(Ce post a été écrit à quatre mains avec Daisuke Sato.)

Kasca roula lourdement sur le sol, la faux se plantant dans l’herbe froide avant de glisser complètement à son tour dans un bruit de métal caractéristique. Le serpent-dragon siffla bruyamment son mécontentement, resserrant son étreinte sous sa poitrine. « Raah… » soupira-t-elle en se redressant quelque peu, une main frottant l’arrière de son crâne dans sa chevelure de neige, son regard trouvant le visage familier de Daisuke. Cela faisait une heure ou deux qu’ils étaient dehors à s’entraîner et parler. La faux du jeune homme était un outil efficace et intéressant, mais il lui faudrait encore beaucoup d’heures de travail pour arriver au niveau de maîtrise de son coéquipier. Kasca se laissa retomber dans l’herbe, les yeux maintenant rivés sur un ciel grisonnant aux tons ternes.

“Le truc c’est que tu vois la faux comme un outil. Il faut voir ça comme une extension de ton propre corps. Quand je plante la lame dans le sol pour avoir mon point d’appui, c’est ma main que j’insère dans la terre. En ayant parfaitement la vision de mon arme comme mon bras, l’avant bras ne va pas faillir, alors que si je la voyais comme un ustensile, j’aurais des chances de mal m’y poser, de trébucher, d’avoir peur que ça casse.” Daisuke se posa sur la pointe des pieds à côté de Kasca, illustrant ses propos avec ses mains pour appuyer l’action qu’il essayait de décrire. “Au départ, si l’arme semble trop lourde, tu peux concentrer ton énergie occulte dans ta main pour accompagner les mouvements de l’arme, pour qu’elle te semble plus légère jusqu’à ce que le concept rentre dans ta tête et que tu n’en ressente plus le poids … Comme si elle devenait ton bras.” L’héritier des Sato n’était pas certain d’être un bon prof, mais il essayait de prodiguer les meilleurs conseils qu’il pouvait pour avancer et faire évoluer sa camarade. Il était convaincu que si elle parvenait à maîtriser son arme de prédilection, les attaques combinées qu’ils pourraient faire ensemble seraient aussi nombreuses que créatives … Et donc surprenantes.

Le diamant des Umino se redressa dans l’herbe, prenant appui sur ses mains, croisant le regard du faucheur. Un sourcil légèrement relevé, elle procédait à la compréhension des propos et explications qu’il ne cessait de lui répéter depuis deux heures. Une extension d’elle-même, hein, alors qu’elle avait l’impression que la faux pesait la moitié de son poids tant elle était longue et qu’elle la déséquilibrait. Son regard glissa sur l’arme toujours abandonnée sur le sol près d’eux. Elle avait déjà tenté de renforcer sa prise avec de l’énergie occulte, mais elle ne pouvait décemment pas continuer dans cette voie puisque cela desservait son sort inné et celui de son fléau. Kasca basant ses attaques sur ses peintures inanimées, il lui était difficile de se concentrer uniquement sur le maintien de la faux entre ses mains. Elle se releva et ramassa la lame courbe, jouant quelque peu avec pour habituer ses bras aux mouvements amples et circulaires. « Je ne suis pas certaine que je puisse l’utiliser comme toi. » L’Umino reporta son regard de nouveau sur son coéquipier, le laissant vaguer de haut en bas sur lui. « Je suis plus légère. Plus rapide mais moins puissante. » Non pas qu’il lui était supérieur, s’il n’y avait pas eu son sort inné, elle lui aurait fait mordre la poussière. Mais c’était un fait : Daisuke était plus fort tandis qu’elle était plus souple et agile, sa légèreté lui permettant de virevolter plus encore que le Sato. Alors comment faire ? La faux sifflait doucement alors que Kasca la faisait danser quelque peu autour d’elle, laissant ses muscles chauds. Comment avait-elle fait, déjà, ce jour-là ? Le diamant des Umino fit volte-face et engagea sa course comme précédemment. Pour soutenir l’arme d’une main et moins se fatiguer, elle avait déjà trouvé qu’il fallait caler le manche dessus-dessous son coude. L’enrouler de cette façon lui permettait d’avoir son autre bras libre pour rééquilibrer ses foulées. Mais il n’y avait rien à faire : elle était gênée en ligne droite. Kasca arrêta sa course de quelques sauts ajustant sa prise sur l’arme. Elle marcha d’un pas lent et appuya la lame sur le sol pour se soulever sur le manche et se laisser retomber ensuite, suivant le mouvement circulaire engagé. « Peut-être qu’il faut juste faire l’inverse. »

“A mes débuts au monastère, j’étais extrêmement maigre et fin. On nous enseignait divers types de souffrance, la faim, la soif, les conditions extrêmes dûes à l’environnement, et pourtant je devais travailler la terre avec une faux similaire. A force d’entraînement et de pratique, on finit par s’y faire, et même inventer des acrobaties avec.” Il ne lui contait pas ce type d’histoire pour se vanter, mais pour lui démontrer que ce n’était pas parce que le poids de la faux était trop lourd qu’elle ne pouvait pas la maîtriser. Il la regarda attentivement, essayant de trouver des failles, découvrir ce qui pourrait aller et pointer le doigt sur ce qui n’allait pas. Mais s’il était un maître du maniement de la faux, il n’était pas le plus avisé des professeurs. Pour autant, il n’allait pas abandonner. Il avait décidé de développer et d’exploiter le plein potentiel de Kasca, ce n’était pas pour la lâcher à la moindre difficulté. Jamais. Ce n’était même pas venu à l’esprit de l’héritier des Sato. Aussi avait-il décidé de trouver tous les moyens possibles et imaginables pour qu’elle puisse s’accaparer la faux à sa manière. “A notre premier entraînement, tu as essayé de l’utiliser comme moi, et on a vu que ce n’était pas la bonne manière de faire. Il faut que tu trouves une solution pour t’accaparer la faux à ta façon. Tu peux régler ça par la manière de la tenir, la position de ta main sur le manche plus proche de la lame que moi pour avoir l’impression d’avoir un long poignard tout en ayant l’allonge du bâton en quelques secondes si tu dois changer de position, ou tout simplement te servir de son poids pour jouer avec ton environnement : là où je n’utilise que ma main pour m’y appuyer, tu peux t’en servir de tremplin ou t’y poser à pieds joints. Il faut que tu l'utilises avec ton propre style.” Regardant intensément Kasca pendant qu’il parlait pour essayer de discerner ses pensées, pour essayer de la guider en fonction de ses expressions du visage, essayant de voir si elle ne parvenait pas à comprendre ce qu’il racontait, si elle décrochait, ou au contraire si elle était absorbée par les explications. Il racontait à sa façon ce qui pouvait marcher. Il était parfois compliqué, si ce n’est impossible, de savoir ce qui se passait derrière ce visage impassible et glacial qu’était l’Umino, mais Dai avait l’impression à force de rester à ses côtés qu’il la comprenait de plus en plus, et il s’en servait ici pour lui expliquer d’une manière qu’elle pouvait appréhender, malgré ses démonstrations qu’il pensait lui même foireuses. “Il y a plusieurs manières de faire, on est limité que par son esprit. Mais tu es une artiste très créative, apprendre à s’en servir ne sera qu’une promenade de santé, en réalité.” lâcha-t-il avec un sourire entendu. S’ils galéraient depuis quelques heures - bon, peut-être quelques jours - Dai ne doutait pas un seul instant des capacités de Kasca pour maîtriser la faux plus rapidement qu’elle ne le pensait elle-même.

