Les yeux polaires auraient voulu s'accrocher à ceux du Sato, écarquillés devant la réponse qu'il lui avait donné. Elle ne savait pas vraiment pourquoi ses mots la laissaient autant perplexe et interrogative.

A vrai dire, Kasca ne s'était jamais vraiment dit que sa vie serait sûrement courte en tant qu'exorciste. Elle ne s'était jamais posée la question, finalement. Elle ne vivait qu'à travers le prisme familiale des Umino, ne se demandait pas ce genre de choses. Elle n'avait jamais pris le temps de considérer sa vie ainsi. Courte ou pas, il fallait surtout qu'elle fasse briller sa famille à travers elle.
Une partie d'elle ne comprenait absolument pas ce qu'il avait voulu dire. L'autre était persuadé que Daisuke Sato était un idiot fini. On ne pouvait pas tout essayer. C'était une perte de temps monstrueuse. Déjà, elle ne savait même pas pourquoi elle était encore là. Elle aurait du le planter après la boutique de téléphone, quitte à ne pas respecter sa part du marché. Qu'est-ce qu'elle avait été stupide de ne pas l'avoir fait. Cela aurait tout changé : elle serait à cette heure-ci seule et tranquille à l'école, en train de vaquer à ses propres occupations sans devoir essayer les activités inutiles dans lesquelles il l'embarquait.

L'Umino le suivit jusqu'au bord de la fosse, serrant contre elle sa planche et dardant ses yeux clairs sur les personnes présentes autour, jusqu'à retomber dans les lentilles de contact électriques qui la fixaient. Qu'est-ce qu'il avait encore, à la regarder ? Les sourcils froncés, elle allait l'envoyer paître, lorsqu'il lui lança une dernière phrase stupide et s'élança sur son skateboard.
Kasca écarquilla de nouveau les yeux et retint un mouvement de son bras de se saisir de lui dans un geste qui avait appelé chez elle un instinct primaire de protection. Et puis quoi encore ? S'il voulait s'éclater sur le sol, qu'il y aille tout seul. Elle recula d'un pas, son carré volant quelque peu dans un mouvement de tête désapprobateur.

Si elle le suivit pourtant des yeux tout du long, le diamant de Umino ressassait les mots qu'il avait prononcés, plus que de mesure.
Tomber pour apprendre à se relever... Quelle idée débile, franchement. Elle n'avait pas que ça à faire de risquer de se blesser bêtement ici alors qu'elle devait être prête à partir en mission, ou ne pas perdre de temps à soigner une blessure alors qu'elle pourrait s'entraîner. Et puis, il y avait quoi d'intelligent à se jeter dans cette fosse, comme un gamin ? Ne pouvait-il décemment pas se comporter comme un adulte responsable ? Ils étaient des exorcistes, pas des personnes lambda. Ils avaient mieux à faire que de traîner ici.

Kasca ne ratait pourtant rien de ce qu'il faisait. Il avait l'air de vraiment bien s'amuser. Elle glissait ses yeux sur la silhouette du Sato, alors qu'il s'essayait à des cabrioles un peu bancales, et si elle le vit utiliser son énergie occulte pour se propulser, cela ne fit qu'acérer les yeux de l'Umino sur lui. Quelle façon intéressante de procéder... Elle n'aurait pas fait ainsi mais... Kasca marcha en longeant la fosse, pour suivre au mieux Daisuke qui roulait encore à pleine balle. Et pour aller vite, il allait vite. Trop. Elle se sentit crispée, lorsque la planche partit finalement sans lui et s'immobilisa complètement, interdite, à le voir tomber sur le sol dur.

Si elle se vit avoir un mouvement en avant vers lui et son cœur rater un battement, son pied à demi posé sur le rebord de la fosse, elle s'arrêta lorsqu'une autre personne vint aider son coéquipier à se relever. Kasca les observa interagir gaiement, notant avec quel naturel Daisuke parvenait à attirer les gens autour de lui, si facilement. Kasca recula quelque peu, peut-être trop intimidée par ce qu'elle voyait au fond. Peut-être un peu trop perturbée, de le voir comme un poisson dans l'eau et à des années lumière d'elle. Il y avait tout un univers entre eux. Et elle ne comprenait pas pourquoi il...
Oh, voilà qu'il revenait vers elle.

Son enthousiasme fut de trop pour Kasca, qui dardait ses prunelles claires sur lui, froncées par ses sourcils blancs. Elle s'en sentit presque agressée, tant la demande de la voir s'élancer était sous-jacente dans sa phrase. Et si elle ne pigea pas du tout sa référence, elle recula d'un autre pas pour s'écarter inconsciemment, alors qu'il s'approchait encore.

« Mais je ne vais pas- » commença t-elle à lui répondre avant que sa voix ne se fasse encore une fois dévorée par celle de Daisuke.

