Qu'est-ce qu'il avait été relou à insister pour qu'elle prenne sa planche avec lui.

Kasca dardait un regard réprobateur sur le dos de son coéquipier qui roulait devant elle. Déjà parce qu'il avait l'air vraiment trop détendu pour une mission, sans parler de sa tenue vestimentaire complètement inadéquate à ses yeux, mais aussi parce qu'il était de trop bonne humeur pour que cette journée se passe bien. Elle poussa le sol d'un pied, se propulsant plus en avant pour rester à la même vitesse que lui.
Dans son sillage, elle ne voyait que sa chemise hawaïenne et ses longs cheveux tressés. Elle était plus légère et avait tendance à le rattraper comme il se la coulait douce, si bien qu'elle zigzaguait un peu derrière lui dans le roulement bruyant des roues sur la rue qu'ils empruntaient. Elle était pourtant certaine qu'il devait afficher un large sourire bien satisfait.

Cela faisait quelques joues qu'ils se côtoyaient, mais elle avait déjà enregistré la plupart de ses expressions tant il en était prévisible. S'il l'avait désarçonnée dans sa facilité de s'approcher de tout le monde, dont elle, et la façon dont il appréhendait le monde complètement différente de la sienne, elle s'était rapidement faite à la plupart de ses comportements. Il fallait dire que Daisuke Sato n'était pas quelqu'un de difficile à vivre. Tellement pas qu'il n'avait même pas l'air de mal prendre la froideur dont elle faisait preuve parfois envers lui. Les jours passaient sans qu'il n'y ait l'ombre d'une tempête entre eux, et c'était quelque chose de nouveau pour Kasca, habituée à faire cavalier seul, si ce n'était passer du temps calme avec Katsuro.
Daisuke était tout sauf calme. S'il avait ses moments routiniers dans la journée, où il se posait, la majorité du temps l'embarquait-il dans ses activités ou voulait-il participer aux siennes. Il était vif, plein de ressources et il faisait la conversation pour deux, en plus d'alimenter la curiosité insatiable de Kasca, tant lui aussi son esprit travaillait à cent à l'heure à l'image de l'énergie qu'il dégageait. Mais si l'Umino était d'apparence plus tranquille, elle lui avait aussi prouvé qu'elle arrivait à le suivre. Si elle ne le montrait pas, Kasca était aussi une pile électrique.

Pour autant, elle s'était tenue au calme durant le trajet en train de Tokyo à Kyoto. Ils étaient partis tôt ce matin pour rejoindre l'assistant qui les emmènerait au plus près de la localisation de leur mission. Daisuke n'avait fait que lui parler d'à quel point il était excité par ce qu'ils allaient faire aujourd'hui et... si elle avait tenté d'écouter la suite, il l'avait noyée dans un flot discontinu de paroles, sautant du coq à l'âne. Même si elle avait aussi un esprit rapide, elle ne partageait malheureusement -ou heureusement pour le coup- pas le même que celui du Sato et avait décroché bien vite.
Ce qu'elle savait lui suffisait : il était trop enthousiaste et ça ne présageait rien de bon.

Et plus ils se rapprochaient et plus elle reconnaissait les quartiers qu'ils traversaient. La boutique de fleurs ici, celle de thé là. Dans cette maison habitait une grand-mère qui leur disait toujours bonjour lorsqu'ils rentraient d'une mission en passant devant. Là, il y avait une école. Et plus ils roulaient et plus Kasca savait où ils se dirigeaient.
Shinbashi Dori était le bastion des Umino. S'ils ne possédaient qu'un manoir ici, tout le quartier était sous leur joug. Aucune autre grande famille n'oserait s'y présenter sans invitation préalable ou s'annoncer. C'était la moindre des choses. Kasca darda ses prunelles sur un croisement : ils auraient pu tourner là pour se rendre au manoir. Elle eut une pensée distraite pour sa mère avant de rattraper Daisuke d'un coup de pied sur le sol.

Ce dernier s'amusait à réaliser quelques figures, sous un froncement de sourcils de sa camarade. Elle n'était pas certaine que faire ça maintenant était une excellente idée. Il pourrait se blesser et bonjour la mission après... Comme quoi, il n'y avait pas que de l'intelligence derrière ses yeux bruns. Elle ne se fit pas prier pour soupirer à ses paroles, et poussa plus fort sa planche pour parvenir à sa hauteur, dardant ses yeux clairs sur lui derrière ses nouvelles lunettes, une moue mécontente trônant sur son visage.

« C'est pas des vacances, Sato-kun, tu ne devrais pas prendre ça à la légère. » le réprimanda t-elle froidement et sèchement avant de le dépasser.

Habituée à l'efficacité de son trio de Kyoto, où le sérieux régnait puisque ce n'était pas en la présence de Takeshi Ahad qu'elle trouvait de la chaleur et que le duo restant était plutôt dans l'intellect calculateur, Kasca n'appréciait pas vraiment la façon de faire de son nouveau coéquipier. S'il avait toujours été d'humeur jovial et force de proposition, qu'elle le savait doué et talentueux, elle n'aurait pas pensé qu'il soit si détaché sur le terrain. Il fallait qu'ils soient discrets et rapides sur ce coup-ci.
Kasca tourna la tête pour le regarder, sa planche en ligne droite traçant sa route puisqu'il n'y avait aucun obstacle devant elle.

« Et on a du trajet pour rentrer après la mission. » ajouta t-elle, en pensant au retour en train. Si long.

Elle le fixa un instant, détaillant les traits de son visage, et se satisfaisait de son choix de modèle de lunettes pour lui. Elles lui allaient comme un gant, et elle n'était pas peu fière. Un léger sourire étira ses lèvres alors qu'elle se détournait de lui pour regarder devant elle.
Ils arrivaient à destination. C'était au coin de la rue, mieux valait s'arrêter ici donc. Kasca sauta de sa planche et marcha quelques foulées à côté avant de la récupérer. Elle s'approcha du coin de la rue, et y resta cachée, jetant un œil vers le lieu qu'ils devaient visiter aujourd'hui. Elle s'y accroupit et se tourna vers Daisuke, lui intimant de faire de même.

