l’autre, elle ne peut voir que des couloirs exiguës, rougeâtres et sanguinolents.
“J’y connais pas grand chose en domaines, mais j’imagine qu’on peut pas juste sortir en frappant dans les murs ? Sinon, on pourrait toujours jouer le jeu et explorer un peu, non ? Ce clown a sûrement peur de nous affronter dans un couloir où on pourrait facilement contenir ses hordes à deux. Peut-être qu’il nous attend dans un terrain ouvert où on serait plus vulnérables.”
Izumi s’approche de la paroi visqueuse en quelques pas, puis y appose sa main, qu’elle fait fortement chauffer en quelques secondes. Le mur organique bout, produit une sorte de sifflement alors que des bulles purulentes y apparaissent puis éclatent aussitôt sous la chaleur. Pourtant, la paroi semble se reformer aussi vite qu’elle est détruite, au grand ennui d’Izumi qui s’y acharne tout de même une vingtaine de secondes.
La délinquante se retourne, l’air embarrassé vers son sauveur, puis secoue sa main pour la débarrasser de tout ce qui ne s’est pas évaporé à son contact, avant de se gratter la tête.
“Bon… plan B alors ? On trouve ce tocard de fléau et on lui casse sa gueule. ça te va ?”
Peut-être était-il particulièrement prudent, mais quelque chose faisait croire à Izumi que le maître de ce domaine n’aurait pas fui s’il ne craignait pas de les affronter. Pour autant, il ne pouvait pas décemment les garder ici indéfiniment. Enfin, peut-être que si ? Elle n’en savait rien, et ne pouvait qu’espérer que ce ne soit pas le cas, où que son camarade soit capable de déjouer ses ambitions si elles étaient bien celles-ci.
“Pas mal ta technique, d’ailleurs. Très offensif. J’aime bien. Enfin, je préfère sentir le corps de mes adversaires de briser sous mes poings, mais ton putain de vortex de la mort c’est pas trop mal non plus.”
Ce que les deux âmes ne savaient pas encore, c'est qu'en ces bas-fonds de l'occulte, ils venaient de provoquer très certainement un des quiproquos les plus étranges et les plus ridicules, dans un sens. En effet, Toshiyuki pensait clairement être en face d'une exorciste classique, là où Izumi, elle, pensait avoir devant elle un membre de l'ordre occulte. Comment pouvaient-ils être à blâmer ? Le monde sombre, celui caché du japonais moyen incapable de voir les fléaux, n'était pas forcément le plus peuplé, mais tout de même assez pour qu'on ne puisse pas forcément connaître tous ses contemporains. L'héritier des Umino avait beau être membre d'une des cinq grandes familles, ses connaissances des autres exorcistes certifiés se résumaient souvent à des visages vus de loin lors de réunions ou de missions de grandes envergures. Il connaissait peut-être même mieux les assistants qui accompagnaient chacune de ses missions aux autres exorcistes, minus quelques exceptions, bien entendu.
C'était très certainement pareil chez Izumi. L'ordre était un peu entre le groupe organisé et un centre d'accueil, notamment pour des manieurs d'énergie occulte malmenés. Par qui ? Par les malheureux incapables de ressentir cette énergie, confondant leurs dons et de la mauvaise sorcellerie, le coup du sort, le malheur et la colère. Ils étaient aussi un certain nombre, et connaître chaque tête n'était sûrement que le privilège des plus hauts gradés, et pas vraiment du membre classique qui devait déjà faire en sorte de sauver sa propre peau avant de tenter de retenir chaque visage dans chaque base de l'ordre.
... Mais cela empêchera-t-il leurs groupes respectifs de se foutre de leurs poires une fois que l'histoire sera connue ? Oui, non, pas du tout.
« C'est tout ? Ça va, y a déjà eu pire. J'imagine qu'il ne s'attendait peut-être pas à des renforts et qu'il a préféré reculer pour revoir son plan ? »
Ce n'était pas la première fois qu'il affrontait un fléau de ce genre. Une créature occulte dont les capacités réelles étaient surtout de rassembler et de fédérer, des capacités individuelles pas forcément très marquées comblés par ce petit délire d'avoir une armée à sa botte. Contre une personne seule, ce n'était pas un mauvais coup. Mais plus tu ajoutais de joueurs à la partie, et plus cette tactique devenait caduc. S'il n'avait que ça à lancer sur eux, il ne risquait pas vraiment de faire long feu, et c'était déjà une bonne nouvelle. Un retour express s'il n'y a pas de soucis et du repos bien mérité, que dire de plus ?
« Mmmh. C'est compliqué. Grossièrement le fléau influence son environnement et en altère notre perception tout comme il l'altère physiquement, bourriner les murs ne servira pas à grand chose. Il faut le trouver ou qu'il nous laisse partir, j'imagine ? »
Les connaissances de Toshiyuki se limitaient aux cours donnés non pas par l'école de Tokyo, mais à ceux de son paternel et des siens lors de ses quelques années d'entraînement, après le vol du ver des abysses. Heureusement, ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait ainsi perdu dans l'antre d'une créature occulte. Donc il savait à peu près comment gérer la chose, et si en effet bourriner les murs ne suffisait pas, bourriner le fléau à l'origine du bordel serait largement suffisant. Lui casser la gueule jusqu'à ce qu'il ne puisse plus gérer son domaine permettrait au duo de s'en sortir sans trop de soucis.
