"Vous vous êtes déjà posé la question ?
Ouais, vous savez : de comment on détruit un diplomate qui se pense intouchable ?
Ah ! Laissez moi vous la conter.
Cette sordide histoire de jalousie et de pouvoir..."
Ma vie de fléau
Il faisait froid...
Si froid...
Quelque chose m'avait consumé, s'était détaché de moi. Pendant un fragment de secondes, il me semblait savoir qui je suis, qui j'avais été, et pourquoi j'étais là à ressasser ma mort...Puis la minute suivante...plus rien. Le néant. Je n'arrivais plus à sourire...Je cherchais désespéremment un semblable autour de moi, mais il n'y avait personne. Pas une âme...Pas une vie.
Personne, hormis ces sentiments blafards et cette terrible de passer mes nerfs sur le premier venu.
Je crois avoir été humaine, pour ce que ça vaut. Pour autant, je ne m'en souviens pas. Je n'en ai pas envie, car ce serait me rappeler des détails qui pourraient bien me faire regretter une humanité dépossédée. Le destin, ou plutôt quelqu'un, avait choisi de me tuer et de me voiler la vérité. S'il y a donc un élément bien clair, c'est que je dois tuer cet homme.
Je dois tuer les humains, jusqu'à le retrouver.
Et tout au fond de moi, je sens la colère et la révolte gagner chacune des intentions que j'incarne désormais.
J'étais partie trop tôt...Bien trop tôt.
D'une manière qui ne convenait pas à mes volontés. Artificielle...Et peu élégante.
Alors pourquoi avais-je le sentiment d'être libre ? Pourquoi est-ce si bon de regoûter à toutes ces sensations passées ?
Je crois que je m'étais échappée de quelque part pour me terrer dans les montagnes. Je m'y sentais mieux ; les neiges et les lacs gelés étaient davantage en adéquation avec ma nature. Et tout était...Si calme. Je ressentais un réconfort et une quiétude toute particulière à me noyer de mes propres souvenirs disparates et imprécis. Les caresses du vent sur les plateaux hauts n'avaient d'ailleurs aucun égal...
Dans cet environnement, j'en étais devenue la Reine. Je me souviens encore de la première petite âme humaine venue à ma rencontre. Je ne saurais dire pourquoi, mais une joie incommensurable m'envahit à l'idée d'en rencontrer une...
Je l'avais aidé, malgré sa peur. J'en avait ressenti le besoin, qu'il soit rassuré un bref instant, dans mes bras, jusqu'à...
Jusqu'à le mordre. Le dévorer tout entier.
J'avais si faim.
Faim de savoir...
Faim d'existence...
Faim de puissance.
Puis d'autres ont suivi. Un par un, j'exerçais le même protocole. Je compris au bout de quelques semaines que ma faim n'était qu'un amalgame d'émotions négatives et une haine injustifiée pour le genre humain. Ô, je ne m'en formalisais pas...
Je savais dans ma nature.
Les mois passèrent dans cet exact procédé, jusqu'à ce qu'une rencontre me tira de ces mauvaises habitudes. Je fis la rencontre d'un jeune homme bien différent, mais familier. La curiosité l'emporta et pour la première fois de ma seconde vie, il ne me vint pas à l'esprit de lui faire du mal. Il était capable de me voir...Et m'avoua même que comparer aux autres, je n'étais pas aussi monstrueuse.
Le compliment me vint droit au coeur et me flatta suffisamment pour le suivre jusqu'à son village. Charmant, au demeurant. Ma présence ne fit néanmoins pas mouche. Des hommes plus avisés, plus puissants m'attaquèrent un beau jour...C'était la première fois que des exorcistes venaient tenter leur chance pour m'éradiquer.
Mais...
Pourquoi désiraient-ils m'éradiquer ?
N'étais-je pas l'un des leurs ?
J'étais perdue. Trahie...pourtant je commençais à me souvenir de Shirayuki...l'autre Shirayuki. Une exorciste, comme eux. Quelqu'un d'aimant, mais d'ambitieuse. Je tuais les fléaux, en utilisant mon sort inné et mes techniques de glace et...
Dans le miroir de mes papillons de glace, j'avais vu mon reflet.
Ce jour-là, j'ai hurlé une dernière fois tout ce qu'il restait peut-être d'humain en moi.
Résumé et chronologie :- 1992 : Naissance de Shirayuki, du petit clan Asada; spécialisée dans le commerce de cristaux quand ils n'exécutent pas leurs tâches d'exorcistes. Elle prend le nom du clan, bien que ses papiers la nomment officiellement en tant que Shirayuki Miller. Si elle n'hérite pas du sort inné familial -lequel génère et contrôle des cristaux au toucher-, elle semble avoir en sa possession un dérivé que sa famille encourage à maîtriser. Dans l'ensemble, elle passe une enfance heureuse et ne se destine pas nécessairement à la chasse ; elle se voit suivre les traces de sa mère, et gérer davantage le commerce familial avec d'autres clans.
- 2006 : Le clan Asada agit lors du scandale relatif au prisme stellaire et à Tengen. Décès de plusieurs membres dont Kaede Asada, mère de Shirayuki. Son père la prend sous son aile mais le clan ressort amoindri de ces événements. Se faisant, ils prennent l'initiative de se montrer plus ferme avec l'entraînement de leurs successeurs, vouant les années à venir à perdre leur statut de commerçants.
- 2007-2010 : Shirayuki intègre l'école d'exorcisme de Tokyo et se forme aux arts occultes, dans le but d'expérimenter la chasse et d'y exceller. C'est une élève agréable mais surtout très réfléchie, aux techniques élégantes...Peut-être trop. Il y a une forme d'égocentrisme dans son caractère. Les professeurs pressentent déjà une faiblesse dans cette ambition et ce goût pour la beauté qui font les faiblesses et les prétentions de son clan.
- 2015 : Shirayuki enquête sur de nombreux enlèvements d'exorcistes et cesse ses activités annexes pour se consacrer aux missions plus fermes ; elle espère défaire, à terme, les cultes qui manigancent dans l'ombre. Il se lie d'amitié avec un exorciste indépendant qu'elle trouve fascinant et qui semble comme la guider.
- 2019 : Shirayuki disparait au cours d'une enquête. Un maître des fléaux est suspecté, mais certaines rumeurs mettent la faute (ou une absence d'initiative pour la sauver) sur un jeu de clan et de politique face à un gain de notoriété jugé trop fulgurant et par conséquent, dangereux.
-2019-2021 : Shirayuki hante le Mont Haku dans l'oubli et l'amnésie de sa vie humaine passée, si ce ne sont les regrets ainsi que la rancoeur de ne pas avoir été jusqu'au bout de..."quelque chose".
Elle sévit et prend un certain plaisir à malmener les âmes perdues, quand elle ne dévore pas les exorcistes venues la pacifier. S'amusant avec ses proies comme le ferait un chat avec ses souris, la jeune femme n'a plus rien d'humain : c'est un fléau qui transporte avec elle la barbarie, une soif de conquête et de sang.
Elle compose, vit avec ses envies sadiques et putrides.