« Bon, c'est une mission d'infiltration. Je n'ai pas vu d'autre entrée à part le grand portail là mais je peux passer par les toits pour me rendre à l'arrière du bâtiment. » Kasca était habituée à mener ses missions, si Takeshi lui laissait le lead ce qui parfois provoquait quelques étincelles dans le trio de Kyoto. Heureusement, le taroteur avait toujours une carte dans sa manche pour calmer le jeu entre eux. Mais là, elle devait composer avec un nouveau collègue. « Je vais détourner leur attention sur mon passage et tu en profiteras pour rentrer par devant. Une fois à l'intérieur, on ne fait pas de vague et on se rejoint au niveau du garage une fois qu'on a fouillé notre partie du bâtiment. Compris ? »

Elle espérait qu'il se souvienne du plan qu'ils leur avaient filé dans le dossier de la mission. Ils savaient comment était fait ce bâtiment et c'était à leur avantage. Kasca haussa un sourcil en attendant l'approbation du Sato, puisque de toute façon, il ne pouvait qu'approuver son plan. N'est-ce pas ?

Kasca's outfit:

Contrairement à ce que Daisuke pensait, Kasca était tout à fait à l'aise dans sa tenue. Au moins, elle ne donnait pas l'air d'être en congé, elle. Si elle était habillée d'une façon tout à fait appropriée pour une mission de ce genre et pour la saison encore fraîche, surtout lorsqu'on s'appelait Kasca Umino, on ne pouvait clairement pas en dire autant du jeune homme. Elle s'en était facepalm lorsqu'elle l'avait vu arriver à la voiture de l'assistant le matin à Tokyo. Pour une première mission, elle lui avait laissé le bénéfice du doute : après tout, elle savait de quel bois il se chauffait et il était parfaitement responsable de savoir comment se vêtir pour être le plus à l'aise possible au combat. Mais quand même... La chemise hawaïenne ? Et il n'avait même pas pris la peine de la fermer, lorsqu'ils avaient traversé les quelques quartiers pour parvenir jusqu'ici. On était au japon, enfin !
Kasca aurait fait demi-tour si elle n'avait pas une grande conscience professionnelle. La honte, quoi.

Et en plus de ça, il n'avait pas l'air de raisonner pareillement au niveau des trajets. Ils rentreraient en train, comme à l'aller : c'était beaucoup plus rapide que de traverser le japon en voiture surtout avec la circulation de fin de journée. Si tant est qu'ils en aient fini à la fin de la journée... Parti comme c'était parti, Kasca en doutait. Elle darda ses yeux clairs sur leurs planches posées contre le muret derrière lequel ils se tenaient. Quelle galère...

Elle retint son poing en serrant sa main sur son genou lorsqu'elle nota chez lui les prémices d'un pouffement à la suite des explications de son plan. Non mais, sérieusement ? Kasca fronça les sourcils, il mettait sa patience à rude épreuve et finalement, Takeshi s'était quand même montré beaucoup plus conciliant que le Sato, qui visiblement n'avait rien à faire de provoquer un éclat chez l'Umino. Qu'est-ce qu'il cherchait à faire ? Ils étaient en mission, pas en excursion touristique  à Kyoto.

« Tu te fiches de moi ? On est au travail là, arrête de faire l'idiot. Je sais que c'est compliqué pour toi avec ton demi-cerveau, mais essaye au moins de te conce- » Si elle ne pensait que la moitié des mots qu'elle lui avait dit, la réprimande s'arrêta net pourtant, sous un écarquillement des yeux bleus et un hoquet de surprise. « C'est quoi ça ?! »

A l'apparition de la marque sur la peau de son coéquipier, Kasca lui attrapa le visage pour le lui frotter, n'en démordant pas alors que l'oeil de Daisuke tournait au rouge sang. Au bord de la crise cardiaque, l'Umino était visiblement paniquée, tant elle essayait de comprendre ce qu'il lui arrivait alors que son vis-à-vis jouait l'apaisement. Si elle l'écouta, elle en resta un peu perplexe, l'explication donnée mettant du temps à percuter dans son esprit tant elle avait été surprise.

« Mais c'est ultra dangereux, t'es complètement inconscient...! » lui intima t-elle sévèrement en lui tournant la tête pour l'examiner alors qu'il se défaisait de sa prise en ordonnant à la bestiole de se faire plus discrète.

Mais quelle idée stupide de laisser un fléau s'amuser sur son propre corps. Elle savait qu'elle en verrait des vertes et des pas mûres avec lui, mais là c'était trop. Secouant la tête de gauche à droite dans un léger mouvement désapprobateur, elle regarda le fléau glisser sur sa peau pour disparaître dans son dos, ne cachant pas son dégoût dans une moue expressive. Puis le froncement de sourcils revint aux paroles de Daisuke. Il lui manquait une partie de cerveau aujourd'hui ou ?

« Tu vas pas l'exor- ?! » retint-elle dans un mouvement de colère et de frustration, détournant les yeux en les roulant d'abord avant de finalement se tourner de nouveau vers lui. « Je veux plus le voir sur toi, ton rhaabi-machin, sinon je le fais disparaître. C'est clair ? » le menaça t-elle d'un doigt, le cœur encore battant de la vision du fléau sur le visage de Daisuke, et échauffé par sa colère.

Si elle l'était, ce n'était pas vraiment contre lui. Kasca réagissait ainsi puisque c'était toujours comme ça qu'on avait agi avec elle. Lorsqu'elle tombait, ou qu'elle se blessait, qu'elle faisait une erreur qui pourrait lui coûter la vie... son père comme Chika, ou Takehiko, tous s'étaient mis en colère. Dans ses yeux clairs, il y avait surtout de l'inquiétude et de l'appréhension, finalement.
Son nouveau coéquipier était hanté. Super.

Elle soupira longuement, frottant ses yeux en l'écoutant revenir sur le plan qu'elle avait proposé plus tôt. Pourquoi fallait-il qu'il remette en question tout ce qu'elle disait ? Ne pouvait-il pas accepter comme les autres, ou faire des propositions sensées au lieu de... ça ? Kasca vissa son regard dans le sien.

« On le verra à l'intérieur. Sois pas si pressé, c'est sérieux là. » Elle avait l'impression de négocier avec un enfant, sauf qu'il s'agissait d'un jeune homme de son âge, et qu'elle aurait voulu pouvoir compter sur lui. Elle regrettait Katsuro pour le coup. « On va pas faire d'entrée fracassante, c'est hors de question. Je te rappelle que ni toi ni moi on ne sait soulever de rideau, aucune envie que des civils nous voient ou interfèrent dans notre mission. »

Et ça, si ça le convainquait pas, elle demanderait un nouveau coéquipier. Il y avait des limites à prendre les choses à la légère et visiblement, ils n'étaient vraiment pas sur la même longueur d'onde tous les deux.
Kasca commençait déjà à perdre patience.

« Je passe par derrière, il y a une porte au garage, tu te souviens ? Toi tu t'infiltres par l'entrée principale et on se retrouve à l'intérieur. » résuma t-elle finalement en laissant son fléau s'enrouler autour de son bras et en sortant son poignard.