Finalement, "l'exorciste" alliée lui proposa de simplement le retrouver et de lui casser la gueule. Simple, clean, au moins ce n'était pas un plan tarabiscoté. De toute manière il ne semblait pas être l'adversaire le plus effrayant du monde. L'aspect même de l'endroit était plus atroce à regarder qu'il semblait compliqué à affronter, en vérité. Elle le complimenta même sur son sort inné, qui n'était en réalité qu'un sort emprunté au fléau vivant au travers de son âme et de ses tripes. Il étira alors un sourire en tendant sa main vers Izumi.
« Tabasser, c'est cool aussi. Au moins c'est simple à comprendre, je préfère aux sorts trop compliqués. Enchanté, en tout cas, j'm'appelle Toshiyuki et toi ? »
Toshiyuki, sans préciser son nom de famille. Heureusement ! Peut-être qu'elle aurait reconnu son affiliation à une grande famille, pour au final que ça parte dans un bordel monstre. Mais non, vu qu'il n'aimait pas son lien avec eux, l'hôte du ver évitait au maximum de préciser ce fameux lien familial. Et si d'habitude cela n'a pas d'incidence, au moins ici ça évite de briser ce joli quiproquo entre les deux âmes.
Il s'étira alors tranquillement, poussant un grognement de satisfaction en observant les alentours. Si l'endroit était transformé pour ressembler à l'intérieur d'un organe, aux murs poisseux ressemblant à des bastions de chairs légèrement palpitants comme s'ils étaient réellement dotés d'une vie et d'une conscience, cela ne l'empêchait pas de rester... un lieu. Visitable. Et à bien observer, certains couloirs semblaient se dessiner, des entrées fermées par des espèces d'organes ratatinés pour servir de porte de fortune, mais aussi des détours qui disparaissaient dans les ténèbres, l'endroit n'étant pas forcément des plus éclairés.
Concernant l'énergie occulte, cette dernière pullulait bien trop dans le lieu pour pouvoir servir de boussole. Toshiyuki n'était pas mauvais pour l'analyser, mais c'était ici compliqué. L'influence du fléau était bien trop marquée pour lui permettre de le pister comme un chien suivant l'odeur d'une proie apeurée. Malgré tout, il ressentait la présence de fléaux plus mineurs, comme des petits points sur un radar, pulluler à droite à gauche.
« Bon, c'est blindé de têtes de mouches. Mais vu qu'il a l'air de vouloir se cacher derrière le nombre, il serait peut-être judicieux de suivre l'endroit où il y en a le plus ? C'est pas forcément débile de penser qu'il serait là-bas. »
Si l'idée n'était, en effet, pas "débile", on pouvait se demander si le fléau était assez intelligent pour s'en douter et justement se planquer à un autre endroit. Mais bon, à défaut d'un meilleur plan...
La délinquante s'assure d’avoir suffisamment refroidi sa main avant de saisir celle de son allié de circonstances. Elle avait déjà fait cette erreur trop de fois. La jeune fille restait au moins satisfaite de rencontrer un autre japonais qui, comme elle, préférait les franches poignées de mains aux pudiques révérences dont son peuple était si friand. Non pas qu’il était particulièrement bien bâti d’ailleurs, mais là n’était pas la question : il y mettait de l’esprit, et c’était tout ce qui importait.
“Izumi. Ravie de faire ta connaissance.”
Izumi écoutait avec une attention diffuse les explications du nobliau. Si ses mots n’étaient pas les plus ésotériques qui soient, certains restaient toujours trop élaborés pour elle, et elle ne retint ainsi que la conclusion de Toshiyuki : oui, il leur faudrait occir ce fléau. Là encore, le nouveau venu disposait d’un avantage inaccessible à la délinquante en sa capacité de détection, visiblement bien plus fine que celle de la brute vu ce qu’il en retirait déjà. Elle ne ressentait, même avec toute la concentration du monde, qu’un amalgame d’énergie occulte tout autour, sans pouvoir distinguer grand chose avec précision. Tapant dans ses mains, elle reprend la parole avec enthousiasme.
“Tu as raison, rendons nous donc dans la zone la plus chargée en adversaires ! C’est sans doute… euh…”
Absolument ignorante sur le chemin à emprunter, elle attend que l’exorciste engage un premier pas dans ladite direction pour le suivre.
“... par là ! Parfait.”