Si son regard divaguait quelque peu et qu’elle n’en montrait rien, elle l’écoutait pourtant attentivement. Daisuke parlait beaucoup. Genre… Beaucoup. Elle devait souvent faire le tri dans tout ce qu’il lui disait, mais il avait tendance à lâcher au milieu de ses bavardages une ou deux phrases qu’il ne fallait pas louper, forçant l’Umino à rester attentive au risque de passer à côté. Elle haussa très légèrement un sourcil à ses premiers mots. Il lâchait du lore de façon discontinue et hasardeuse, et c’était jamais beau à entendre. Les Sato et les Umino étaient fondamentalement différents, et pourtant, chacune à leur façon, les deux familles semblaient adorer traumatiser leurs enfants. Kasca décrocha la faux du sol, soulevant une motte de terre dans une grimace “Oups.” puis s’approcha d’une allure tranquille de Daisuke. Il parlait de positionnement de ses mains, ou de jouer avec le poids de l’arme, finit par conclure sur un presque compliment lorsqu’elle s’arrêta devant lui. Les yeux de tempête parcouraient le manche et la lame courbe, pensifs et plein de réflexion. Ils étaient d’accord sur ce point : elle ne pouvait pas l’utiliser comme lui, qui s’en servait depuis des années. Si elle voulait apprendre à la maîtriser rapidement, il fallait qu’elle triche à sa façon. Elle n’avait pas le temps d’y passer des années, comme il l’avait fait. Un léger soupire traversa les lèvres de la jeune femme. Repassant les paroles du Sato dans sa tête, elle finit par conclure qu’ils pensaient à la même chose, bien qu'exprimée différemment. Kasca tendit la faux au brun. « Montre moi encore comment tu la tiens. » ordonna t-elle fermement. Elle n’était pas allée au bout de sa pensée précédente, mais elle gardait en tête l’idée qui avait germé. L’Umino planta ses yeux dans ceux de Daisuke, camouflés par les lentilles de couleur qu’il portait, avant d’observer attentivement ses mains.

“Y’en a pas qu’une, sinon je finirai par être un peu trop prévisible.” L’exorciste de dernière année avait noté les efforts qu’elle fournissait à tenter de comprendre ce qu’elle pouvait bien faire de l’arme, alors même qu’elle n’était qu’au début d’un tel apprentissage. Un maître d’arme qui se respecte aurait bien mit quelques années pour la maîtriser à la perfection … Mais Kasca n’avait pas ce temps devant elle. Il ne s’agissait là d’un effort que pour mettre sur pied des combo entre les deux exorcistes, et le Sato avait bien noté l’attention qu’elle lui prêtait pour se concentrer à un exercice si particulier, alors qu’elle aurait pu au contraire focaliser toute son énergie dans le développement de son sort inné. Mais le travail en équipe semblait plus important pour cette dernière, et Dai était bien de son avis, et il était d’ailleurs ravi qu’ils partagent le même intérêt. “Généralement, ça dépend si je veux privilégier la force ou la rapidité dans le coup. Quand je commence le combat, je prend une position genou fléchis, main gauche sur le bas du manche, main droite sur le haut. Mais ça ne veux pas dire que je vais forcément abattre la faux dans cette position, parfois la droite va me donner la force ou l’élan d’effectuer un revers sans mettre toute ma force dans la gauche.” Daisuke se gratta la tête, essayant d’ordonner ses pensées. Il attaquait à l’instinct, il était un génie du combat et faisait ses propres mouvements par réflexe, c’était compliqué de les expliquer à une novice. S’il faisait la leçon à une Umino, qui avait donc des notions très avancées des tactiques dans un duel, il n’oubliait pas qu’elle n’en connaissait pas un rayon sur des armes plus originales et avancées que des simples poignards ou katana. En analysant les réactions de Kasca sur ses paroles, il repris sa faux de manière naturelle, en la tenant d’une main en son centre, jouant quelque peu avec alors que le bout du manche atteignait son épaule, lui faisant faire des cercles grâce à des mouvements de la main et du bras, puis la calant sur son épaule en la tenant toujours d’une main, pointe vers la droite pour ne blesser personne. “Y’a pas vraiment de bonne manière de la tenir, sinon. C’est en fonction de ce que tu veux privilégier comme tactique. Surprise, confort, dynamisme …”

Kasca se retint de lui couper la parole tant il lui semblait avoir entendu ça des dizaines de fois les jours précédents. Ils alternaient les entraînements, et bien qu’elle était absorbée par son Anima et son développement, l’excitation de la nouveauté avait finalement réussi à s’accaparer toute son attention. En général, les exorcistes se battaient avec des armes plus classiques et Kasca, surtout en l’ayant vu l’utiliser comme il le faisait, avait vu sa curiosité piquée. Au contraire d’une lance, la faux était déjà peu équilibrée dans sa structure. Le bout portant la lame était forcément plus lourd que le manche. Aussi, à force de réflexion et d’observation lorsque Daisuke s'entraînait devant elle, elle émettait l’hypothèse qu’il forçait l’équilibre. D’où le fait qu’il considérait la faux comme une extension de lui-même, puisqu’il la contrôlait parfaitement. Là où elle pêchait. Les yeux de l’Umino suivaient les mouvements qu’il effectuait avec attention. Elle l’avait vu faire de nombreuses fois à présent, mais elle ne parvenait pas à équilibrer l’arme par manque de force. Ils tournaient autour des mêmes réflexions depuis quelques heures, retournaient le problème en cherchant une autre solution que celle d’un entraînement de plusieurs années. Kasca gonfla ses joues dans une légère expression de frustration. Elle attrapa le manche au-dessus de la prise de Daisuke et fit basculer la faux vers l’avant en se plaçant entre lui et l’arme. « Refais pareil. » Peut-être qu’il lui fallait ressentir un peu plus comment il s’y prenait. Si elle arrivait à comprendre ce qu’il lui manquait, elle pourrait trouver de quoi combler ce qui lui faisait défaut. L’Umino, consciente que sa prise ne pouvait pas être la même que celle du brun, plaça ses mains plutôt entre celles de son coéquipier. Le manche était tout léger, puisqu’il la tenait pour elle, mais c’était surtout la pression qu’il mettait dessus qu’elle voulait sentir. Kasca resserra ses doigts fins autour du bois.