Elle resta bouche bée devant ses mots, à la fois un peu perdue et un peu -beaucoup- oppressée. Elle ne voulait pas faire ça, elle ne voulait pas faire comme lui. C'était complètement stupide et puis en plus... Son regard glissa autour d'eux. Tout le monde regardait. Pourquoi tout le monde les regardait ? Oh non, c'était la faute du Sato. Il avait attiré trop de lumière sur lui, et maintenant il la projetait sur elle. Oh non.
Les pupilles se rétrécirent quelque peu sous la panique et l'anxiété qui grimpaient en flèche chez elle. Et maintenant qu'est-ce qu'elle pouvait faire ? Elle était prise au piège.

Si elle s'élançait, elle allait tomber c'était sûr. La honte, quoi. Elle n'avait aucune envie de cela, et puis elle risquait au pire de se blesser en plus de ça. Et ça aussi, c'était inenvisageable. Et puis tout le monde allait la regarder, tout le monde allait assister à ça et ne pas en perdre une miette. Surtout lui là... Elle jeta son regard sur le Sato. Il le faisait exprès c'était sûr. Il l'avait fait exprès, de la mettre dans cette position si inconfortable.
Kasca resserra ses doigts sur sa planche, toujours collée contre sa poitrine. De rage, de peur, d'inquiétude.
Sa deuxième option n'était pas reluisante non plus : si elle se défilait, tout le monde ici en témoignerait, et Daisuke bien installé au premier rang pour assister à sa chute. Elle ne pouvait pas perdre la face devant de non-exorcistes, elle ne pouvait pas non plus faire le plaisir au Sato de la mettre si bas qu'elle choisirait la fuite. Du temps de sa réflexion, elle sentait son palpitant battre rapidement dans le bois du skate, tout contre elle, et ses poumons se gonfler dans un rythme soutenu de son anxiété croissante.

« Euh, je... Non, je... »

Là voilà. Elle espérait qu'il soit un tant soit peu satisfait de ce qu'il avait fait et qu'il se délectait de ce qu'il voyait. Kasca détourna les yeux, une nouvelle fois, pour finalement les poser à ses pieds sur le sol. Comment une chose aussi futile avait-elle pu la mettre dans cet état ? C'était sûr, il avait prévu son coup. Tout ça, cette journée dehors avec lui, c'était pour provoquer ça. C'était pour lui prouver qu'ici aussi, il lui était supérieur.
Kasca ferma les yeux, et soupira profondément. Il fallait reprendre le contrôle. Il lui fallait juste cinq minutes. Cinq minutes de calme et de silence.

Et puis finalement, c'était quoi ? C'était rien. Elle était tombée déjà mais... avec son sort, elle pouvait éviter une deuxième chute. Seulement la pente... Ici ça rigolait pas. Que faire... Le fléau de l'Umino, pressé par les sentiments intrusifs de sa maîtresse, s'échappa de son pendentif pour s'enrouler autour d'elle, l'oppressant plus encore.
Kasca tenta de s'en défaire, en s'écartant aussi de Daisuke qui commençait à lui parler sans qu'elle ne comprenne ce qu'il baragouinait. Elle ne captait plus vraiment ce qu'il se passait autour d'elle, cherchait à faire le vide dans son esprit, à oublier son environnement et tout ces regards braqués sur eux après l'éclat du Sato. Kasca s'écarta autant qu'il s'avançait vers elle, et eut même à son égard un geste de la main pour le tenir à distance. Qu'il se taise, faites qu'il se taise.

Le regard polaire, dilaté, se posa sur la fosse alors qu'elle s'éloignait de son coéquipier. La respiration un peu courte, Kasca se débattait toujours avec le serpent-dragon qui ne cessait de vouloir resserrer ses écailles soit autour de sa poitrine, soit autour de son cou, et finalement, il la gênait plus qu'autre chose, alors qu'elle lui murmurait complètement agacée et dépassée, d'arrêter. Elle repassait ses options dans son esprit, et son oreille était aussi distraite par Daisuke qui ne cessait lui aussi de l'agacer.
Quelle honte, putain.

Chez les Umino, on avait peur de rien, hein.
Vaste blague.
La honte.
Infinie.

Dans ses pas bientôt précipités, et alors qu'elle s'énervait un peu plus sur son fléau, qui lui sifflait de mécontentement en découvrant ses dents pointues, elle finit par se rapprocher du bord de la fosse. "Pourquoi faire ?" lui asséna son esprit qui décidément ne jurait que par la prudence.

"Pourquoi pas"

Kasca lâcha la planche dans la fosse, et lorsqu'elle posa ses pieds dessus, le regard polaire regardait déjà vers son nouvel objectif. Le vide dans son esprit, l'adrénaline avait pris le dessus sur les pensées intrusives, elle avait shutdown sa raison et laissait parler son instinct.
S'il l'avait fait, elle le ferait. En bien mieux.