L'impromptu duo arpente donc les couloirs de chair du domaine sans trop d’inquiétude. Izumi marche avec nonchalance, guère gênée par les curieux bruits organiques et autres éclaboussures qui naissent sous ses pas. S’il existe encore de nombreux aspects du monde occulte qui lui échappent, elle s’est vite faite à cette violence si particulière et omniprésente. De ce point de vue là, il s’agit peut-être même d’une amélioration par rapport à sa vie civile. Plus besoin pour elle de se retenir par peur de tuer ses adversaires : ceux-là sont déjà morts, et ne méritent rien de mieux que de goûter une seconde fois au trépas.
Cela dit, Izumi est curieuse de connaître l’avis des autres. Elle aurait pu demander aux cadres de l’ordre qui l’ont recrutée, bien sûr, mais elle était alors dans une position particulièrement vulnérable, et ces types semblaient de toute façon un peu au-dessus du lot. Toshiyuki est peut-être le premier gars qu’elle rencontre qui soit un tant soit peu à sa portée. Toujours aussi inconsciente du quiproquo dans lequel elle est empêtrée avec son interlocuteur, elle se tourne vers lui.
“Dis moi, Toshi’, ça fait longtemps que tu fais ce job ?”
Si le cheminement qui l’amène à cette question est parfaitement logique dans l’esprit d’Izumi, elle réalise seulement maintenant à quel point elle peut avoir l’air de sortir de nulle part aux yeux de son camarade. Elle s’empresse alors de préciser.
“Moi je suis toute nouvelle. Enfin, je voyais toutes ces merdes avant, mais j’ai pas grandi dans une famille d’exorcistes, alors j’essayais juste de les ignorer. Mais t’as l’air quand même vachement plus dans ton élément à utiliser des expressions savantes comme ça.”
Considérer le mot “altérer” comme particulièrement savant en disait sûrement plus sur l’intellect et le vocabulaire d’Izumi que sur ceux de Toshiyuki, mais elle ne semblait à l’évidence pas vraiment le réaliser, ni y accorder de toutes façons beaucoup d’attention.
“T’as un sort bien flashy en plus. Je sais pas à quel point tu le contrôles, mais tu penses pouvoir m’ouvrir un chemin vers le big boss quand on l’aura trouvé ? Il aime bien fuire le combat, mais je suis certaine de pouvoir le prendre de vitesse si j’ai pas ses 25 larbins sur le dos.”
Pas de doute, ce “putain de vortex de la mort”, comme Izumi l’avait affectionneusement surnommé, lui avait vraiment tappé dans l’oeil. Son sort à elle semblait moins bien désigné pour les attaques de zones, mais peut-être saurait-elle un jour développer des capacités similaires, qui sait ? La délinquante n’était après tout qu’une nouvelle née dans le monde de l’exorcisme, et avait toujours beaucoup à apprendre de ses capacités et de celles des autres. Il y avait déjà quelque chose de grisant à être à ce point plus fort que l’immense majorité des humains, mais elle se savait capable de devenir plus redoutable encore. C’était donc précisément ce qu’elle comptait faire.
Le fléau semblait faible. C'était un fait. Il préférait s'enfoncer dans une myriade de différentes têtes de mouches aléatoires et fléaux de basses classes tout ça pour éviter un affrontement direct. Mais quelque chose clochait malgré tout, et c'était peut-être le point qui gênait le plus l'exorciste. S'il était si faible que ça, incapable de se défaire de l'utilité de ses maigres servants, comment en était-il arrivé à être capable d'influencer son environnement ? Donner aux alentours la forme de son domaine intérieure et altérer jusqu'à la perception de l'espace, ce n'était pas vraiment le genre de chose qu'un fléau de classe trois ou deux était capable de faire. Il était très certainement un semi-un, si ce n'est un un tout court. Mais la puissance du fléau ne semblait pas forcément rendre justice à son rang. Peut-être cachait-il un autre atout dans sa manche ?
Réfléchissant tout seul dans sa petite tête, légèrement fumante, Toshiyuki en attrapait son menton comme si cela suffisait à accentuer ses capacités intellectuelles. Raté, mais bien essayé. La jeune femme à ses côtés, sinon, s'appelait Izumi. Mh. Ça ne lui disait rien. Peut-être quelqu'un de Kyoto, ou quelque chose du genre. De toute manière ils auraient largement le temps de discuter de tout ça à tête reposée une fois le boulot terminé, ce n'était pas vraiment une priorité.
En tout cas, Toshiyuki avait le chic pour se retrouver avec des gros bourrins qui aimaient rouler des mécaniques. Entre Daisuke et sa grosse faux et maintenant Izumi qui clairement pouvait le plaquer au sol d'un revers de la main, beh. Oh, le mouton noir des Umino avait une forme physique tout à fait acceptable, née des divers entraînements quasi-herculéen d'un paternel qui voyait très certainement en cette torture un doux moyen de se venger des années perdues, certes. Mais bon, ses gênes n'étaient pas ceux d'un mastodonte, et il restait bien plus fin que les deux nommés plus haut. Mais bon, dans un sens, c'était mieux. Les gros physiques comme eux étaient souvent plus bruts certes en termes de combat, mais aussi en terme de pensée, de manière d'être. Ils n'étaient pas du genre à agir dans le dos et à mentir, à se jouer des situations, comme la plupart des membres des grandes familles.