Dai voyait bien la frustration qui naissait en l’Umino, mais il commençait à manquer d’idée pour lui expliquer plus en profondeur ce qu’il ressentait quand il tenait son arme de prédilection. Cela faisait quelques heures aujourd’hui qu’ils étaient dessus, et si encore ils ne s’y prenaient qu’aujourd’hui … Mais alors qu’il allait persévérer dans des explications plus techniques encore, Kasca pris les devant et se plaça entre lui et l’arme, pour ressentir au mieux la sensation qui le traversait lorsqu’il prenait l’arme en main, pour s’approprier une meilleure position en prenant tout de même exemple sur sa façon de tenir. Les yeux du Sato s’agrandirent dans une expression de surprise, et ses pupilles se dilatèrent sans qu’il ne s’en aperçoive lui-même. Il n’avait pas l’habitude de voir Kasca aussi proche, ou du moins, pas hors combat, et la ressentir aussi près de lui fit monter sa tension, quand bien même Kasca ne s’en rendait pas compte. Dai savait apprécier la beauté intérieure comme extérieure. C’est pour ça qu’il avait tenté de courtiser le plasma stellaire : si elle était des plus charmantes, elle était aussi attentive, gentille et douce. Mais aux yeux de Dai, Kasca disposait d’autant, si ce n’est plus, de grâce et de classe que cette dernière. Quant à son caractère … Le Sato avait entrevu sa personnalité profonde à l’aide de Noble Truth. Il l’avait peut-être cerné à ce moment comme personne ne l'avait jamais vu. Donc oui, le jeune homme était bel et bien piqué. “Tu fléchis les genoux, déjà. Pour donner l’impulsion quand tu va t’élancer, si jamais tu décide de bouger.” Lâcha t-il finalement en posant sa main droite légèrement sur son épaule, avant de la remettre en position sur le manche. Puis, il déplaça ses mains vers les siennes, les pressant un peu pour qu’elle saisisse le bois avec plus de fermeté. “Plus fort. C’est toi qui contrôle l’arme, pas l’inverse. Elle fait parti de toi, ce n’est pas une gêne.” Dit-il en appuyant un peu plus les mains sur les siennes. Il fallait comprendre que l’arme devait s’adapter à elle de manière à en oublier le poids, pas l’inverse. Puis, petit à petit, il desserra les mains, histoire de voir si elle tenait la faux comme il fallait, et si elle en maîtrisait le maniement, maintenant.

Le diamant des Umino s'exécuta, raffermissant sa prise à la place de Daisuke, lorsqu’au contraire il allégeait la sienne pour la laisser soutenir l’arme. Ses doigts dansèrent un peu sur le manche, entre les mains du jeune homme qui réchauffaient les siennes, cherchant une position confortable et qui lui semblait la plus naturelle possible. Entièrement focalisée sur les sensations que la faux lui procurait, elle le laissa les guider dans un mouvement ample. Exit les cercles autour d’eux dans cette position, d’abord. Suivant l’élan donné par le Sato, Kasca soutenait la faux mais cherchait à comprendre où et quand rééquilibrer cette affaire lorsque cela était nécessaire. La mécanique du geste lui semblait très altéré, peu fluide tant elle cherchait à ressentir les choses. Cela lui tirait sur les épaules, là où il semblait très à l’aise, au contraire. Lorsqu’il engagea un cercle devant eux, elle fit glisser ses doigts en accompagnant les siens, son regard talonnant la danse aguerrie des mains de Daisuke. C’était là que retenir l’arme était le plus compliquée pour elle. Et si elle sentit la pression qu’il exerçait pour contrôler l’élan de l’arme, elle se savait incapable de faire de même. “Partie de moi, pas une gêne.” pensa-t-elle, ressassant les mots de l’exorciste. Et si elle poussait la réflexion plus loin…? Si Kasca raffermit brusquement sa prise sur le manche de la faux, ce fut uniquement pour l’arracher complètement des mains de son propriétaire. Et si effectivement, la faux devait faire partie d’elle alors, elle aussi. Elle aussi représentait la seconde moitié de l’arme. Peut-être que ? Comment avait-elle fait, l’autre jour ? Elle se laissa engager dans l’élan de la faux, tiltant enfin sur la marche à suivre. Déséquilibrée, comme lorsqu’elle avait chuté. Et c’était maintenant qu’il fallait en profiter. Si elle ne pouvait pas forcer la faux à s’adapter à elle, elle-même devait le faire. C’était évident.
Et donc, naturellement, elle suivit son mouvement. Pas un contrôlé, comme lorsque le Sato engageait la lame dans un sens ou dans un autre, c’était un mouvement désordonné mais finalement… équilibré, tant le sol ne lui avait jamais paru si loin depuis qu’elle s’essayait à la maîtrise de cette arme. Un déséquilibre en amenant un autre, elle ne cherchait pas à les combler et, comme sur un fil, se laissa porter jouant de sauts et de pas de côté. Cela n’avait finalement rien à voir avec la façon dont le Sato utilisait la faux, même si son style était aussi aérien, il était très dans le contrôle. Kasca laissa ses doigts s’ouvrirent et le manche glissa dans sa main lorsqu’elle abandonna finalement la faux et arrêta de la suivre. L’arme finit sa course sur le sol une nouvelle fois. Sans elle, cependant. D’un ou deux pas de recul, Kasca amortit l’élan restant et tourna la tête vers Daisuke. Sur la bonne voie, c’était ça qu’il fallait faire. Un léger sourire étira ses lèvres, avant qu’elle ne décroche son regard de son coéquipier et ne ramasse la faux pour la faire tourner devant elle. « Je vais finir par te la piquer à chaque fois. Tu as vu co- » Elle ne finit jamais sa phrase, son regard s’étant fixé derrière lui, sur une silhouette familière mais peu appréciée. Chika Umino observait sa fille dans une posture noble et fière, les mains jointes devant elle. Un léger silence tendu flotta avant que Kasca ne se décide à, poliment et froidement, saluer sa mère en abaissant quelque peu son buste. « Mère… Que me vaut votre visite ? » Chika lança un unique regard de méprise pure vers Daisuke, avant de l’oublier complètement. « Eh bien, tu n’as pas eu mon message visiblement. J’avais pourtant bien demandé à tes professeurs de te prévenir et de t’interdire aujourd’hui toute activité de… de ce genre. » répondit la grande femme en pointant légèrement de la main la faux. Elle glissa d’un pas léger devant sa fille, ignorant le Sato. Ses longs doigts attrapèrent le menton de Kasca qui se raidit alors que sa mère frottait une trace de terre sur sa joue. « Justement pour éviter ça. Tu n’es pas présentable. Qu’est-ce que tu as fait ? Tu t’es roulée par terre ou bien…? Heureusement que j’ai pensé à tout. Je t’ai pris un kimono pour te changer. Viens avec moi dans le petit salon réservé aux invités. » « Je suis en plein milieu d’un entraînement, j’ai plus import- » Le doigt de Chika verrouilla les lèvres de sa fille alors que son propre regard luttait avec celui de Kasca. « C’est plus important. Je t’ai trouvé un parti chez les Umino. » La jeune Umino retint ses yeux de glisser sur Daisuke, quand bien même l’envie était grande tant la situation était lunaire. Elle ne devait pas lui accorder d’importance et encore moins devant sa mère. Chika observait tout. Peut-être même qu’elle les observait depuis déjà quelques minutes. Analysant l’expression glacée de la beauté froide de la grande japonaise aux longs cheveux de neige, elle n’y trouva que le reflet de sa propre méprise. Kasca finit par hocher la tête doucement, et, au lieu de tendre la faux au Sato, la posa à même le sol, évitant tout contact avec lui. Comme s’il n’existait plus. « Bien. Et arrange moi tes cheveux aussi. Ils ont perdu de leur éclat. » Elle s’engagea derrière sa mère sans un mot, qui glissait silencieusement vers les bâtiments de l’école.