Le diamant des Umino se leva et le planta là, commençant à passer par dessus le muret après avoir vérifié qu'elle n'était pas dans le champ de vision de leurs opposants du jour.

"T'inquiètes pas, je gère" Il gérait rien du tout, oui.
Kasca ruminait dans son crâne, bien contente de s'éloigner du Sato pour le coup. L'avoir dans les pattes pour s'infiltrer alors qu'il était insupportable depuis le matin, elle s'en passait volontiers. Je gère, je gère... et puis quoi encore. Gérer, c'était pas prendre à la légère une mission comme il le faisait. Il voulait quoi ? Mourir ? Très peu pour elle, il irait tout seul se casser les dents sur le résultat de son comportement.

"Il va se fondre dans le décor" ah bah oui, comme il l'avait toujours fait puisque c'était la première fois qu'elle le voyait son rhaabidule alors que ça fait quoi... Plus d'une dizaine de jours qu'il se promenait avec sous son nez. Mais il comptait lui en parler quand ? Quand le fléau aurait pris possession de lui pour de bon et qu'elle aurait été obligée de lui trancher la gorge fissa au risque que ce soit lui qui la tue en premier ?
Kasca glissait dans un jardin privé, rôdant discrètement en longeant le muret qui la séparait du bâtiment cible. Son serpent-dragon resserrait son étreinte sur son bras, impatient d'un peu d'action.

"Il est pas méchant" Bah oui, bien sûr, c'est un fléau et il est naturellement doux comme un agneau. Non mais elle aura tout entendu avec lui. Et puis quoi encore ? Il comptait le garder pour la vie son petit fléau de compagnie ? Ce n'était pas comme s'il était soumis à l'Anima, complètement sous son contrôle. Daisuke était inconscient et ça la rendait dingue. Mais plus encore, le fait qu'il s'en fiche.
Après un coup d'oeil par-dessus le muret, elle s'assura qu'il n'y avait personne et pénétra dans le terrain. Kasca se réfugia rapidement contre un des murs du bâtiment. Discrète et silencieuse, elle observa un bref instant la porte arrière par laquelle elle devait passer. Deux gars y fumaient, et clairement, elle n'avait pas le temps d'attendre qu'ils aient fini leur pause. En plus, ils avaient l'air d'être engagés dans une conversation sérieuse à propos d'une déclaration d'amour foireuse où elle ne savait quoi. Inintéressant au possible mais ça voulait juste dire qu'ils allaient camper ici un moment. Elle devait trouver un autre moyen d'entrer.

L'Umino darda son regard au-dessus d'elle. Une fenêtre à l'étage semblait la meilleure option. Elle n'était sûrement pas aussi furtive qu'un Sato, mais elle ne manquait pas de discrétion pour autant. S'aidant d'une gouttière qui courait le long d'un coin de mur, Kasca escalada ce dernier jusqu'à la première fenêtre. Elle s'y hissa pour jeter un oeil à l'intérieur. C'était occupé. Il fallait trouver une autre entrée.
Prenant son mal en patience, le diamant s'accrocha au mur fait de pierres apparentes pour s'y promener parallèlement et atteindre la seconde fenêtre. La pièce était vide. Maintenant il fallait ouvrir.

Elle souffla et se concentra un instant pour faire courir son encre au travers la fenêtre. Heureusement pour elle, le bâtiment n'était pas si récent, et les fenêtres manquaient visiblement d'isolation. Elle put créer un léger courant d'air en superposant les couches d'encre, et passa tant bien que mal ses doigts dans l'ouverture avant de pouvoir soulever la fenêtre et pénétrer à l'intérieur du bâtiment.
Là, elle s'immobilisa, aux aguets, son regard glissant dans la pièce qu'elle venait d'infiltrer pour en appréhender le mobilier et l'agencement. Il s'agissait d'une petite salle avec quelques bibliothèques à moitié vide. Visiblement, elle n'était pas souvent visitée. Kasca espérait juste que la porte ne soit pas verrouillée quand elle s'en approcha.

Si d'abord elle écouta au travers si elle pouvait déceler la présence de quelqu'un de l'autre côté (dans son souvenir du plan, c'était un couloir), et se pencha au sol pour regarder sous la porte ayant un léger espace. Personne. Elle appuya sur la poignée pour ouvrir, mais s'opposa au loquet. Mince.
Léger soufflement alors qu'elle observa le mécanisme en se demandant comment procéder. Si elle savait solidifier son encre, ça aurait été vite vu mais là... Kasca décida de tout de même tenter sa chance et fit couler le sort de son fléau dans le verrou. Elle devait se concentrer. Elle sentit quelque chose s'y opposer. Il y avait la clef de l'autre côté de la poignée.
Elle savait quoi faire.

L'Umino attrapa un livre et arracha une page d'un livre quelconque avant de la glisser sous la porte au niveau de la poignée. Elle remplie de nouveau le mécanisme avec son encre, et poussa par à-coups la clef qui finit par tomber de l'autre côté dans un léger tintement. Kasca fit glisser la feuille jusqu'à elle. Bingo !
Elle écouta tout de même si elle n'avait pas éveillé de soupçon, mais rien de son côté encore. Elle pouvait tout de même entendre que ça semblait s'agiter en bas. Une aubaine pour elle, finalement, si Daisuke n'était pas aussi discret qu'elle le lui avait demandé. Mais ça pouvait être autre chose aussi : elle avait entendu qu'il y avait un évènement sportif d'envergure pour les fans à la télévision, dans le train. Peut-être que c'était juste ça. Il lui fallait continuer.

Kasca sortit de la salle après avoir jeté un œil dans le couloir. Il y avait trois autres pièces à l'étage, dont une salle de bain. Elle ne prendrait pas la peine de la visiter : on ne cachait pas des documents sensibles dans une salle de bain. Restait donc deux autres pièces. Se remémorant le plan dans sa tête, elle parvenait à se situer. L'Umino tendit l'oreille devant une porte. Là-dedans il y avait du monde. Il fallait qu'elle les fasse sortir.
Kasca regarda le plafond un instant. Si elle s'y accrochait ? Et tendre un piège ? Elle pouvait tenter. S'aidant de son encre, elle s'y posta en araignée, bandant sa sangle abdominale pour se maintenir à l'horizontale une fois qu'elle fut assez haute. Il lui fallut un effort de plus pour toquer à la porte. Et puis ensuite patienter. Elle était prête, main suspendue en l'air, à dessiner.