Le duo désormais en avant en direction de la masse grouillante de fléaux, il était temps de s'enfoncer dans les méandres d'un piège qui devait se refermer contre eux. C'était assez simple à comprendre et à deviner, c'était vraiment en connaissance de cela que Toshiyuki marchait. Alors que les seuls bruits sourds de leurs pas sur le sol accompagnent les bruits étranges des têtes de mouches, Izumi lui demandait depuis combien de temps il faisait ce job. Elle enchaîne directement, en précisant que de son côté, elle était toute nouvelle, et qu'elle ne venait pas vraiment d'une famille d'exorcistes. Il commença tout d'abord par un sourire franc et large, comme il en avait l'habitude, avant de prendre la parole, de sa voix grave et lente, chaque syllabe toujours dite avec attention.
« Haha, bienvenue ! Enfin, "bien" n'est pas forcément le bon terme, faire ce genre de boulot, c'est loin d'en valoir ce qu'on en gagne. »
Si elle parlait du point de vue d'un membre de l'ordre occulte, forcément, lui répondait pour des exorcistes. Et il n'était pas faux de penser qu'on ne gagnait pas vraiment au change. Entre les risques encourus et les payes qui n'en valaient pas forcément la peine jusqu'à atteindre la classe 1, et encore vu le gain des risques des missions... Bref, ce n'était pas ouf. Dans le cas d'enfants de familles, finir dans le job semblait presque naturel, ils baignaient dedans depuis tout petit. Mais pour des gens de l'extérieur, ça semblait déjà plus casse-gueule.
« Cela fait quelque temps pour moi. Mais oui, je viens d'une famille à la base, ça m'a donné quelques bases de compréhension, on va dire. Et puis bon, j'ai toujours été plus cérébral qu'autre chose, je pense que ça se voit. »
Et comme pour mieux appuyer ses dires, Toshiyuki fit tendre son biceps, à l'image de culturistes particulièrement bien bâtis. Sauf que lui, forcément, ce n'était clairement pas aussi impressionnant. Enfin, c'était un petit avantage. Avec les entraînements des Umino venaient aussi les cours, les mises en situation. Le monde occulte était certes profond et de très nombreuses choses restaient à découvrir, mais dans les différents livres de la bibliothèque familiale, de nombreux livres anciens permettaient de mieux saisir... tout ce bordel. Pour parler crûment.
« Ouais, ça devrait aller pour ça. »
D'un mouvement, cherchant à mieux exprimer ce qu'il entendait par là, Toshiyuki frappa l'air. Durant quelques secondes, cette espèce de tornade sombre se torsadant suivit le coup à un quart de seconde de décalage, dévorant l'air et l'espace jusqu'à laisser une espèce de vide, visible par la déformation qu'elle provoquait. Dans un bruit sourd, semblable à une forme d'appel d'air étrange, l'espace se reforma et subitement, une tête de mouche non loin fut comme téléportée devant Toshiyuki qui l'attrapa par son énorme tête difforme avant de l'écraser dans une décharge d'énergie occulte.
« Grossièrement, mon sort me permet de dévorer des trucs. Et ça inclut l'air. Donc je peux le rapprocher s'il essai de fuir, tout ça. »
La tête de mouche désormais morte, ses restes souillèrent la main de Toshiyuki qui poussa un léger grognement de dégoût en la secouant, avant de se nettoyer rapidement contre son pantalon. Il poussa finalement un soupir, observant les alentours.
« Mais du coup moi j'ai une excuse, toi, pourquoi t'as décidé de faire ça ? C'pas forcément giga commun. »
Techniquement, ça l'est plus qu'il ne le croyait. Mais c'était toujours assez étrange, pour lui, de vouloir s'échapper d'une vie classique pour risquer sa vie en affrontant des adversaires dont tu ne tireras au final que très peu de bénéfices. Personne ne savait, en dehors du monde occulte, que tu sauvais presque le monde à chaque sortie. Enfin, c'était peut-être beaucoup dire, mais voilà.
Pendant ce temps, ils continuaient d'avancer. Et en effet, avec les têtes de mouches plus présentes, la pression occulte elle-même semblait plus lourde, plus forte. Ce n'était pas ingérable, invivable, mais c'était surtout un signe qu'ils allaient dans la bonne direction. Même visuellement, le tout semblait plus organique, les murs plus vivants, tremblotant parfois comme animés par une soudaine poussée de vie. L'odeur, aussi. Un mélange étrange, comme une pointe de fer, un espèce de goût sanguin.
Un initié doublé d’un intello ? Voilà qui tombait bien pour la brute inexpérimentée qu’était Izumi. Que ce soit sur ce plan ou sur celui de leurs styles de combat, il semble que les grandes pontes de l’Ordre aient bien réflechi à leur assignation conjointe tant ils semblaient chacun combler les faiblesses de l’autre. Tout du moins était-ce que que la délinquante pouvait s’imaginer alors que ni elle ni l’exorciste n’étaient au fait du colossal quiproquo dans lequel ils étaient tous deux engagés.