Le diamant des Umino utilisait tout ce qu'elle avait appris en trois ans. Elle se servait de son poids du corps pour s'équilibrer sur le skate, et si elle tendit un bras pour s'accompagner, son fléau s'y réfugia, ronronnant d'excitation lui aussi. Tout se passa très vite dans la fosse, et elle n'avait pas le temps de réfléchir à ce qu'elle faisait. Ici, comme en plein combat, c'était l'instinct qui dominait. Si elle se poussait avec autant de ferveur que le Sato, c'était qu'elle ne voulait pas faire les choses à moitié. Elle jouerait au même niveau que lui, sinon, il n'y avait aucune gloire à en tirer.
Kasca fléchit les genoux, comme elle avait vu faire une autre personne lorsqu'elle fut sur la pente remontante et intima une virage pour reprendre en vitesse, plus encore qu'auparavant. Si elle faillit perdre pied, elle s'offrit le privilège d'une deuxième chance d'un coup de pinceau pour amorcer un appui et se rétablir sur la planche.
Du coup, exit le poirier puisque Daisuke se l'était approprié. Elle pouvait essayer autre chose. D'une nouvelle poussée, Kasca s'élança vers le rebord de la rampe et d'un léger rebond dans ses genoux, appuya sa planche dessus. Poids du corps vers l'avant, puis vers l'arrière, qui la fit repartir dans l'autre sens. A l'aveugle. A ce nouveau problème, elle décida d'y pallier en levant d'un pied le devant de son skate, comme elle avait vu faire le Sato. Un léger pivot la remit dans le bon sens, et elle bégaya un peu d'un déséquilibre en agitant ses bras, mais trop tard, elle devait mettre pied à terre.
D'un pas, de deux, elle ressauta sur sa planche qui roulait encore. Oh, ça c'était amusant. Et si elle décida de retenter l'expérience, c'était sans compter sur la nouvelle pente qui lui fit perdre définitivement le compte. Son skate partit sans elle dans un léger virage, alors qu'elle avait posé ses pieds de nouveau sur le sol. Elle faillit tomber lorsqu'il rencontra ses chevilles, mais finalement... Resta bel et bien debout.

Voilà, c'était fait.
D'un coup sec, Kasca frappa sa planche pour la récupérer dans ses mains, dérangeant son fléau qui siffla en allant se réfugier sur ses épaules. L'Umino sortit de la fosse et darda un regard sur une personne qui s'y élançait. Un léger sourire satisfait -amusé ?- flottait sur son visage alors qu'elle se rapprochait naturellement de son coéquipier. Elle jeta ses yeux clairs sur lui et avant même qu'il ne puisse dire un mot, leva un doigt menaçant vers lui.

« Aucun commentaire. » ordonna t-elle d'un ton froid et n'attendant aucune opposition.

Qu'il se les garde, ses paroles de "Tu vois, je te l'avais bien dit" ou autre dans le même acabit. Très peu pour elle ce genre de leçon qu'on donnerait à un enfant. Kasca le dépassa et se dirigea vers le rebord du skatepark pour s'y asseoir, son pied posé sur la planche au sol, qu'elle faisait glisser distraitement.
Le soleil dardait ses rayons ici, et elle jeta quelque peu sa tête en arrière pour en profiter, yeux fermés.

Bon, finalement... C'était pas si mal.

Que l'air était bon.
Réchauffée par les rayons d'un soleil annonçant un printemps doux, Kasca laissait la pression redescendre et l'adrénaline qui avait fait son travail laissait finalement la place à une hormone, toujours aussi éphémère, mais pas des moindres en terme de sensations de bien-être qu'elle lui procurait actuellement. L'amine faisait son travail dans le cerveau de la jeune exorciste, induisant des neurotransmissions nouvelles et procédant ainsi au traitement de l'expérience qu'elle venait de vivre. Tout était passé au peigne fin, et méthodiquement traité. Si les crépitements de son palpitant venaient à se calmer au fur et à mesure que les secondes passaient, elle prit une profonde inspiration et relâcha également toute la tension accumulée dans un long soupire. La tête quelque peu penchée vers l'arrière alors qu'elle s'appuyait sur ses bras, son carré blanc caressait les écailles chromatiques du serpent-dragon, qui profitait lui aussi de ce moment de calme sur ses épaules.
La dopamine faisait son travail, doucement, assurément, associant chaque chose à un souvenir agréable, dans l'inconscient de Kasca qui ouvrit ses yeux clairs sur le visage de Daisuke l'ayant rejointe. Yeux qu'elle plissait légèrement à cause du soleil.

Portée par ses émotions, elle esquissa un léger sourire en l'écoutant parler avec tant d'enthousiasme, encore. S'il jouait un rôle, il le jouait très bien. Mais ça ne marcherait pas avec elle. Elle ne se laisserait pas amadouer.
Quand bien même pencha t-elle quelque peu la tête vers lui, ses prunelles dardant leur éclat bleu sur les traits du Sato. Si elle cherchait à percer la surface de ses expressions, et à voir plus loin que ce qu'il voulait bien lui montrer ? Assurément. Loin d'elle l'idée de simplement penser qu'il ne cachait rien et qu'il était ainsi. Si on approchait Kasca Umino, ce n'était pas pour s'en faire une amie. Il avait forcément quelque chose derrière la tête, n'est-ce pas ? Ça ne pouvait en être autrement.