S'ils se posaient quelques questions, ils ne vinrent pas ouvrir et elle dut retoquer pour qu'enfin ils prennent la peine de se bouger. Ces types étaient chelous.
Enfin, une femme ouvrit la porte, et Kasca peignit à ses pieds un trait fin d'encre, qu'elle se prit évidemment. Sa victime tomba en avant et l'Umino en profita pour sauta sur elle, se réceptionnant sur son dos sans délicatesse pour l'assommer avant de se diriger vers la deuxième personne qu'elle voyait dans la pièce. Il fallait être rapide pour couper court à toute tentative de donner une alerte. Elle le fut.
Kasca se jeta sur sa deuxième victime, sautant sur un canapé pour enrouler ses jambes autour de son cou et l'emporter dans sa chute sur le sol. Si l'homme tenta de se débattre et qu'elle sentit un poing dans ses côtes, elle lui asséna un coup de la poigne de sa lame dans le crâne.

Le coeur battant d'une poussée d'adrénaline, elle ne devait pourtant pas perdre plus de temps et cacher au mieux son assaut. Elle tira la femme par les pieds à l'intérieur et referma derrière elle. Quoi en faire maintenant ? En cherchant, elle se rendit compte que le canapé possédait un coffre et elle en sortit le contenu pour y rouler non sans effort une de ses victimes. Et l'autre bah... elle n'avait rien pour la ligoter, et la laissa sur le canapé. Ce mec pesait une tonne, bordel. Alors qu'elle poussait pour le hisser convenablement sur le sofa, elle entendit un bruit sourd et s'immobilisa.

C'était quoi, ça ?

Dans un grognement d'effort, Kasca finit par faire rouler sa victime à sa place attribuée sur le canapé. En même temps, elle tendait l'oreille sur les bruits qui s'accumulaient. Ils venaient de l'étage du dessus, et nul doute qu'il s'agissait de Daisuke. Discrétion, elle lui avait dit. Et il n'en n'avait fait qu'à sa tête, comme depuis la veille lorsqu'il avait défoncé la porte de sa chambre alors qu'elle était tranquillement en train de dessiner dans son lit. Elle espérait qu'il avait retenu la leçon et qu'il toquerait la prochaine fois. Elle pensait avoir été suffisamment clair en lui envoyant à la figure tout son matériel, crayon après crayon, jusqu'à le faire sortir et qu'il recommence d'une façon plus poli son entrée dans SA chambre.

Daisuke Sato.
Si elle l'attrapait... Il avait grand intérêt à courir plus vite qu'elle, aujourd'hui.

Bon, du coup, pour le trouver c'était facile maintenant. Mais ça voulait aussi dire que des ennemis allaient se ramener. Kasca pesta, grinçant des dents. L'homme sur le canapé grogna lui aussi et elle lui asséna un coup de coude rageux pour le rendormir. C'était bien sa veine. C'était quelque chose qui ne serait jamais arrivé avec Katsuro et Takeshi. Si elle s'était dite qu'il était un rival à sa taille, elle revoyait son jugement à la baisse concernant son nouveau coéquipier.
Elle devait bouger avant qu'on ne tombe sur elle. Elle avait encore l'effet de surprise. S'ils savaient qu'il était au-dessus, ils ne savaient pas, peut-être, pour elle.
Kasca allait pour sortir et posa sa main sur la poignée de la porte lorsqu'elle s'immobilisa en entendant des bruits de pas précipités dans le couloir de son étage. Ils venaient par ici. Elle n'avait pas le temps de...

Si Kasca ouvrit la porte sèchement, ce fut pour attaquer directement la première personne qui se trouvait devant. On oubliait l'effet de surprise, elle était aussi grillée. Est-ce qu'il avait parlé d'elle ? Oh si elle le retrouvait...!
Sa victime fut propulsée contre le mur d'en face et Kasca s'y jeta pour un second coup de pied dans la tête, histoire d'être certaine que celui-là ne se réveillerait pas de sitôt. Une lame siffla près d'elle, et dans son esquive précipitée, elle perdit quelque peu l'équilibre, tombant sur ses bras. Maintenant au sol, son prochain adversaire pensait avoir l'avantage mais c'était sans compter sur le diamant qui, comme son coéquipier, était aussi agile qu'une panthère. D'un ciseau, elle fit tomber son vis-à-vis et dévoila derrière lui une troisième personne pointant une arme à feu sur elle.

Le coup parti.

Kasca s'échappait par les escaliers, descendant au rez-de-chaussée en sautant sur un nouvel adversaire qui la réceptionna plutôt assez bien -surprenant-, avant qu'ils ne finissent en bas tous les deux, dans une chute aussi lourde pour l'une que pour l'autre. Si elle avait échappé à la balle, elle le devait à un jet d'encre réflexe qui surprit suffisamment le tireur pour qu'il la rate. Elle l'avait ensuite poussé de côté pour s'enfuir, esquivant dans sa course une seconde balle qui fusa près d'elle pour ricocher dans un coin de mur et finir par faire éclater une fenêtre.
Elle n'avait pas le temps de se préoccuper de ce qu'il venait de se passer : il y en avait partout des ennemis. Son fléau siffla alors qu'elle se relevait pour leur faire face, acculée au bas des escaliers. Le salon avait été ouvert. On avait visiblement retiré des panneaux coulissants pour en faire une seule et unique pièce avec la cuisine.

Il y avait de quoi faire en surface pour se battre. Si elle ne tremblait pas, elle évaluait pourtant ses chances et devant autant d'adversaires, elle ne savait pas si elle s'en sortirait sans un peu d'aide. "Bien ma veine." Pour autant, Kasca ne comptait pas se rendre. Il y en avait une dizaine ici. Elle se mit en position, ses doigts jouant sur le manche de son poignard. Celui qu'elle avait fait tomber des escaliers s'était déjà relevé, sans une égratignure.
Certains étaient résistants alors. Ça ne lui faciliterait pas les choses.
Alors qu'ils auraient pu régler ça discrètement en se faufilant, récupérant les informations et en partant fissa, elle se retrouvait dans une situation bien inconfortable à présent. Tout ça à cause de Daisuke.

Kasca jeta un coup d'œil dans les escaliers, où trois gars montaient. Donc pour elle, il en restait sept. Si d'autres ne se joignaient pas encore. Mais visiblement, tout le monde était rentré après avoir entendu le raffut qu'ils avaient provoqué. Sept, c'était un bon chiffre. Son serpent-dragon s'était faufilé sur ses épaules dardant ses yeux sur les adversaires de sa maîtresse.
Allez. Sept, c'est rien, après tout.