Izumi observa avec un regard amusé la démonstration de faiblesse, parfaitement consciente et assumée, de son partenaire, et retint un ricanement par respect envers son honnêteté. Ayant fait étalage de sa bien légère force physique, Toshiyuki s’empressa alors de renverser la vapeur avec une impressionnante maîtrise de son sort dévastateur. “Dévorer” hien ? Intéressant choix de mots. Et l’exemple que l’exorciste venait de pourvoir à sa partenaire semblait confirmer que les usages du sort étaient plus larges que ce à quoi l’on pouvait s’attendre à première vue. Si Toshiyuki semblait aimer se définir comme un combattant aux forces et faiblesses bien définies, il était probablement plus polyvalent qu’il voulait bien le laisser entendre.
“C’est encore plus impressionnant que ce que j’avais compris.Très pratique aussi, même si ça doit demander beaucoup de boulot de savoir où les objets rapprochés vont apparaître.”
Izumi doutait pour sa part d’avoir un intellect suffisamment réactif pour calculer toutes ces données avec précision au beau milieu du combat. Heureusement pour elle, son sort était bien plus simple.
Alors que Toshiyuki posait sa dernière question, la délinquante envoya un pénalty bien senti à une tête de mouche qui traînait trop prêt du duo, la désintégrant sur le coup.
“Eh, difficile de parler de choix. Je suis née comme ça, et j’ai passé de bonnes années loin du monde occulte, mais on a fini par me faire comprendre que j’avais tout intérêt à rentrer dans le rang, alors me voilà. Honnêtement, ça me paraît toujours plus marrant qu’un job de merde dans une épicerie ou dans un bureau, tu vois le genre ?”
Ici au moins, Izumi pouvait laisser libre cours à ses bas instincts. Ici, elle pouvait frapper plus fort qu’elle n’avait jamais frappé aucun membre de gang rival dans son adolescence. Les fléaux n’avaient rien à faire dans ce monde, et tous ceux qui en connaissaient l’existence s’accordaient à dire qu’il fallait les en bannir à tout jamais, alors pourquoi diable retiendrait-elle ses coups comme elle le faisait avec les humains d’alors ?
“Enfin, le “cérébral” que tu es n’y vois peut-être pas autant d’intérêt que moi. Ça et le fait que tu sois né dans cette ambiance. On envie toujours le quotidien des autres, pas vrai ?”
Moins aguerrie à l’exercice que son partenaire, la délinquante remarquait, elle-aussi, qu’ils se rapprochaient de plus en plus du cœur de la forteresse de chair. Et pour cause, il y avait quelque chose d’instinctif dans ce ressenti, de presque viscéral, sans mauvais jeux de mots. Aussi Izumi renforçait-elle sa technique de pas en pas, jusqu’à ce que la chair qui recouvrait le sol se mette à fumer sous ses pieds à chaque foulée. Cette fois pourtant, l’environnement altéré ne se réforma pas, comme si le seigneur du domaine avait décidé d’économiser son énergie. Izumi attira le regard de Toshiyuki sur les traces calcinées qu’elle laisse derrière elle.
“Pas de régénération, l’enfoiré commence à se montrer économe. C’est bientôt l’heure de la baston.”
Le couloir de chair se rétrécit et s’assombrit mais on devinait, à quelques mètres seulement, une grande salle ouverte, de laquelle provenenait de multiples bruits tous plus écoeurant les uns que les autres.
“J’ai juste besoin d’un grand coup d’aspirateur pour m’ouvrir la voie. Après ça, tu fais ce que tu veux. Prêt Toshi’ ?”
Toshiyuki était souvent vu par les autres comme quelqu'un de relativement... cultivé. De part son origine noble, d'une part, enfant et héritier d'une des cinq grandes familles, mais aussi par ce mélange de ses connaissances occultes relativement appuyées par la bibliothèque familial, et sa tunique, qui respirait l'aisance financière, dans un sens. Ces points n'étaient pas forcément incohérents : en effet venir d'une grande famille offrait un puit de connaissance plus large que le manieur occulte moyen qui venait tout juste de s'enfoncer dans les méandres de la guerre contre les fléaux, mais disons que bon... En vérité, la réalité était tout autre.
L'héritier des Umino était con comme une table.
Très difficilement capable de se douter de l'usage de second degré, incapable de discerner quand une jeune femme se prenait d'affection plus que de raison pour lui, mais échouant aussi à terminer les labyrinthes au dos des boites de céréales. Toshiyuki était bien plus débile qu'il n'en avait l'air, son cerveau ne s'activant réellement qu'à partir du moment où c'est vraiment nécessaire, dans les moments critiques, ou grossièrement quand il devait "jouer à l'exorciste". Alors forcément, un quiproquo où il prenait un membre de l'ordre pour un compagnon... Il n'allait que sauter dedans à pieds joints.
« Mmmh. Ouais, euh, beaucoup de boulot. »
Il faisait tout ça à l'instinct.