Les mouvements du Sato accompagnaient en même temps qu’ils guidaient ceux de l’Umino, mais Dai le sentait : elle était quelque peu restreinte. Bien qu’elle était focalisée et concentrée sur le fait de manipuler l’arme sans ressentir de contrainte, elle ne semblait jamais faire fi du poids de celle-ci. Mais soudain, cette dernière lui arracha la faux des mains, et le Sato n’y opposa aucune résistance. Il la laissa continuer sur son idée, comprenant immédiatement qu’elle avait eu un déclic, et il n’allait certainement pas s’indigner si des heures et des heures d’exercices parvenaient enfin à une conclusion satisfaisante. Et quelle fin intéressante : Kasca semblait n’avoir enfin fait qu’un avec l’arme. C’était littéralement deux faux qui étaient collées l’une à l’autre, chacune des parties se servant de l’autre pour évoluer sur le champ de bataille, en résultait un tourbillon imprécis et imprévisible, sans doute autant pour la manieuse de faux que l’adversaire ciblé. Dans cet optique et cette configuration aérienne, il faudrait aussi que l’Umino compte sur ses jambes pour placer des coups incisifs. Mais on était bel et bien sur un début de quelque chose. Il faudrait tout de même que la jeune femme puisse contrôler un minimum le point de chute, et ce serait parfait : ils seraient deux a maîtriser l’outil, dont l’une finalement en très peu de temps, même si c’était toujours assez brouillon. Daisuke la regarda pratiquer sa danse, les bras croisés, et un sourire fier sur les lèvres. Il n’avait jamais douté qu’elle y arriverait, mais il faut dire qu’aussi tôt, ça relevait quelque peu du miracle, surtout qu’elle s’était mit en tête de maîtriser l’outil seulement depuis quelques jours. De son côté, le jeune exorciste avait mit des années pour arriver à être un expert dans le domaine. On aurait presque pu dire qu’il était né avec sa faux dans les mains tant il l’avait pratiqué jeune. Son sourire s’agrandit d’autant plus lorsqu’elle lui adressa elle-même un sourire devant son exploit. Mais alors qu’elle allait plaisanter, elle ne finit jamais sa phrase. Dai tourna la tête vers une femme qui ressemblait étrangement à sa coéquipière, en bien plus âgée, et Kasca en donna la raison rapidement lorsqu’elle s’adressa à cette dernière. La génitrice de son amie le toisa d’un regard mauvais, qu’il lui rendit presque dans un froncement de sourcil. Dai n’était pas du genre à se laisser marcher dessus par les vieux, qu’il soit d’une grande famille ou qu’ils fassent preuve d’une arrogance quelconque. Le sang du Sato bouillit lorsqu’elle désigna son outil de prédilection, comme s’il s’agissait d’une vieille babiole sans intérêt. S’ils savaient à quel point un “truc de ce genre” pouvait faire des ravages … Il regarda sans mot dire l’échange entre mère et fille et fronça davantage les sourcils au “parti chez les Umino”. Dai ne comprit pas tout de suite ce que cela signifiait, bien que la politique dans les grandes familles soit courante. Mais au vu du contexte, de ce que cela impliquait pour son amie, et de la personne qui avait prononcé ces paroles, il fit assez vite le lien, et au moment où son cerveau enregistra l’information, son sang ne fit qu’un tour. Il tourna du coup un peu tardivement la tête vers Kasca alors qu’elle s’appliquait elle même de ne pas croiser son regard, sans doute par honte … De lui, ou de sa mère ? Et puis, qu’est-ce qu’elle en dirait ? De son point de vue, un mariage arrangé était la dernière chose à faire pour Kasca. Elle était indomptable, et son potentiel mari aurait bien du mal à la tenir en laisse, ce qui était pourtant chose courante dans ces familles : l’homme devait éclipser la femme, c’était tout simplement obligatoire. Mais d’un autre côté, Kasca pouvait-elle également laisser faire une telle alliance, elle qui ne jurait que par les Umino et son rang, pour justement plaire à sa famille ? Un bon parti, hein … Dai en resta bouche bée lorsqu’il la laissa partir. Il ne savait pas ce que Kasca déciderait, mais au vu du fait qu’elle ne rétorquait rien ici et maintenant devant sa mère … Rien de bon n’était à envisager. Pourtant, c’était loin d’être la bonne solution, il en était intimement convaincu. Alors … Il allait devoir la tirer de là, lui-même. Mais avant d’envisager n’importe quoi … Il serait de bon ton de partir à la pêche aux informations. Et puis d’ailleurs … Un bon parti ne pourrait pas se mettre dans la poche une excellente combattante Umino s’il se faisait laminer par une vermine de chez les Sato, pas vrai ? Un nouveau sourire s’étira sur les lèvres de Dai alors qu’il regardait les Umino partir au loin, vers le salon des invités. “Au travail alors.”