Elle l'écouta émettre l'idée de se rendre en mission en skate, une fois qu'ils auraient atteint un niveau raisonnable. Si ça lui parut vraiment improbable, elle ne put s'empêcher de penser qu'elle s'entrainerait bien de nouveau sur une planche, juste pour le plaisir d'entreprendre encore quelques pas marchés, et d'autres figures nécessitant agilité et vitesse d'exécution. Kasca glissa ses yeux sur le skate qu'elle tenait d'un pied et qu'elle faisait rouler d'avant en arrière doucement. Elle finit par laisser couler sur ses épaules sa veste, le soleil l'ayant suffisamment réchauffée pour qu'elle se permette de laisser la peau nue de ses épaules s'y dorer un peu.
Les yeux polaires tombèrent de nouveau sur le visage de son coéquipier alors qu'il la fixait encore de cette façon étrange qu'il avait de le faire, tirant une mine interrogative à l'Umino. Un sourcil haussé, elle faillit lui décocher une pique avant qu'il ne reprenne la parole, son regard brillant d'une excitation certaine.

La moue interrogative se transforma en une plus perplexe. Mais d'où sortait-il toutes ses idées ? Des lunettes de soleil ?

« J'ai déjà des lunettes de soleil. » lui indiqua t-elle en ouvrant la sacoche à sa hanche et en retirant sa paire qu'elle déplia pour lui montrer. « Toi pas ? Tu devrais c'est très utile pour les... » Elle s'arrêta en dardant ses yeux dans les siens. Avec ses lentilles de contact, elle avait oublié qu'il n'avait pas d'iris claires lui. Pas étonnant qu'il ne craigne pas autant la luminosité qu'elle. « ... Oublie. »

Kasca enfila les siennes sur ces quelques mots, et l'effet recherché fut instantané. Ses yeux azurés étaient naturellement plus sensibles à la lumière, mais avec tout ça elle avait juste oublié de les mettre. Comme quoi, finalement, ça l'avait quand même pas mal occupée ces activités en compagnie du Sato.
Pensive, elle se perdit quelque peu dans ses réflexions, avant de tourner de nouveau la tête vers Daisuke, l'observant de derrière ses verres ronds et légèrement teintés d'un rose profond. Elle ne lui faisait toujours pas confiance. Pas du tout. Néanmoins, elle trouvait cette situation assez étrange.

Kasca était très très rarement sortie avec ses camarades de Kyoto, déjà d'une part parce qu'elle trouvait ça inutile et d'autre part parce que personne ne voulait passer du temps dehors avec elle. Après tout, elle n'avait pas fait en sorte de se faire des amis. Les seuls moments de complicité, si on pouvait parler de cela, qu'elle avait eu furent avec Katsuro. A vrai dire, c'était bien le seul avec qui elle avait passé d'autres moments que juste étudier ou s'entrainer. Il lui avait appris de multiples jeux de cartes, mais elle savait surtout qu'il adorait les jeux de plateau et en inventer des nouvelles règles. Longtemps elle s'était adonnée à jouer avec lui, apprenant à ses côtés la stratégie propre aux jeux de société, et surtout à anticiper -du mieux qu'elle le pouvait- les décisions du taroteur. Katsuro était une personne relativement calme et qui aimait faire travailler ses méninges autant que l'Umino. Ils s'étaient trouvés assez naturellement, et d'une façon surprenante c'est avec lui qu'elle s'était sentie le mieux à Kyoto. Elle n'avait pas pour autant pris de ses nouvelles depuis son transfert.

Mais alors, se trouver là-dehors, avec son nouveau coéquipier, c'était une expérience étrange à ses yeux. Elle se sentit soudain trop consciente d'elle-même, de l'endroit où ils se trouvaient et de sa propre condition. Heureusement pour elle, Daisuke ne laissait jamais le silence prendre trop de place entre eux et si c'était un trait qui l'avait d'abord agacé chez lui, elle se mettait plutôt à l'apprécier à présent.
Kasca planta ses yeux sur son visage, et ce fut à son tour de le fixer, tandis qu'il parlait encore. Seulement, elle ne l'écoutait pas. Du moins était-elle trop distraite pour l'écouter, et elle ne s'en rendit compte que lorsqu'il se tut et sembla attendre une réponse de sa part, depuis quelques secondes déjà. Impossible pour elle de mettre la main sur ce qu'il venait de lui dire, aussi eut-elle un bref moment de panique qui traversa ses prunelles avant qu'elle ne se lève et choisisse une belle esquive pour pallier à son manque d'attention, posant son deuxième pied sur sa planche et se laissant aller de l'avant par l'élan provoqué naturellement par son mouvement.

« On continue ? » lui lança t-elle en tournant la tête vers lui, tout en s'éloignant.

Durant les minutes qui suivirent, Kasca s'essaya à perfectionner ce qu'elle avait commencé à faire dans la fosse, sur du plat. Lancer sa planche à une vitesse modérée, puis effectuer quelques pas de course à côté, pour sauter de nouveau dessus, et pivoter avec la planche, ou juste elle. L'exercice était assez complexe, mais au fur et à mesure, elle obtenait de la satisfaction dans la fluidité des gestes. Parfois lançait-elle quelques regards vers Daisuke, pour observer ce qu'il faisait et s'approchait-elle pour discuter avec lui de question de poids du corps, équilibre ou figure. Et finalement, le reste de l'après-midi passa plus rapidement qu'elle ne l'aurait pensé.