Toshiyuki tapa quelques secondes dans ses mains, applaudissant le joli tir dans une tête de mouche aléatoire qui avait eu le malheur de s'approcher un peu trop. Pas qu'elle soit capable de faire grand choses. Ces grades 4 étaient à peine digne de servir d'oiseaux en cages, récupérés plus pour tester une personne quant à sa capacité à voir les fléaux que réellement chassés. "Têtes de mouche" était un terme particulièrement bien choisi. On ne chasse pas les mouches. Elles ne servent à rien. Et pendant ce temps, Izumi continua son histoire.
Encore une fois, le fait qu'à deux ils avaient visiblement autant de QI qu'un enfant en bas âge servait particulièrement bien le moment.
« Mmmh. C'est une manière de voir les choses, j'imagine. »
On oublie les morts, les clans, les fléaux horribles, les mauvaises expériences. Travailler dans l'occulte et affronter des créatures maléfiques apportaient souvent bien plus de soucis qu'autre chose. Surtout à cette époque-là, l'ombre d'un Tengen transformé planant sur le japon. Son ombre, et celle du culte astral, des fléaux nés de son influence, souvent bien plus puissants que les créatures amorphes et silencieuses qu'ils affrontaient.
Après, ils étaient tout deux différents. Des backgrounds qui ne s'accordaient pas : elle, elle avait visiblement une histoire plus violente avec le monde visible. C'était une bourrine, ça se voyait. Pouvoir enfin user de sa force sans se préoccuper des conséquences, ça devait être libérateur. Ici, si tu tues des fléaux, voir même des maîtres des fléaux maléfiques, tu étais payé, et aucune poursuite judiciaire n'était engagée. Alors que contre des humains lambdas... Et à ses derniers mots, Toshiyuki ne put qu'hausser les épaules. Différents backgrounds, différents avis.
Finalement, ils arrivèrent à ce qui semblait être la tanière de la bête. Son domaine ne réagissait plus de la même manière, plus brut, moins réactif, comme s'il cherchait à économiser ses forces, à se préparer pour la bataille qui allait venir. Izumi s'y engouffra en première, indiquant à Toshiyuki sa petite idée, mais les choses allaient elles être aussi simple ?
Une fois à l'intérieur, l'endroit semblait encore plus proche du contenu d'un corps humain. Les murs semblaient êtres faits de chairs, et battaient en rythme, comme pour simuler un rythme cardiaque. Tout l'endroit semblait plus vivant qu'autre chose, mais ce qui était le plus étonnant c'était la forme qu'avait pris le fléau : il ressemblait à une espèce de boule de chair, en l'air, maintenu par des filaments organiques, comme un cocon sur le point d'éclore. Et chose encore plus étrange, on pouvait discerner des fléaux, qui semblaient clairement décédés, dont les bouts étaient absorbés par la créature.
« Ok, on dirait qu'on la perturbe en plein repas. »
La boule commença alors à réagir aux mots de Toshiyuki, et à l'arrivée des deux manieurs d'énergie occulte, se mettant alors à vibrer. La "nouvelle forme" de la créature, ou en tout cas le cocon qui servait à maintenir sa transformation, les attaqua subitement. Il ne jouait plus avec nombre de fléaux disponibles, mais usait des filaments organiques s'échappant des murs comme des fouets pour tenter de les maintenir à distance, l'immense porte de chaire ouverte se fermant derrière eux pour les enfermer dans ce qui semblait être le cœur même du fléau. C'était comme s'ils étaient à l'intérieur de ce dernier, enfermés en son sein, face à son organe le plus vital.
Le nouvel espace auquel le duo venait d’accéder était plus spacieux. Plus réel aussi, bien que la chaleur émise par Izumi créait à tout instant un clair décalage entre elle et la prison de chair qui continuait de siffler et de se désagréger sous ses pas. Suivant les yeux de son partenaire, la délinquante posa un regard interrogatif sur la sphère, puis sur les apparitions alentours qui disparaissaient lentement.
L’observation de Toshiyuki avait de quoi inquiéter, mais Izumi espérait au contraire que la montée en puissance du fléau irait l’encourager à chercher le corps à corps plutôt qu’à se tenir à distance. Cela ne semblait pourtant pas être le plan de l’abomination, qui se mit à les assaillir de fouets de chair dont le vrai but, loin de vouloir les blesser, semblait être de les maintenir à distance. A l’évidence, le fléau voulait qu’on le laisse tranquille le temps qu’il ait fini. Peut-être n’auraient-ils pas dû marcher, après réflexion.
“Je vais le forcer à se concentrer sur moi. Reste loin et protège mes flancs, Toshi’.”