Kasca réajusta le kimono doré sur ses bras en tirant sur les manches. Elle retira un peu de poussière dans ses cheveux, lorsque sa mère toqua à sa porte la pressant d’une voix ferme. Roulement d’yeux bleus, le diamant des Umino trouva son chemin dans le bazar de papiers et de croquis qui jonchaient le sol de sa chambre. Elle referma rapidement la porte derrière elle avant que Chika ne puisse y jeter un coup d'œil. Un dernier check par la mère qui s’engagea ensuite dans le couloir, longeant toutes les portes, et Kasca vérifia elle-même que sa lame restait bien en place accrochée à sa cuisse sous le kimono. Son fléau trouva refuge dans son pendentif alors que d’une foulée assurée, elle suivit sa génitrice. Chika les mena au petit salon réservé, et par chance, elles ne croisèrent personne sur le chemin. Pas qu’elle aurait eu honte, mais si elle pouvait éviter des questions… Son esprit était encore sur le terrain herbeux. Si seulement elle avait pu continuer sur sa lancée. Le déséquilibre, c’était la clef. Ses mouvements étaient chaotiques, mais à l’image de sa chambre, elle s’y retrouvait parfaitement. Il ne manquait rien à présent que tout s’était débloqué, juste des nouvelles heures à manier cette faux et peut-être enfin pourrait-elle être certaine de faire de celle-ci une faille plutôt qu’un atout chez le Sato. Elle aurait l’ascendant.
Bruits de tasse posée devant elle la ramenèrent à la réalité. Kasca n’y toucha pas, assise à côté de sa mère qui tourna son visage vers elle pour vérifier une nouvelle fois qu’elle était parfaite. Regard dans le vide, dissociation légère. Agacement subtil. Chika se leva et se rendit à la porte non sans adresser quelques mots à sa fille dans un chuchotement ferme « Ne me fais pas honte. C’est un choix réfléchi, vraiment, tu verras. Il est bien. » Kasca darda ses prunelles sur la silhouette fine de sa mère alors que cette dernière ouvrait finalement la pièce à la dernière personne qui serait autorisée à y entrer, cet après-midi. Les yeux de tempête tombèrent sans mal et sans crainte sur lui, croisant ceux vairons de ce prétendu bon parti. Elle ne se leva pas pour l’accueillir, le jaugea de sa place froidement. Chez les Umino, le respect cela se gagnait. Chika le salua, elle, proprement. « Zenzo-kun, voici ma fille Kasca. »

Si Kasca restait glaciale et inapprochable, c'était pour mieux analyser cet homme que sa mère avait sélectionné pour elle. Maintes fois dans sa vie, Chika l'avait préparée à ce moment. Aucun n'avait su trouver grâce aux yeux expérimentés de sa mère, alors que celui-ci sorte du lot et attire son attention, ça valait peut-être le coup de s'y attarder et de voir effectivement ce qu'il valait.
Pour autant, elle ne perdait pas de vue que s'il représentait véritablement un bon parti, elle devait aussi en être un pour lui. Elle allait devoir user des charmes génétiques hérités de Chika, couplés à son tempérament pour un savant mélange qui ne laisserait aucun homme indifférent. Ce Zenzo ne ferait pas exception.

Chika invita l'Umino aux cheveux noirs à venir s'installer en face de sa précieuse fille. Alors qu'il s'avançait dans le petit salon pour s'assoir, Kasca en profita pour sonder sa démarche, sa silhouette, et tout ce qu'il dégageait. Elle n'avait pas loupé le skate qu'il avait laissé à l'entrée, contrastant avec l'habit rouge et noir qu'il portait, plutôt élégamment. Des épaules carrées, mais le corps fin, une marche assurée bien qu'un peu trop décontractée, dénotant sûrement d'une large confiance en lui-même. Est-ce que sa réputation était réelle, ou bien avait-on gonflé ses hauts-faits ? Que valait-il vraiment, en tant qu'Umino ?
Les yeux de tempête s'accrochèrent à ceux vairons du jeune homme. Il était un peu plus âgé qu'elle, mais Chika avait assuré que cela ne serait pas un problème. Pour autant, le léger sourire qu'il affichait rendait ses traits plus jeunes. Chika restait sagement plus en arrière, observatrice de cette première rencontre. Kasca savait exactement ce qu'elle devait faire.

S'approchant de la table, elle décolla son dos du dossier et servit du thé pour son prétendant. De ses doigts fins, elle fit glisser la tasse devant lui, les yeux polaires cherchant à percer les prunelles bicolores de ce Zenzo, dans l'établissement discret de ce que serait leur jeu à présent. Elle posait les bases, dicterait les règles. Mais elle pouvait déjà sentir que le joueur en face d'elle allait adorer cela. Chassant les dernières ombres de frustration d'avoir laissé l'entraînement à la faux et le Sato derrière elle, Kasca entra dans son rôle.

« Pas le moins du monde. » répondit-elle dans un demi-sourire, en le fixant toujours dans les yeux.

Kasca laissa le silence retomber entre eux, quelque peu, une tension à la fois mesurée mais persistante. Elle en profita, sans s'en cacher, pour observer plus avant l'Umino. Chika avait l'oeil. Et même si sa chevelure manquait clairement d'un délavage, il fallait bien avouer que l'assurance qu'il dégageait gommait les quelques défauts physiques qu'elle aurait pu lui trouver. Un coup d'oeil vers sa mère, et leur regard se croisèrent. Chika ne la laisserait pas gâcher cette opportunité. Elle devait assurer, et surtout s'assurer que le choix de sa mère était bon.

« Il paraitrait que tu as la réputation d'un petit chien... Zenzo-kun. » attaqua t-elle de front, dans un léger sourire où se disputait douceur piquante et moquerie sèche. Kasca détacha chaque syllabe de son prénom, son regard d'un azur glacé tombant de nouveau dans les joyaux de  son prétendant.