« Moi je pense que tu devrais plus fléchir les genoux quand tu fais ça, et c'est le rebond qui va t'aider. Tu te sers trop de- » mais elle fut coupée par l'annonce de la fermeture du skatepark.

Kasca posa ses yeux sur le visage de Daisuke, sembla hésiter un peu puis finalement se lança.

« Tu veux rentrer ou... ? »

Si on lui avait dit qu'elle apprécierait ce genre de sortie, elle aurait ri au nez de cette personne. Kasca pencha quelque peu sa tête de côté en dardant ses yeux bleus sur le Sato. Si auparavant elle se sentait si mal à l'aise qu'elle avait voulu rentrer, force était de constater qu'elle était assez curieuse de voir ce qu'il avait à lui proposer. Une partie d'elle ne voulait pas s'avouer que l'autre part d'elle-même ne voulait pas rentrer.
Pas encore.
Plus, du moins.

Et puis, elle avait faim de nouveau. Mais très faim, pour le coup, puisqu'elle n'avait quasiment rien mangé au restaurant de ramens, et qu'elle s'était dépensée toute l'après-midi sur sa planche. Kasca s'approcha d'un pas léger du Sato, son regard rivé dans le sien, derrière ses lunettes de soleil rondes, et s'arrêta toute proche sur la pointe des pieds tant il lui mettait une bonne tête.

« Si tu me trouves de quoi manger, je concéderai à rester encore un peu avec toi. » lui dit-elle dans un léger sourire à la fois narquois mais... malicieux ?

Non, non, elle ne lui faisait toujours pas confiance.
C'était juste qu'au fond, elle était une adolescente de dix-huit ans, qui avait passé la journée avec un autre adolescent de dix-huit ans. Umino ou pas, elle restait humaine. Et l'humain est un animal grégaire.
Et puis, il fallait dire qu'au final, ce n'était pas si mal. Peut-être accepterait-elle de renouveler l'expérience un autre jour, d'ailleurs.

Après tout, elle n'avait rien à y perdre mais tout à y gagner.

C'était presque trop facile, et Kasca doutait encore de sa sincérité et du bien-fondé de cette sortie. Elle dardait ses yeux clairs sur le visage de Daisuke, qui s'illuminait d'un nouvel éclat bien à lui. Derrière les verres teintés de rosé, elle l'imaginait encore jouant la comédie. Si elle avait échappé à ses pièges jusque là, elle n'était finalement plus très certaine de ce qu'elle venait de proposer. Elle luttait encore intérieurement contre son propre intérêt, qu'elle n'assumait pas du tout, envers Tokyo et de tout ce que la ville avait à lui proposer.

Kasca sautilla quelque peu sur ses pointes de pied, reculant légèrement alors qu'elle aplanissait de nouveau les semelles de ses bottines pour volter et se diriger vers la sortie en écoutant d'une oreille le Sato énumérer une liste de choses à faire ou à voir, sans pour autant la diriger vers une seule activité. Il avait visiblement envie de plein de choses et c'était encore à elle de choisir. En rendant sa planche, Kasca glissait son regard polaire sur le ciel qui prenait des teintes rougeâtres, derrière la vitre de l'accueil et les buildings de Tokyo.
Elle sortit distraitement, et l'air se refroidissant assez vite en ce début de printemps, elle rezippa sa doudoune puis se tourna vers Daisuke.

« Je ne sais pas, c'est toi le tokyoïte après tout. » lui répondit-elle d'abord en posant une main sur sa hanche, comme elle avait l'habitude de le faire.

Si elle fixait son visage, elle ne pouvait pas percer les lentilles de contact. Les portait-il justement pour éviter de trop en montrer ? Peut-être craignait-il qu'elle ne découvre trop vite sa comédie si jamais elle avait pu lire dans ses yeux ? Kasca fronça quelque peu les sourcils. Le bleu électrique, avec ses cheveux noirs, ça lui allait pas si mal. On voyait en plus rarement des japonais avec les cheveux aussi longs. Elle détailla rapidement la manière dont il les coupait, plissant quelque peu ses yeux, sur le devant et au-dessus de sa tête, quelques mèches folles indomptables, et la tresse qu'il s'était faite souffrait un peu de tout ce qu'ils avaient fait aujourd'hui. Elle détourna son attention de lui, la portant plutôt sur Tokyo qui n'attendait plus qu'eux.

« Tu as dit que tu n'avais pas de lunettes de soleil, je pense qu'on a le temps de t'en trouver une paire avant que les magasins ne ferment. » lui lança t-elle finalement en s'engageant dans la rue vers le centre de Shibuya, l'invitant d'un geste de la main à la suivre.