L'Umino s'élança en avant dans un cri de rage, et sauta pour s'enrouler autour du cou du premier servi, balançant ses jambes en arc de cercle pour riposter de ceux s'étant approchés. Elle utilisa son poids du corps et surtout la force de son élan pour le balancer vers l'arrière. Un bras tenta de la bloquer par derrière, verrouillant ses épaules et elle mordit dedans sans vergogne, s'appuyant sur celui qui la tenait pour envoyer ses pieds joints contre une autre personne devant. Ça devenait tendu. Elle n'arrivait pas à se défaire et finalement planta sa lame dans l'abdomen. Le sang chaud lui gicla sur la main lorsqu'elle la retira, relâchée. Pas le temps de s'en faire pour l'homme qu'elle venait de poignarder. Elle esquiva un premier coup, mais fut fauchée par une agile maîtresse de fléau, avant qu'un autre ne l'attrape par les chevilles et la balance sans aucune délicatesse à travers le salon. Kasca finit sa course contre un mur, où son impact décrocha un tableau. Le choc lui avait coupé le souffle, mais elle se releva d'un bond et se jeta à couvert devant le sofa en voyant l'arme de feu pointée de nouveau sur elle. Si le coup partit, il ne l'atteignit pas mais brisa le cadre de bois de l'œuvre d'art.
En une roulade, elle grimpa sur le canapé et peignit un appui aérien pour s'accrocher au lustre et se projeter sur un adversaire, le décrochant aussi au passage dans un craquement du plafond. Elle atterrit lourdement sur sa cible, et les ampoules éclatèrent sur le sol alors que la nuque de l'homme craqua bruyamment contre la première marche des escaliers.

Kasca se retourna pour faire face aux autres mais un coup de pied la projeta de nouveau contre le mur en bas des escaliers. Retour à la case départ. Sauf que cette fois, son adversaire n'avait pas l'intention de la laisser respirer. Si elle esquiva certains coups, d'autres la touchèrent, griffant sa chair. Cette femme était rapide, et elle utilisait en plus de ça, vissés entre les espaces interdigitaux de ses mains, des lames fines. Si elle ne voulait pas finir éventrée ou amochée, elle devait réagir plus vite encore.
L'Umino se peignit un trait sur la droite et d'une foulée, l'utilisa comme saut d'appui pour asséner un sale coup de genou dans la mâchoire inférieure de la renégate. C'était à son tour de s'en donner à coeur joie. Kasca eut un sourire carnassier lorsqu'elle commença à enchainer les coups. Jusqu'à ce qu'un homme fonce sur elle façon rugbyman et la percute contre son épaule pour l'écraser dans les escaliers. Compressée par son poids, et le dos heurté par les angles des marches, Kasca tenta de lutter. A cause du choc, elle en avait lâché son poignard.

Alors qu'elle peinait à bouger, il releva ses deux poings façon King Kong, prêt à les abattre sur elle. Kasca pouvait simplement croiser les bras devant elle pour se protéger du coup à venir.

Quelle journée de merde.

Si Kasca avait pesté tout du long contre lui, elle fut plus que ravie de voir la silhouette du Sato rencontrer celle du titan la menaçant de l'écrabouiller. Renversant le mercenaire de l'Ordre, le faucheur la releva aussitôt, et si elle croisa son regard l'espace d'une seconde, elle fit volte-face rapidement pour coller son dos contre le sien et faire face aux ennemis débarquant de l'étage.
L'Umino ne répondit rien à sa remarque et à sa pique, passant tout de même rageusement une main contre sa lèvre pour y retirer du sang. Son poignard gisait aux pieds des escaliers, devant Daisuke, mais elle n'en n'avait pas forcément besoin. Maintenant elle avait mieux.
Une arme multifonctionnelle et largement plus efficace que tous les objets occultes dont elle avait pu rêver. Et s'ils n'avaient pas encore eu souvent l'occasion de s'entraîner ensemble, ils avaient tous les deux pu constater à quel point il y avait du potentiel dans leur duo, tant leur association était le catalyseur de leurs compétences. Un mélange réactionnel explosif.

Rechargeant son corps en énergie occulte, elle profita d'un instant de flottement pour jauger de ses nouveaux adversaires. Elle savait sa silhouette très peu menaçante, son genre jouant aussi en sa défaveur dans le jugement que lui portaient les hommes en hauteur. Elle les prendrait à revers et en ferait un avantage. Celui avec le sourire en coin là, il allait prendre en premier.
Ses doigts pianotèrent un instant, avant qu'elle ne souffle par le nez, faisant le vide dans son esprit et entrant de nouveau dans un état de concentration intense. Elle pouvait sentir contre son dos le corps de son coéquipier se tendre aussi. Elle n'avait pas fait état de ses blessures mais s'il était debout, elle ne s'en faisait pas.

Kasca s'élança en même temps que lui.
Elle prit appui sur la rambarde pour palier au désavantage de sa position dans les escaliers. Et si ses adversaires pensaient qu'elle allait atterrir juste devant eux dans les marches, elle n'en fit rien, peignant une surface horizontale pour s'y jeter les deux jambes en avant. Glissant sur son encre, elle percuta de plein fouet et de ses pieds joints le sourire qui fut narquois à son égard. Grossière erreur de la sous-estimer. Propulsé contre le mur du premier étage, Kasca rattrapa son élan contre sa victime, et se tourna de revêche pour asséner un coup de coude à une autre, percutant la gorge d'un léger saut (ils étaient tous grands ici ou ?) et l'envoyant chuter dans les escaliers avec un « Derrière ! » à l'attention du Sato. Pas le temps de regarder s'il avait vu et/ou compris, elle avait d'autres chats à fouetter.

Le serpent-dragon s'enroula autour de sa jambe lorsqu'un type pointa ses doigts vers elle, juste en face de son visage. Décharge occulte ? Jet d'encre rapide sur son visage pour le déconcentrer (ça marchait à tous les coups, depuis qu'elle s'y essayait) et elle l'attrapa par les côtes de coups précis et rapides, l'obligeant à se plier en deux. Si elle n'était pas puissante comme Daisuke, elle compensait d'une agilité surprenante. Profitant de la position du tireur, Kasca se hissa à cheval sur ses épaules resserant ses jambes autour de lui et se balança vers l'arrière dans le couloir, l'emportant avec elle dans sa chute. S'il ne put le faire, elle se réceptionna sur ses bras et d'un poirier rétablit son équilibre avant de faire tomber lourdement ses pieds dans sa tête.
Ok, il n'en restait qu'un ici, visiblement. Le regard polaire tomba sur lui. Elle.