Kasca était trop fière et indépendante pour laisser sa mère mener la discussion. Chika le savait parfaitement, et elle continuait de se taire, assise sur le bout du canapé où se tenait sa fille, observant sans en perdre une miette l'échange entre les deux jeunes gens. Kasca connaissait ce qu'elle devait rechercher chez cet homme et pourquoi elle le devait. Et si finalement il correspondait à leurs attentes, elle ferait le nécessaire. De ce qu'elle en savait, il possédait aussi l'Anima, ce qui l'assurait à une potentielle descendance. Chika était futée. Elle avait aussi choisi un homme au rôle stratégique au sein de la famille : elle lui avait glissé qu'il était lui-même chargé de la surveillance du Ver des Abysses.
Kasca connaissait assez bien son cousin, Toshiyuki. Et ça ne devait pas être une mince affaire que de devoir toujours avoir un œil sur lui. Aussi, cela assurait à Zenzo une place de choix dans la hiérarchie familiale, uniquement basée sur une question de pouvoir. Une place dans la caste supérieure se gagnait uniquement au prix parfois du sang et de trahison. Kasca était bien placée pour le savoir puisque si elle n'avait pas été dotée de l'Anima lorsque son père était mort, elle aurait vu sa branche familiale tombée bien bas dans les favoris du clan.

Zenzo avait été discret au sein de la famille mais finalement, avait su trouver une voie jusqu'à une position confortable. Et mine de rien, ne rien savoir de lui, cela éveillait la curiosité naturelle et dévorante de Kasca.

En tout cas, lui non plus il n'était pas venu là pour compter des perles.

Sous son air nonchalant et son petit sourire -qui lui rappelait celui de son coéquipier- Zenzo attaquait de front, avec d'autres armes que ce que Kasca avait utilisé jusque là. Le mouvement fut subtil mais n'échappa ni à la concernée, ni à la chaperonne qui darda un regard courroucé sur le jeune homme. Kasca, elle, appréciait sa témérité. Elle avait affaire à un véritable joueur, et les choses n'en seraient que plus excitante. Passé ce moment où leurs peaux s'étaient touchées, il lui fit l'honneur de la servir et elle ne perdit aucune miette du spectacle qu'il lui offrit.
Glissant avec un léger sourire narquois sur le visage de son prétendant, les yeux de tempête s'aiguisait d'une nouvelle lueur. Bien qu'elle restait sur ses gardes, l'amusement avait pris sa place quelque part, sous couvert d'une bonne couche de malice.

Le diamant des Umino l'écouta réfuter sa pique en la transformant en un compliment et pas des moindres. Elle en haussa un sourcil, et rebondit de revêche sur les paroles du brun, croisant son regard vairon sans en être pour le moins du monde déstabilisée. Au contraire, c'était la première fois qu'elle voyait quelqu'un avec de tels yeux. Et il fallait dire que cela n'avait rien à voir avec les lentilles de contact qu'utilisait Daisuke sur ses propres yeux. L'iris ici était naturellement colorée d'un vert d'émeraude profond, et là d'un rouge carmin puissant. Kasca s'y perdit avec plaisir, lançant à Zenzo son plus beau sourire carnassier.

« Qu'importe la taille... L'instinct du chien est d'obéir. »

Si sa phrase était bourrée de sous-entendu, faisant décrocher un regard mauvais de la part de Chika à sa fille, Kasca y était certainement pour quelque chose. Zenzo n'avait pas l'air d'avoir froid aux yeux, et malgré son jeune âge, elle n'était pas la moins a même de ne pas s'essayer à autant de témérité elle aussi.
Alors qu'il glissait la tasse jusqu'à elle, elle se pencha en avant pour la lui prendre, leurs visages proches de ce fait pour un échange de regard et de sourire. L'exorciste se rassit, et elle se replia elle aussi au fond du canapé, prenant ses aises les bras étendus sur le dossier et ses jambes fines croisées élégamment devant elle.

Les yeux de tempête restaient scotchés dans ceux du Umino, alors qu'il jouait une nouvelle carte à son tour. "Umino-san" ... Kasca ne retint pas le sourire en coin drôlement amusé qui étira ses lèvres, et son regard s'affirma sur sa prise, ses pupilles se dilatant quelque peu sous l'effet de l'excitation de cette joute verbale.
Mais la jeune femme n'en était encore qu'à l'échauffement, et elle avait maintenant hâte de tester les limites de son prétendant. Cela promettait d'être au moins amusant, s'il ne feintait pas sa personnalité. A gros égo, un autre allait se heurter.

« Allons, Zenzo-kun... » ronronna t-elle, en appuyant de nouveau sur son prénom. « Tu me briserais le cœur si j'apprenais que tu ne t'es même pas un peu renseigné à mon sujet. »

Mais bon, puisqu'il fallait lui montrer... Kasca libéra d'un ordre mental son fléau et le serpent-nuage s'échappa de son pendentif pour s'enrouler droit dans son décolleté et tout autour de sa maîtresse. Sa petite tête nacrée darda deux perles chromatiques sur l'Umino, dépassant quelque peu du manche du kimono doré.
La réputation du serpent-nuage n'était plus à faire, et de ce fait, celle de Kasca concernant la force de son Anima non plus.

« Alors dis-moi, Zenzo-kun, qu'est-ce que tu attends de moi, exactement ? » demanda t-elle en se penchant en avant pour attraper son thé et le siroter.

Il sentait bon, ce Zenzo. Un parfum boisé, typique du bois de Santal, s'ouvrant sur une fraîcheur énergisante pour s'épurer dans une caractère plus intemporel. Si le bois de Santal était largement utilisé en parfumerie pour la gente plus masculine, un classique à vrai dire, il fallait dire qu'il le portait pourtant bien. Des nuances généreuses et puissantes disparurent à mesure que l'échange entre eux avançait, laissant le nez de Kasca en émoi d'un acidulé séduisant avec un goût de "reviens-y".

En témoignait le léger sourire amusé qu'elle affichait à présent. Si elle était toujours de glace et égale à elle-même, elle semblait avoir trouvé en Zenzo un adversaire parfait pour quelques joutes verbales amicales -quoique- des plus excitantes et grisantes. Le brun avait de la répartie lui aussi, et s'assurait, de son attitude un peu nonchalante, de lui rendre coup sur coup tout ce qu'elle lui envoyait. Les dents du diamant flashèrent un instant à sa réplique et aussitôt, elle répondit du tac au tac, éveillée par l'échange, ses pupilles claires brillant d'un amusement certain.