Sa consigne donnée, la délinquante s’élance aussitôt comme une balle de fusil en direction du cocon, ne se concentrant que sur les fouets arrivant de front. Désormais bouillante, elle en esquive certains et en découpe beaucoup d’autres avec le tranchant de sa main. Les différents fluides qui en jaillissent, sang ou autre, s’évaporent immédiatement au contact de sa peau, créant dans son sillage une brume carmin. Nul doute que l’obstruction visuelle aurait rendue la tâche plus rude encore au fléau s’il se servait de ses yeux, mais il y avait fort à parier qu’il se contentait de détecter son énergie occulte. Quoi qu’il en soit, la perte graduelle de ses tentacules couplée à la menace permanente du vortex de Toshiyuki avait certainement de quoi le rendre nerveux, et ses mouvements se faisaient déjà plus paniqués au fur et à mesure que la délinquante fermait l’espace entre elle et le fléau.
Une fois suffisamment rapprochée, il ne lui fallut attendre qu’une erreur de la part du cocon, et celle-ci vint bien assez tôt. Interceptant un énième tentacule, la délinquante tire sur l’appendice pour s’en rapprocher et, surtout, rapprocher l’immonde sphère de sa propre personne. Usant du double élan à son avantage, elle projette son poing droit au travers de la boule de chair, puis amorce une rotation pour l’expédier vers son camarade du jour. Loin d’en rester là, Izumi s’élance ensuite avec dynamisme à la suite de sa cible, espérant la coincer entre elle et Toshiyuki de sorte à l'annihiler rapidement.
“Ça arrive fort, Toshi’ ! On s’le fait !”
Consciente tout de même qu’elle était probablement plus capable au corps à corps que son partenaire, Izumi retient in-extremis l’entité par un tentacule qui traînait derrière pour l’atteindre la première, le poing armé. Le manteau de vapeur sanguine l’entourant jusqu’alors disparaît totalement, sa température de surface atteignant des sommets inédits.
Ah ! Enfin ! La mission avec Daisuke fut légèrement décevante à cause du fléau affronté. Si le partenaire était de qualité, le fléau final n'était clairement pas des plus mémorables, et pour le coup l'héritier de Sato avait un peu peur que cela soit pareil ici. Un petit fléau à l'énergie certes imposante, assez pour réussir à assembler une petite troupe de fléaux, mais dont les capacités martiales ou en tout cas destructrices étaient trop limitées par son apparence. Un adversaire que l'on pouvait vaincre facilement une fois bloqué dans un coin. C'était peut-être plus simple, mais bon dieu que c'était ennuyant.
Heureusement, ici, ce n'était pas le cas ! La créature se préparait clairement à affronter les deux (?!) exorcistes, récupérant de l'énergie et de la force là où il le pouvait : dans les fléaux inférieurs qui vivaient autour de lui. Et ils étaient même arrivés un peu plus tôt que prévu, l'espèce de cocon de chaire qui tremblotait doucement à leurs arrivées semblant en effet renfermé quelque chose et le protéger, durant une éventuelle transformation. A certains moments, c'était comme si des formes apparaissaient près des parois de la protection de fortune, comme si des doigts cherchaient à déchirer cette grosse baballe occulte.
Izumi semblait clairement déterminée à en terminer rapidement, et à abattre son poing sur l'œuf avant qu'en éclose la poule.
« C'est que t'es motivée. »
"Rester loin", c'était vite dit. S'il s'était entraîné à la décharge occulte, pour donner naissance à sa boule d'énergie sombre fétiche qu'il aimait bien tirer du bout de l'index, ce n'était pas pour faire joli. Malheureusement, s'il n'était pas martialement aussi entraîné qu'Izumi, son sort inné ne fonctionnait grossièrement qu'au corps à corps. Par conséquent, "rester loin" était compliqué, vu que cela réduisait atrocement ses possibilités. Mais ce n'était pas une mauvaise idée pour le moment de garder ses distances : Izumi s'élançant en première, c'était sur elle qu'allait se concentrer le cocon et surtout par rapport à ses actions qu'i alllait réagir, permettant à Toshiyuki de mieux anticiper la suite.
La jeune femme attrapa subitement une tentacule-fouet pour s'en servir et ramener à elle, tout en se rapprochant aussi, la cible, avant de fracasser son poing. Si le coup sembla avoir des effets, un grognement de douleur sombre et rauque s'échappant du cocon, sa surface n'en semblait néanmoins pas brisée, ni fracturée, résistant assez pour ne pas révéler aux opposants ce qui se tramait à l'intérieur. Ni une, ni deux, elle l'envoya finalement en direction de Toshiyuki, tout en montrant clairement qu'elle était capable de la ramener à elle juste après.
Si elle n'arrivait pas à percer le cocon, c'était à lui de le dévorer.
« J'm'en occupe, j'te sors le p'tit timide de sa coquille ! »
Se concentrant, Toshiyuki activa alors son territoire simple, ce dernier se dessinant sur le sol, dévoilant la zone d'effet de sa capacité. Lui permettant de réagir au quart de tour, c'est pile au moment où le cocon entra dans sa zone d'activation que l'hôte du ver des abysses fracassa son coup, scindant soudainement l'air d'une tornade noire qui suivait son mouvement, dévorant l'espace même et surtout arrachant dans un bruit de chair et d'os le cocon, juste avant qu'il ne soit renvoyé en direction d'Izumi, prête à donner le coup final mais...