Les deux femmes se jaugèrent, l'une jouant avec un couteau papillon chargé d'énergie occulte, tandis que l'autre se mouvait comme un prédateur dans les fourrés se rapprochant silencieusement de sa proie pour se jeter sur elle et l'éventrer d'un coup de crocs. Ce fut son adversaire qui prit les devants. Elle s'élança vers l'avant, le couteau papillon claquant d'une façon menaçante. Kasca réagit aussitôt, se hissant à hauteur en utilisant le mur de deux foulées. Sautant pour envoyer un coup à son ennemie, celle-ci feinta en se laissant glisser sur le sol, et pointa sa lame vers le pied de l'Umino. Si elle n'avait pas peint une surface plane pour amortir son pied, elle se serait vu plantée dans la semelle de sa chaussure et nul doute que la lame aurait suivi le mouvement de sa propriétaire, cisaillant son talon. Kasca atterrit de l'autre côté au niveau des escaliers, elles avaient finalement échangé de place dans leur assaut. Mais le temps qu'elle se retourne, l'autre était déjà sur elle. Rapide ! Elle n'eut pas le temps de monter sa garde, simplement de dévier la trajectoire du couteau qui se ficha dans sa hanche.
Elle eut l'impression d'être touchée par quatre lames à la fois.

Un coup de pied circulaire l'envoya paître dans les escaliers, et elle roula sur le sol jusqu'aux pieds de Daisuke. L'arme se retira de sa chair dans une giclée de son sang repeignant l'angle du premier étage d'un carmin singulier. Kasca se releva, un peu chancelante et jeta un œil à sa blessure. C'était pas beau à voir. Elle jeta son regard dans le salon. Visiblement, le Sato s'était occupé de la plupart de ses adversaires. Ne restait que le Goliath, qui leur faisait face, comme elle avait interrompu leur duel. Il s'était relevé du premier assaut du faucheur sans trop de mal, a priori.
Donc les deux qui restaient, ça n'allait pas être du gâteau.

Kasca recula quelque peu pour se rapprocher de Daisuke, et tourna la tête vers lui, vissant son regard dans le feu du sien. Si elle ne disait rien, elle n'en pensait pas moins.
C'était le moment pour eux de vraiment tester leur duo, et jusqu'à quel point ils pouvaient s'harmoniser.

"Dansons, Daisuke Sato."

Tous les deux étaient intelligents et d'instinctifs tacticiens.
Le fléau de l'Umino s'enroula autour de sa taille, couvrant sa blessure. Il y fit glisser ses écailles, rappelant à elle une douleur épineuse. Leurs adversaires s'étaient aussi rejoints. Kasca se mit en position. L'ambiance était chargée d'énergie occulte, et elle avait presque l'impression de sentir celle de Daisuke crépiter à côté d'elle, exaltant ses sensations dans l'appréhension et l'impatience du combat à venir.
Un léger sourire étira ses lèvres.

Elle lui faisait confiance, parce qu'elle n'avait pas le choix finalement. Elle avait rapidement fait état de ses blessures et de celles de Daisuke : ils commençaient tous les deux à être mal en point. Il leur fallait régler ça au plus vite. Ils n'étaient pas des combattants résistants sur du long terme, se plaisaient plutôt à du simple et efficace. Rapide et explosif. Son dos la lançait, aux deux impacts qu'elle avait subi. Elle sentait son sang alourdir le tissu de son pantalon. Sa blessure saignait plutôt abondamment, mais surtout, elle la gênait dans ses mouvements. Il lui faudrait faire fi de la douleur.
Kasca était une combattante aguerrie. Elle en avait vu d'autres, aussi prenait-elle toutes ces informations avec une froideur calculatrice, le recul nécessaire pour ne pas perdre son sang-froid.

A l'assaut du colosse sur eux, Kasca ne perdit pas de vue l'agile renégate qui comptait profiter du gabarit de son collègue pour attaquer Daisuke avec lui. L'Umino profita de la première esquive de ce dernier pour rouler sur son dos, attraper le manche de la faux et l'utiliser comme appui pour initier un coup de pied circulaire. Elle lâcha sa prise en même temps, lorsqu'elle sentit sa jambe frapper sa cible, lui offrant un sourire plein d'arrogance. "C'est moi ton adversaire, saleté" Si Goliath se déchainait pour toucher Daisuke, son acolyte roula prestement sur le sol et se releva fissa pour contrer une attaque du diamant des Umino. Kasca bloqua un coup droit, son poignet contre le sien, alors que le couteau maudit pointait droit vers elle. Elles enchainèrent les attaques et les esquives, guettant la moindre ouverture chez l'une comme chez l'autre. Kasca finit par s'abaisser et prendre appui sur ses bras pour envoyer ses jambes sur son vis-à-vis dans une roue. Elle ne s'arrêta pas là et peignit une marche pour pouvoir attaquer de hauteur la maîtresse des fléaux. Mais alors qu'elle souriait presque d'excitation tant il s'agissait aussi d'un combat d'égo, et qu'elle allait s'appuyer sur sa peinture d'un saut, elle faillit percuter Daisuke qui l'utilisa avant elle.

« Sat- » Si elle avait voulu se rattraper à la chemise hawaïenne, elle n'en eut même pas le temps.

Et d'un réflexe stupide son corps utilisait sa jambe d'appui pour tenter d'amortir sa chute. Celle qui portait sa blessure. Kasca grimaça de douleur à l'impact, et sentit son genou fléchir sous le coup. Elle roula par terre, complètement vulnérable à une attaque de son adversaire qui n'avait rien raté. Les yeux clairs s'écarquillèrent, mais elle put compter sur son coéquipier pour la sortir de la situation dans laquelle il l'avait lui-même mise. Propulsée plus loin par le manche de la faux, la mercenaire se rétablit pourtant vite. Qu'elle était énervante !
Kasca esquiva de justesse de se faire écraser par les pas du Goliath qui fonçait sur Daisuke. Maintenant c'était à son tour de se prendre un revers, l'éloignant de nouveau d'elle.

L'Umino se releva, serrant les dents et tentant d'ignorer sa plaie qui avait tâché le sol là où elle était tombée. Elle se rua sur son adversaire, peignant de multiples appuis et tentant diverses feintes pour l'atteindre. Mais cette dernière avait compris que ses constructions ne tenaient pas et les détruisait si facilement à présent qu'elle se permettait même de les ignorer totalement dans ses mouvements ou de les utiliser elle-même, obligeant Kasca à redoubler d'effort et de créativité. Il lui fallait feinter, encore plus. Il lui fallait...
Et dans un même temps, elle regrettait qu'ils soient encore séparés. Ils avaient beau combattre dans la même pièce, Daisuke et elle ne parvenaient pas à se rejoindre proprement et à le faire ensemble. Le colosse le promenait partout dans le salon, tandis que la renégate la tenait en haleine sans lui laisser le temps de vérifier où se trouvait son duo. Ce n'était pas comme ça qu'ils allaient pouvoir jouer d'attaques combinées. Surtout lorsque l'un empiétait sur l'autre ou se déconcentrait en voulant se rendre utile.