« Jamais loin de son maître, a priori. » commenta t-elle en roulant ses yeux du visage au haut du corps du jeune homme. S'il la détaillait, elle en faisait de même, nullement impressionnée par cette rencontre.

Kasca esquissa un sourire et son regard cilla au compliment, qui allait à son fléau mais surtout à elle, finalement. Elle en était certaine, tant l'intensité du regard vairon s'était affermie sur le sien. Elle le supporta, sans sourciller, enjôleuse à son tour dans un clignement presque innocent de ses paupières, mais un rictus provocateur étirant ses lèvres assurait à Zenzo qu'elle savait exactement ce qu'elle faisait.

L'Umino prit le temps de la réflexion concernant la question de son vis-à-vis, et Kasca caressa distraitement les écailles chromatiques de son fléau, caressant tout autant de ses prunelles azurées le jeune homme. Sa réponse tarda à venir mais elle se doutait qu'il jouait avec sa patience. Joueur, joueur... Assurément un comportement qui l'intéressait, sur l'instant. Il était amusant d'avoir du répondant en face d'elle.
Elle sourit quelque peu à ses demandes, roula des yeux sur la dernière tant elle était évidente. Si pour le reste elle ne fit aucun commentaire, il titillait son égo en commentant ses chances de survie devant un fléau. Elle ne pouvait décemment pas laisser passer ça et s'assura à son tour de le piquer proprement lorsqu'il lui renvoya la question.

« Tout comme toi je pense qu'il est nécessaire de préserver la lignée mais de ce que j'ai cru comprendre, il n'y aura aucun soucis à se faire de ce côté-là. » Encore une fois, et Chika retint une grimace d'indignation, sa phrase pouvait être interprétée de plusieurs façons. « Quant à des desseins plus personnels, disons que j'aimerais surtout m'assurer que mon futur mari ne sera pas un poids à mon ascension. Quelqu'un à ma hauteur, ce serait le minimum. »

Chika ne daigna pas resservir Zenzo lorsque ce dernier indiqua sa tasse vide dans un geste impoli envers sa peut-être future belle-mère. Kasca détourna la tête pour afficher un léger rictus amusé et moqueur, cachant son visage quelque peu derrière sa manche de kimono. Alors ça, c'était bien joué, Zenzo Umino.
Lorsqu'elle reposa son regard sur lui, il s'était éclairé d'une lueur un peu plus complice. S'adonner à piquer sa mère, Kasca aimait le faire tant leur relation était conflictuelle. Alors voir son prétendant s'en amuser aussi... Bien joué, il fallait l'avouer.

« On m'a dit que tu étais chargé de la surveillance de mon cousin. »

Un constat, un commentaire. Une accroche qu'elle espérait qu'il saisisse pour faire la conversation. Une tâche aussi importante que de surveiller le ver des abysses, ce n'était pas donné à tout le monde. Est-ce qu'il en était vraiment méritant ? Kasca se le demandait bien, mais derrière les yeux vairons, elle se doutait du caractère compétiteur qui lui faisait face. Il n'y avait rien qu'à voir la réplique qu'il lui offrait. Cette joute était à la fois amusante et un excellent moyen de se tester l'un et l'autre.

L'information d'un lien de parenté avec Toshiyuki Umino n'avait pas été donné au hasard non plus. Kasca comptait bien lui faire comprendre que l'Anima qu'elle possédait descendait tout droit de la lignée principale de la famille et que, de ce fait, elle était supérieure à la sienne. Et d'une toute autre qualité.
S'il n'était pas stupide -et il avait l'air loin de l'être- il en tirerait les bonnes conclusions.

Mais Kasca n'était pas une fleur, et Zenzo s'en rendrait compte bien assez tôt.

Pour l'heure, elle se faisait plutôt docile, sa curiosité piquée par le jeune homme. Pour l'instant, il cochait toutes les cases de la liste de sa mère, et elle ne se posait plus vraiment la question du pourquoi elle avait voulu lui présenter. Zenzo Umino avait le sang pur malgré une coloration sombre de sa chevelure (rattrapée par les yeux vairons, il fallait le dire, uniques), il possédait l'Anima et avait su se hisser à une place confortable au sein de la famille en s'octroyant le rôle de surveillant de Toshiyuki, habité par le Ver des Abysses. Ou plutôt le Ver des Abysses habité par Toshiyuki. Kasca ne savait plus vraiment dans quel sens cela se jouait.

Elle esquissa un sourire quelque peu amusé lorsqu'il claqua presque des dents à sa remarque. Zenzo avait l'air d'avoir aussi un sacré caractère. Mais c'était un Umino de l'élite, quoi de plus normal après tout ? Pour se hisser là où il se tenait à présent, il fallait être fort de personnalité. Les yeux clairs glissaient sur le visage du jeune homme, se dardant dans les siens si différents. Cette particularité physique était impressionnante et un instant, Kasca se perdit dans des questions de gènes, de biologie, et de pourquoi et de comment.
Son attention fut de nouveau happée par Zenzo, qui lui proposait un échange de bon procédé pour l'aider à monter les échelons au sein du clan, déclarant ne pas être intéressé personnellement par cela. Il avait pourtant le culot de penser qu'elle avait potentiellement besoin de lui pour ça. Grossière erreur.

« Je n'ai pas besoin de toi pour atteindre mon objectif. Disons que tu es un bonus pour me faciliter la tâche, Zenzo-kun. » répondit-elle dans un sourire quelque peu narquois, son regard se faisait un peu enjôleur alors qu'elle papillonnait un peu des paupières.

Kasca ne comptait que sur elle pour prendre le trône des Umino. Son futur mari devra simplement ne pas la ralentir et au mieux la servir. Mais un échange ? Arrogant Zenzo.
Un vrai Umino, après tout. Elle appréciait son audace.

Il se leva et elle le suivit des yeux tandis qu'il s'approchait d'elle en ignorant totalement Chika qui se raidit sur son siège. "Audacieux Zenzo, jusqu'où t'arrêteras-tu ?" Kasca lui sourit tout du long, alors qu'il en venait à lui présenter son bras en l'invitant à marcher dans les jardins de l'école. Elle avait glissé son regard bleu dans le sien. Toute cette situation était à la fois stressante, excitante et intéressante. Kasca posa sa main sur le bras du jeune homme avant de se lever. Les voici si proches tout d'un coup. De quoi jouer avec les nerfs de sa mère, et elle ne se fit pas prier pour ça, murmurant à son potentiel futur fiancé quelques mots, ses doigts fins glissant dans le creux de son coude.