Shibuya était un quartier bondé, qui ne désemplissait pas en journée comme de nuit. Elle se mêla à la foule, ses pas légers la portant au hasard vers ce qu'elle pensait être un centre commercial. Kasca n'avait pas fait grand chose dans sa vie, mais elle ne sortait pas d'un monastère perdu au fin fond de la campagne japonaise. Si elle n'avait pas passé beaucoup de temps dehors, en ville, à faire des activités comme ils le faisaient actuellement, elle n'était pas non plus dénuée de certaines connaissances. L'ambiance de la nuit tombante, et des salarymen sortant du travail pour aller boire, ou des étudiants se retrouvant entre amis, portait chez elle une certaine excitation. Elle n'était pas tendue, ni stressée. Elle promenait son regard de ci et de là, l'accrochant à certaines enseignes au design particulier, ou sur quelques personnes au style vestimentaire original comme les tokyoïtes savaient si bien le faire. De ce côté-ci, même si elle s'appliquait à faire simple et efficace, Kasca n'avait rien à leur envier.
D'un pas distrait alors qu'elle s'était perdue dans l'observation d'un panneau publicitaire, son regard tomba sur une enseigne qu'elle connaissait bien, elle bouscula quelque peu Daisuke, et glissa sa main sur son poignet, pointant de l'autre la boutique.

« Ici, tu vas forcément trouver quelque chose qui va te plaire. » lui indiqua t-elle sans lui lancer un regard, le trainant plutôt derrière elle sur quelques mètres avant de le lâcher.

Les portes automatiques s'ouvrir sur une boutique lumineuse mais à la fois très street. Kasca parcourait des yeux les différents modèles de lunettes exposés, retrouva les siennes et en eut un léger sourire. Elle attrapa une paire, rangea celles qu'elle portait dans sa sacoche et les essaya devant un miroir. Trop petites.
Une autre ? Trop rondes, elle en avait déjà des comme ça. La troisième peut-être ? Avec ses verres un peu plus rectangulaires qui lui englobaient bien le visage, c'était parfait. Elle choisit une monture noire, discrète mais des verres teintés de bleu, puisqu'elle avait le choix. Elle n'en possédait pas encore des comme ça, ça lui changerait du rose.
L'Umino releva finalement la tête à la recherche de son coéquipier qu'elle trouva visiblement occupé à essayer tout et n'importe quoi. Elle en haussa un sourcil, un léger air d'amusement traversant de façon passagère son visage avant qu'elle ne s'approche de lui.

« Tu trouves ? » lui demanda t-elle en connaissant déjà la réponse. Il hésitait entre plusieurs modèles et elle eut une grimace significative à certains.

Ses doigts pianotèrent un instant au-dessus de ceux qu'il avait sélectionnés. Bon, il avait du goût, c'était déjà ça mais il ne savait décidément pas ce qui allait à la forme de son visage. Ça, elle savait faire. Son choix se posa sur une paire de lunettes aviateur, rien de plus classe et de plus en vogue en ce moment. Une monture doré mais légère, qui laissait toute la place aux verres de s'exprimer dans un noir qui transitionnait du plus clair au plus profond. Kasca ouvrit la paire et l'enfila sur Daisuke, dégageant les mèches de cheveux encadrant son visage qui s'étaient prises dans les branches.
Elle le fixa un instant, l'expression concentrée, jugeant visiblement de son choix avant d'hocher la tête.

« Moi, j'aime bien. » lui dit-elle, en lui pointant le miroir pour qu'il juge de lui-même.

Ce n'était peut-être pas aussi fringuant que ce qu'il avait espéré, mais il fallait avouer que ce modèle lui donnait un truc en plus. Peu importait son choix, Kasca se dirigea vers la caisse et sortit sa carte bancaire pour payer puisqu'elle avait choisi aussi des nouvelles lunettes. Si Chika jetait un œil à son compte, nul doute que l'Umino allait recevoir un sms de remontrances quant à ses dernières dépenses.
Mais bon, elle pouvait bien se le permettre, non ?

Lorsqu'ils sortirent, la nuit était finalement tombée sur Shibuya. Kasca mourrait de faim et ils s'engagèrent dans une allée où plein de petits restaurants de street food proposaient une infinité de plats tous différents les uns que les autres. Pour faire rapide, et parce que c'était aussi le plus simple, ils ne mirent pas trop longtemps à se décider pour des brochettes. La loi japonaise indiquant de ne pas marcher en mangeant, c'était le moment pour se régaler en discutant un peu. Si Kasca ne baissait pas sa garde pour autant, elle était largement plus détendue qu'en début de journée, la fatigue aidant sûrement. Elle observait la rue en croquant sa brochette, mangeant proprement.

« Les rues ne ressemblent pas du tout à ça à Kyoto. C'est plus traditionnel là-bas. » commença t-elle, retenant une question pour Daisuke. Aucune envie qu'il se fasse des idées et pense qu'elle s'intéressait à lui ou quoi. Elle ne lui faisait toujours pas confiance.