Ils manquaient cruellement d'entrainement.

L'Umino peinait à se rapprocher, plutôt maintenant dans une position défensive tant elle cherchait à suivre le Sato du regard, obligé de bouger continuellement sinon subir un assaut frontal de la puissance du colosse. Elle le savait plus résistant qu'elle mais Daisuke avait déjà subi plus de dégâts que nécessaires. Ils fatiguaient en plus de cela, tous les deux.
Elle le vit plus qu'elle ne l'entendit, et la faux partit en sifflant dans sa direction. Tout se passa très vite et elle fit confiance à son instinct sur ce coup-ci. S'éloignant de la renégate d'un salto arrière, elle se réceptionna sur le manche de l'arme courbe, écrasant au passage l'oeil de Rhaabilux, pour s'y propulser à l'aide son énergie occulte. Si sa jambe d'appui criait à la douleur, elle l'ignora, et sous l'oeil médusé de son adversaire, elle lui asséna un jeu de sa jambe valide, l'envoyant valser plus loin. L'Umino tomba à terre, mais ne prit aucun temps mort, courant vers Daisuke et le Goliath. L'autre allait les rejoindre, mais elle avait assez d'avance pour...

Profitant du fait que le colosse était concentré sur le Sato, elle bondit sur lui et croisa ses jambes autour de sa nuque, se laissant ensuite portée par son élan pour le déséquilibrer avant de lâcher prise. Kasca ayant pivoté tout du long se retrouva nez à nez avec Daisuke sur lequel elle se réceptionna tant bien que mal, s'accrochant à son cou pour s'aider à reposer pied à terre, grimaçant sous sa hanche bien malmenée. Mais elle n'en n'avait certainement pas fini.
Le diamant reprit de l'élan d'un bond, et prit appui dans le creux de l'aine de son coéquipier, se hissant au-dessus de lui pour pousser sur ses épaules et asséner un ciseau de coups de pied dans la tête du Goliath, provoquant enfin sa chute lourdement sur le sol, alors qu'elle même lâchait prise sous l'effort et faisait de même. Noble Truth faisait son effet, il allait voir des étoiles.

Tombant sur le dos, Kasca aperçut l'autre arriver sur eux.

« Droite, droite, gauche ! » cria t-elle en peignant d'abord un trait horizontal devant les jambes de la renégate pour la faire tomber, puis initiant des appuis pour le Sato.

A lui de jouer, sur ce coup-ci. Elle n'en pouvait plus.

Si elle ne chercha pas à se relever tant elle était épuisée et que la douleur la lançait, elle ne rata pourtant rien du dernier assaut de l'héritier des Sato. Et quel assaut.

Kasca avait d'abord crut que ses appuis d'encre ne suffirait pas à donner l'avantage à son coéquipier, mais c'était sans compter sur sa témérité. Elle vit parfaitement la lame traverser la main de Daisuke alors qu'il assénait le coup final. L'air crépita d'énergie occulte et elle put sentir sa chevelure neige se soulever sous l'onde du kokusen. Personne ne lui avait jamais dit qu'il était capable de cela, et elle resta à le regarder alors que son adversaire se faisait éjecter près d'elle, soulevant de nouveau ses cheveux blancs.
L'Umino se sentit soudain bien inférieure alors qu'elle listait les compétences qu'elle connaissait de son duo. Si elle avait pensé pourvoir l'égaler, elle s'était trompée sur toute la ligne. La frustration d'être tenue en laisse par le corps professoral faisait place à un léger ressentiment envers le Sato. Elle le jalousait, et elle lui en voulait quelque part. Dardant son regard polaire sur lui, elle se releva dans une grimace, serrant les dents.
Elle s'était dit qu'il n'y avait pas tant d'écart de niveau entre eux, à la fin de leur premier duel. Elle s'était dit qu'elle avait surtout du encaisser le coup de Noble Truth, et que la prochaine fois, elle l'emporterait facilement. Elle enrageait contre la direction, contre leurs professeurs. Ils savaient parfaitement ce qu'ils faisaient en l'opposant à Daisuke.

Mais plus important encore, elle ne comprenait pas pourquoi elle était en retard sur lui, alors qu'ils avaient eu sensiblement le même parcours sur leur entraînement. Plus encore, Daisuke prenait plus de temps libre qu'elle ne l'avait jamais fait depuis qu'on lui avait mis une arme occulte dans les mains. Insidieusement, l'idée qu'elle n'était pas si unique faisait son chemin dans son esprit, et le diamant pensait soudain qu'elle n'était pas si brillante que cela.
De toutes ses pensées, elle n'en montra aucune.

Daisuke s'approcha, visiblement inquiet pour elle, alors qu'elle accrochait ses yeux bleus dans les siens. Lui aussi était mal en point. D'un geste vague de la main, elle déclina la proposition de s'asseoir sur le canapé et elle répondit.

« Ça va, c'est rien. » "Je ne suis pas en porcelaine." asséna t-elle plus froidement qu'elle ne l'aurait voulu. Elle détourna les yeux et commença à se diriger vers la cuisine en boîtant, une main posée sur sa blessure. « On n'a pas fini notre travail. » lui rappela t-elle.

Il fallait encore ligoter tout le monde, assommer de nouveau par précaution ceux qui le nécessitaient, et fouiller le bâtiment pour trouver ces putains de dossiers. Kasca se glissa jusqu'au plan de travail et s'y appuya un instant. Son fléau avait rejoint son pendentif, pour ne plus lui pomper d'énergie occulte. Elle posa son regard sur le gars à la nuque fracassée, qui gisait aux pieds des escaliers. Se battre contre des fléaux c'était une chose. Mais contre l'Ordre Occulte, ils se salissaient plus les mains que de mesure.
Kasca fit glisser ses yeux clairs sur Daisuke, croisant les siens avant de détailler sa silhouette et de faire état de ses blessures à lui.