« J'apprécie ton impudence, Zenzo-kun, mais tu sais qu'à force de jouer avec le feu tu risques de te brûler. » Ses mots elle les avait prononcés juste pour lui, et si elle le fixait à présent, elle le faisait tout à fait consciemment, avant de finalement parler à voix haute en s'écartant quelque peu de lui. « J'apprécierai prendre un peu le soleil, et sortir d'ici. » Puis de se pencher de nouveau vers lui, dans un chuchotement. « C'est qu'il commence à faire chaud par ici, tu ne trouves pas, Zenzo-kun ? »

Elle avait, de nouveau, détaché chaque syllabe de son prénom alors qu'elle tenait son visage à quelques centimètres du sien. Avant qu'il ne puisse lui voler quoi que ce soit, Kasca s'éloigna et le tira vers la sortie, sa main toujours posé sur son bras.
Chika les suivit, elle les tenait à l'œil mais dehors, elle restait un peu plus éloignée. A présent dans les jardins, le diamant et le toutou des Umino pouvaient converser plus à loisir -si ce n'était pas déjà le cas- loin d'une oreille indiscrète et d'un regard désapprobateur de la mère de Kasca.
Glissant d'un pas tranquille, la main toujours posée sur le bras du jeune homme, l'étudiante de troisième année projetait son regard sur les toits de l'école, distraite. Elle ne manquait pas d'assurance pour son âge, mais elle n'aurait pas pensé se retrouver à faire face à cette situation si tôt. A croire qu'elle ne prenait le temps de rien.

Kasca jeta son regard polaire sur son cavalier.

« Tu ne m'as pas parlé de tes fléaux. » dit-elle pour briser le silence entre eux.

Le regard clair se ficha droit sur le visage de Zenzo, lorsqu'il décida qu'il serait le centre d'attention de la jeune Umino, la tirant de sa petite rêverie. Elles étaient habituelles, chez elle, ces absences, ces dissociations. Elles étaient même nécessaires tant Kasca s'intéressait et s'intriguait de tout ce qui l'entourait. Observatrice et fine analyste, elle passait énormément de temps à regarder le monde et à se poser des questions. Questions dont elle cherchait les réponses après, dans des livres, sur internet, ou auprès de personnes qualifiées. Croiser les sources, les connaissances, tout inscrire dans des bloc-notes ou au fond de son crâne. Ces moments étaient aussi du temps pour elle. Kasca avait beaucoup d'ambition, mais une de ses principales aspirations était de satisfaire son insatiable curiosité.

Le diamant des Umino lâcha le bras de son futur promis pour toute réponse à son interrogation sur son bien-être. Léger agacement passager, qu'elle chassa en s'éloignant de quelques pas. Elle se tourna vers lui alors de nouveau, un sourire poli sur son visage alors qu'il lui offrait une porte de sortie en lui parlant enfin de ses fléaux.
Il leur avait donné des noms, et c'était étrange à entendre. Kasca en eut un subtil froncement de sourcils mais elle hocha la tête.

« Oui, je veux les voir. » répondit-elle, de son ton presque sec et autoritaire, habituel.

Tas d'os et Kida, donc.
Aucun des noms ne lui inspirait grand chose, si ce n'était le premier. Tas d'os, soit un fléau rachitique peut-être, ou bien littéralement un squelette ? Enfin, elle ne pourrait être sûre qu'en les voyant de ses propres yeux. Et lorsqu'il les libéra, elle put les observer à sa guise. Le serpent-dragon, s'enroula dans sa nuque, curieux lui aussi de voir ses collègues. Si la goule était littéralement ce que son nom présageait d'elle, elle fut plus intriguée par le rat qui s'échappait dans un sursaut, bienheureux de pouvoir courir en liberté.
Kasca n'était pas une trouillarde, et elle ne craignait pas grand chose. La vue d'un rat ne lui faisait rien : après tout, elle était une exorciste, des ignobles monstres elle en avait vu plein.

Mais sa curiosité frappa alors qu'elle observait les fléaux de Zenzo.

« Et comment combats-tu, Zenzo-kun ? Est-ce que tu te sers principalement de tes fléaux ou bien les utilises-tu plutôt en soutien ? » demanda t-elle, son esprit caracolant plus vite que les questions qu'elle pouvait formuler.

Le regard polaire s'était empreint de la même lueur que celle qu'ont les enfants, lorsqu'eux aussi posent des questions sur un sujet qui les intéresse. Le serpent-dragon siffla, ses écailles s'hérissant quelque peu à la vue de Kida qui louchait sur Kasca, ses deux petites pattes posées sur la cheville de la jeune femme. Cette dernière ne le chassa pas, s'accroupit plutôt pour l'observer de plus près. Elle ne tenta pas de tendre un doigt, trop consciente qu'elle se le ferait croquer, mais elle darda ses prunelles céruléennes sur la petite chose. Petite, mais à ne sûrement pas sous-estimer, sinon elle se doutait que Zenzo ne garderait pas ce fléau avec lui.

Kasca releva les yeux sur lui, toujours accroupie.

« Tu comptes en soumettre d'autres, des fléaux ? Tu as déjà pensé à en prendre un de la réserve au manoir ? » continua t-elle de le questionner. « Si oui, lequel ? Si non... Pourquoi ? »

Si elle se releva pour lui faire face de nouveau, ce fut surtout pour plonger ses yeux dans les siens. Kasca ne jouait plus à la jeune femme en fleurs à séduire, elle laissait parler sa propre personnalité, transparaître son naturel qui revenait au grand galop. Des questions, encore des questions, ça n'en finissait plus, finalement.

« Avec le mien, on pourra sûrement créer des combos intéressants à explorer. Ça serait bien si je peux peindre du solide un peu... Imagine, ce qu'on pourrait faire alors : tu utilises ton tas d'os comme diversion, ton rat attaque une première fois, toi ensuite et je viens du ciel pour le coup final. » La machine était lancée. « Ou sinon !  Imagine si... mmh... si on arrive à faire rebondir tes flèches ou à leur faire changer un peu de direction sur mon encre. » Son regard se perdit sur Kida qui reniflait un buisson, pensive, totalement distraite par le fil de ses réflexions. « Je pense que si je dessine une ligne courbe, avec le bon angle, je pourrais induire un mouvement dans le projectile... ou bien... »