Rien
Quand le cocon revint vers elle, elle vit devant ses yeux la surface déchirée et dévorée par le sort de son partenaire du moment. Mais à l'intérieur, rien. Aucun occupant, aucun fléau. Il avait... disparu. Puis, un bruit. Et une apparition.
« ... Oh, je vois. »
Tournant la tête, Toshiyuki vit alors, contre le mur de la pièce, une nouvelle entité. Qui était, très certainement, le fléau désormais "complet", ou en tout cas, qui venait de terminer son repas et son évolution. Comme pour contrer autant le pouvoir de Toshiyuki que la force brute de Izumi, l'être décida d'arborer une apparence plus... musclée, ressemblant à un espèce de cafard géant à la musculature saillante [image]. Ses deux ailes s'ouvrirent, dans un bruissement semblable à celui de criquets, avant de foncer avec une vitesse étonnante pour fracasser son poing dans le ventre d'Izumi, d'une manière très similaire à son premier coup sur son cocon, comme s'il lui rendait ce qu'elle lui avait balancé tout à l'heure.
D'accord, l'affaire allait être un poil plus compliquée que prévue.
Le plan initial d’Izumi, qui consistait grosso-modo à détruire le cocon avant son éclosion, avait échoué de peu, et elle se retrouvait donc avec une carapace vide dans la main. A quelques mètres d’eux se tenait désormais un fléau en bonne et due forme, et Izumi ne se rappelait pas d’en avoir vu d’aussi imposant sur le plan du pur ressenti. S’il n’était à proprement parler pas absolument cauchemardesque, en dépit de son hideuse apparence, il dégageait une forme de malveillance et de pression difficilement supportable. Loin de se retrouver réellement effrayée, la délinquante ressentait tout de même une urgence particulière à exorciser la vile créature.
“On y ret…”
Izumi s'interrompt. Non pas par choix, mais en raison du poing qui manque de peu de perforer ses muscles abdominaux et de disséminer le contenu de son ventre aux quatre coins de la pièce. Propulsée au sol par la folle frappe, la délinquante rebondit brutalement pour continuer sa course sur une dizaine de mètres avant de finalement heurter un mur de chair. En dépit de la violence du choc, elle se relève immédiatement et se précipite en direction du fléau de sorte à ne pas laisser Toshiyuki seul au corps à corps.
En dépit du tintamarre qu’elle produit en sprintant, l’ennemi semble pourtant presque exclusivement concentré sur Toshiyuki, comme s’il voyait en lui un danger bien supérieur à celui décelé en Izumi. Il se tient ainsi droit, fixant l’exorciste sans bouger un muscle, et ne se donne même pas la peine d’esquiver le coup de poing d’Izumi qui le fait à peine bouger. D’un revers du bras, il essaye de la dégager au loin, mais la délinquante se contorsionne pour esquiver l’attaque avant de lui en asséner une autre à ce qu’elle estime être une partie plus fine de sa carapace, sur son flanc. A l’image de son premier assaut, cette tentative demeure sans effet.
Se décidant finalement sur un plan d’action, le fléau déploie à nouveau ses ailes et fuse à toute vitesse vers Toshiyuki, visiblement à peine ralentit par la tentative d’interception d’Izumi qu’il traîne derrière elle alors que cette dernière maintient fermement sa cheville. La délinquante finit par planter ses pieds dans le sol, tuant un peu plus l’inertie du fléau alors que celui-ci tente d’asséner un coup à son partenaire. Le long de cette séquence, Izumi continue d’émettre de la chaleur, et, la concentrant dans sa main, finit par faire craquer la carapace du fléau au niveau de la cheville tenue. Réalisant alors seulement que la maîtrise occulte hasardeuse de la maîtresse des fléaux n’en fait pas moins une menace, l’adversaire se retourne et expédie un dantesque coup de pied qui propulse Izumi sur plusieurs mètres, et ce en dépit d’une obstruction de ses avant-bras.
Pourtant, et malgré la douleur, Izumi sourit. Les grouillement observables au niveau de la jambe du fléau lui indiquent clairement qu’il est en train de régénérer la carapace craquelée et morcelée. Si le vortex de son camarade devrait aisément lui permettre de passer outre la membrane chitineuse, Izumi devrait arriver à des résultats satisfaisants en touchant suffisamment longtemps son ennemi au même endroit. Frottant ses bras pour mitiger la douleur du dernier coup, la délinquante se relève et se met à marcher vers l’adversaire avec prudence. Elle réalise qu'il lui sera difficile de parvenir, seule, à trouver une ouverture suffisante pour faire monter la température, mais peut-être que Toshiyuki parviendra à créer une occasion ou à finir le travail lui-même. En tant qu’experte autoproclamée du corps à corps dans le duo, il revenait avant tout à elle d’occuper le fléau, la bonne nouvelle étant qu’il la prenait désormais au sérieux.
“Je vais faire ce que je peux, mais je compte sur toi pour le fumer.”
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Mar 30 Jan 2024 - 11:11