Elle ne rajouta rien, bien qu'elle aurait pu lui parler de ses escapades avec Takehiko, des temples de Kyoto ou de comment cette ville avait un autre charme que celui de Tokyo.
Le repas terminé sous les bavardages -nombreux- du Sato et les hochements de tête distraits de Kasca qui faisait semblant de l'écouter, il était temps de s'adonner à la dernière activité du jour proposé par le jeune homme : le cinéma. Kasca n'avait jamais compris l'intérêt pour ce lieu et elle n'y avait jamais mis les pieds. Pour elle, c'était encore une perte de temps.

L'Umino sortit son téléphone, partie pour chercher la salle de cinéma la plus proche mais elle décida plutôt de tendre son smartphone à Daisuke pour qu'il apprenne à l'utiliser. Au plus tôt il saurait se servir de ça, au mieux elle se portera. C'était important pour les missions à venir après tout. Elle n'avait aucune envie de devoir lui faire un cours sur l'utilisation de son téléphone en pleine mission. Penchée vers lui, elle lui indiquait où taper, scroller, lui expliquait vaguement le réseau téléphonique et après quelques minutes, il finit par réussir sous ses indications. Daisuke était intelligent et vif d'esprit, et même si pour lui ce genre d'engin n'était pas du tout instinctif, il compensait largement. Encore une raison de se méfier.

Qui disait cinéma, disait pop-corn pour le Sato et Kasca s'y plia, se laissant guider. Si elle n'en montrait rien, elle était épuisée et luttait pour rester concentrée. Il choisit un film d'action, et ils s'installèrent dans une salle presque vide. S'accoudant sur son siège, l'Umino l'écoutait encore parler, avant que le film ne commence et qu'il se taise enfin.
Si le film était prenant, elle s'endormit tout de même. Le serpent-dragon en profita pour sortir de son sceau et ne se fit pas prier pour gober quelques pop-corns. Lorsqu'elle se réveilla, le film touchait à sa fin, et elle s'était tournée vers le Sato dans son sommeil. Dardant ses yeux clairs et quelque peu endormis sur l'écran géant, elle réprima un baillement et tenta au moins de suivre la fin du film. De toute façon, nul doute que Daisuke allait lui raconter tout ce qu'elle avait manqué.

Elle s'étira longuement dehors, profitant encore de la vue de Tokyo et des buildings illuminés. Il fallait rentrer maintenant mais... Kasca posa une main sur sa hanche, en jetant un regard vers Daisuke.

« Il y a au moins quelque chose que j'ai déjà fait ici, et que tu vas forcément aimer. » lui dit-elle dans un léger sourire, avant de glisser dans la foule nocturne de Shibuya, marchant à reculons d'abord en l'invitant à la suivre.

L'Umino, revigorée par l'air frais et l'ambiance nocturne (et surtout par sa petite sieste), gambadait d'une foulée légère jusqu'à un coin de rue et s'engagea dans une ruelle déserte et mal éclairée. Sans aucune hésitation, elle grimpa à des escaliers et se rendit sur le toit. De là, elle courut jusqu'au rebord et sortit son fléau, tournant la tête vers Daisuke.

« T'es prêt ? » Elle lui tendit la main plus s'assurer qu'elle ne le perdrait pas et ses dents flashèrent un instant avant qu'elle ne commence à peindre appui après appui, le tirant à sa hauteur.

De toit en toit, elle réitéra l'expérience, jusqu'à atteindre un des buildings les plus hauts de Tokyo. Kasca s'assit sur le rebord, une jambe pendant dans le vide. Le vent s'engouffrait doucement dans ses cheveux blancs et elle lança son regard bleu sur Tokyo qui s'étendait à perte de vue, toute de lumière à néons, de verres et de bâtiments plus modernes les uns que les autres.
Kasca soupira longuement et profondément, fermant un instant les yeux avant de les poser sur son coéquipier. Si elle allait parler d'elle, elle réprima son envie et détourna finalement son regard sur la ville.

Tokyo était magnifique d'ici.

Happée par la vue de Tokyo qui étendait à leurs pieds tous ses trésors et tous ses mystères, Kasca laissa un subtil sourire étirer ses lèvres fines. Le vent les frappait par bourrasques, mais c'était le prix à payer pour admirer une telle vue et pour rien au monde elle n'aurait manqué ça. C'était le passage obligé. Un rituel installé par Takehiko qu'elle prenait à cœur de perpétrer tant la sensation était agréable. D'ici, ils pouvaient tout voir, et jusqu'au delà de la banlieue, elle pouvait apercevoir les terres nipponnes qui n'appelaient qu'eux. Si le vent soulevait son carré blanc, elle s'y abandonnait avec délice, fermant les yeux pour en apprécier la caresse froide sur sa peau pâle.

Kasca accrocha son regard sur le Sato lorsqu'il s'émerveilla à voix haute de la vue imprenable sur la capitale du japon.
Elle aurait pu lui répondre plusieurs choses, peut-être toutes à la fois, ou n'en choisir qu'une parmi ses options. Elle n'en fit rien, se contentant de garder le silence en renvoyant les yeux polaires devant elle.

Effectivement, ce n'était clairement pas la première fois qu'elle se postait sur le toit d'un building. Que ce soit à Tokyo ou une autre grande ville à gratte-ciel du japon, elle avait gardé cette habitude de Takehiko. Il n'y avait rien de tel pour les yeux, que le spectacle lumineux qu'offrait l'environnement urbain et celui du ciel lorsqu'il était dégagé et se couvrait d'étoiles. Kasca releva la tête et y riva ses prunelles. D'ici, ils dépassaient largement le nuage de pollution du trafic tokyoïte et le plafond d'obscurité élançait sa robe pailletée au-dessus d'eux. Elle aimait se perdre dans l'observation de l'espace. Il n'y avait pas plus mystérieux, il n'y avait pas plus beau que d'y déceler les trainées de la voie lactée, et d'y reconnaître les multiples constellations. Et peut-être que quelque part là-bas, quelqu'un d'autre la regardait aussi. Alors, elle avait ce sentiment tout particulier d'apaisement. Elle prenait à la fois conscience qu'elle n'était rien devant l'infinie beauté du monde, de l'Univers. Et parfois alors, elle se sentait si petite, que l'émotion lui pressait la poitrine et elle se sentait pire qu'un grain de poussière. Une part d'elle remettait en cause son existence même "A quoi bon, si on est rien", et l'autre s'enflammait de laisser sa trace quelque part et de marquer l'histoire. Quand bien même le mal-être devenait trop lourd, elle détournait les yeux de sa contemplation, fuyait son saisissement avant qu'il ne lui provoque une crise trop existentielle.

Kasca darda son regard sur Daisuke. Est-ce qu'il se posait ce genre de questions, lui ?
Non, bien sûr que non.
La vie avait l'air si simple à travers ses yeux.

Elle aurait pu aussi rebondir sur la liberté de la ville. Tokyo, comme toutes les autres, n'appartenait à personne. Elle vous engloutissait dans son immensité, et c'était comme avec son fléau : s'il se laissait dominer par son Anima, c'était bien parce qu'il l'avait choisie. Il aurait pu la dévorer toute crue, et avec douceur, avec fermeté, avec tendresse, elle l'avait apprivoisée. La ville, c'était pareil. Kasca la fuyait parfois, souvent. Elle ne s'y plongeait que pour ses missions, composait avec ses caprices, son trafic, ses gens. Elle n'y restait jamais longtemps, au risque de s'asphyxier. Alors elle venait se percher à sa surface, et avec douceur, c'était finalement la ville qui l'apprivoisait dans un sens.
Pourtant aujourd'hui, si elle avait cru perdre le fil et son souffle parfois, tout n'avait pas été si mal. Elle s'avouait avoir apprécié ces moments, et peut-être qu'elle y retournerait en solo dans ce plongeon vers l'inconnu, dans les entrailles de Tokyo. Ce n'était pas plus pire après tout, que d'affronter un fléau ou un exorciste renégat. Les mots du Sato revinrent à son esprit, ceux qu'il avait prononcé lorsqu'il s'était jeté dans la fosse au skatepark. Ils trottèrent dans sa tête, résonnèrent quelque peu entre les murs de son palais de glace avant qu'ils ne s'égarent et qu'elle ne les perde dans la course de ses réflexions.

Enfin, elle aurait pu le charrier sur ses dernières paroles. Il lui faisait penser à Takeshi comme ça, le même genre de chevalier blanc convaincu qu'il leur fallait œuvrer pour le bien de tous. Kasca n'était pas comme ça, et c'était quelque chose qu'elle trouvait ridicule. Ces grands idéaux, très peu pour elle. Pourtant, alors qu'elle glissait ses yeux sur le visage paisible du Sato, sa petite voix était résolue à lui dire qu'il en avait les épaules, et peut-être qu'elle, elle ne les avait tout simplement pas.
De ce fait, la pensée la dérangea plus qu'elle ne l'aurait voulue. Et c'était ce pourquoi elle avait toujours détesté Takeshi quelque part : il était au fond, d'une plus grande valeur qu'elle ne le serait jamais.
Peut-être bien que Daisuke était pareil. Si elle s'évertuait à briller, comme on aimait l'appeler diamant des Umino, il le ferait d'autant plus fort. Peut-être que c'était leur destinée à tous les deux, tous les trois, et qu'elle les enviait tout simplement.

« Assez rêvassé pour aujourd'hui. Moi, je rentre. »

Kasca se releva, son carré court révélant son undercut sous les à-coups du vent. Elle vissa son regard une dernière fois sur Tokyo, prit une grande bouffée d'air frais qu'elle relâcha dans un profond soupire.
Glissant sur le rebord d'un pas preste, elle s'éloigna quelque peu de Daisuke. Son fléau se joignait à elle, s'enroulant autour de son bras, qu'elle écarta avec son jumeau en se laissant tomber dans le vide.

Loin d'elle l'idée de finir éclatée sur le sol des centaines de mètre plus bas. Elle peignait sur son trajet une route d'encre pour amortir sa vitesse, glissant contre la paroi de verre du building. Elle disparut ainsi plus bas, se joignant à la foule de Shibuya.
Si elle vagabonda un peu plus dans les rues de Tokyo avant de rentrer, elle emporta ce secret avec elle.