« Occupe toi de l'étage. » Son ton las présageait de son épuisement. « Je me charge de ceux du bas, et je ne trouve de quoi nous soigner un minimum avant de partir. »

Elle se détourna enfin de lui et farfouilla dans les placards à la recherche d'un truc pour ligoter tout le monde, grimaçant parfois lorsqu'elle devait se hisser sur la pointe de ses pieds. Elle finit par mettre la main sur de la grosse corde, dans le garage de la résidence. Après un léger soupire, Kasca se mit au travail, tirant les uns et les autres en grognant parfois tant ça lui tirait sur ses blessures. Elle finit non sans mal par avoir rassemblé tout le monde au centre de la pièce. Tous attachés, et certains avec une nouvelle bosse sur la tête, elle finit par s'occuper du corps inerte. C'était sa victime après tout. Elle rétablit sa tête dans un angle plus correcte, étrangement vide comme elle tentait de prendre assez de recul pour ne pas se laisser submerger par le fait d'avoir tué quelqu'un. Ce n'était pas le premier. Ça ne serait pas le dernier. Mais c'était toujours quelque chose. Elle dégaina ensuite son téléphone dont l'écran était salement amoché, après avoir rangé son poignard récupéré en bas des escaliers. Elle tapa rapidement un message pour l'assistant, état des lieux et des victimes, compte des occupants de la baraque, etc.

Voilà. Maintenant elle pouvait s'occuper d'elle.
En faisant le tour du salon et de la cuisine, elle s'était rendue compte qu'il n'y avait aucune trousse de secours. Il lui fallait monter à l'étage et elle s'y traina en évitant de s'appuyer sur sa jambe blessée. Ecoutant distraitement où se trouvait Daisuke, elle l'entendait fouiller le deuxième étage, et se glissa jusqu'à la salle de bain. Elle attrapa tout ce qui lui sembla nécessaire pour effectuer les premiers soins sur eux, et en attendant qu'il lui revienne, elle s'occupa de panser ses plaies.

Le désinfectant la piqua atrocement alors qu'elle épongeait son sang avec de multiples compresses. Elle avait quitté son pantalon trempé et moite, qu'elle avait essoré pour retirer un maximum de liquide carmin, pour mieux voir la lacération à sa hanche. Si elle avait trouvé du fil et une aiguille, elle s'appliquait à refermer la plaie. Kasca avait du mieux possible rendu le tout stérile, se lavant les mains d'abord et se préoccupant d'avoir organisé ses instruments sur un champ organisé, posé sur le lavabo. Assise sur un tabouret haut, la jambe tendue, elle piquait sa peau et respirait à un rythme lent, convainquant son cerveau que c'était rien et que ça irait mieux après. L'auto persuasion était efficace. Encore une fois, elle avait vécu pire.
Elle finit par un nœud habile et coupa le fil de suture avant de nettoyer sa peau refermée, et repasser un coup de désinfectant. Au-dessus d'elle, elle n'entendait plus de bruit : Daisuke avait du trouver ce qu'il cherchait et ne tarderait pas à venir.

Kasca réorganisa son espace pour préparer ce qu'il fallait afin d'opérer la même chose sur le Sato. Ils ne pouvaient pas se permettre de rentrer en pissant le sang, et elle avait assurément vu les trois blessures ouverts qu'il portait sur lui. Main, épaule, bras.
Dans le silence, elle profitait de ce moment de calme bienvenu, jetant toutes les compresses imbibées de son propre sang et préparant du nouveau matériel pour pouvoir recoudre son coéquipier.

Champ ouvert, fil de suture, aiguille, compresses déjà imbibées... Kasca vérifiait que tout était opérationnel pour réitérer l'expérience de couture sur peau humaine cette fois sur son coéquipier. Elle se sentait déjà mieux avec sa plaie ainsi refermée. Elle avait pu aussi vérifier l'état de son dos en profitant de l'absence du jeune homme, où de multiples hématomes se trouvaient à cause des deux impacts qu'elle avait subi. Vraiment, elle n'était pas faite pour ça. Elle aurait dû être plus rapide et efficace, plus agile. Elle aurait pu éviter certaines blessures stupides.
Mais bon, d'après le Sato, aussi discrets auraient-ils pu être, ils se seraient faits griller dans tous les cas. Si ça n'avait pas tourné de la meilleur des façons, ce n'était certainement pas la pire au final.
Quand bien même, elle n'était pas satisfaite d'elle-même.

Ruminant ses pensées, assise sur le rebord de la baignoire en attendant que son pantalon s'égoutte encore, Kasca avait perdu son regard sur le carrelage blanc où quelques traces de son propre sang dessinaient des courbes d'un écarlate profond. Elle releva la tête en voyant Daisuke arriver et avant qu'elle n'ait pu arrêter son geste alors qu'elle se levait et tendait le bras pour attraper ce qu'il tenait dans les mains, il le lâcha sur son champ stérile.
Elle allait le tuer.

Non, elle n'avait certainement pas l'énergie pour ça.
Kasca ferma les yeux et les plissa, posant deux doigts sur son front en retenant un éclat de colère et d'agacement. Elle l'écouta parler, en soupirant. Cet homme était vraiment inconscient. Les yeux clairs se posèrent sur lui, et si elle lui répondit, il pouvait décemment entendre que son ton trahissait qu'elle était au bout de sa patience avec lui.

« On va prendre le train et personne ne doit te voir comme ça. Aucune envie d'expliquer au contrôleur pourquoi mon collègue pisse le sang contre son siège. » lâcha t-elle en s'approchant récupérant le registre auquel elle jeta un bref coup d'œil avant de le poser ailleurs.

Tant pis pour la stérilité, ils n'en n'avaient pas pour longtemps à rentrer. Le train c'était beaucoup plus rapide que la voiture. Deux heures, tout au plus. Elle ne cilla pas à sa demande de juste mettre des pansements. La profondeur de ses plaies nécessitait vraiment de se faire recoudre, auquel cas il devrait changer de pansement toutes les dix minutes. Kasca eut un léger mouvement de tête en lui indiquant le tabouret haut.

« Assieds-toi. » lui dit-elle fermement.

L'Umino s'approcha de lui une fois qu'il se fut exécuté. Glissant la chemise hawaïenne sur ses épaules qui avait aussi pris sa part, elle lui retira prestement pour découvrir sa blessure à l'épaule. D'un geste presque délicat, elle fit glisser ses cheveux devant lui pour dégager son dos. De là, elle prit d'abord de l'eau claire et commença à le nettoyer.
Elle avait parfois fait cela avec Katsuro, très peu avec Takeshi tant elle le haïssait. Sa proximité la débectait un peu, mais elle ne pouvait nier son utilité dans leur trio alors il fallait bien le réparer de temps en temps. Ce n'était pas tant parce qu'elle était la seule femme du groupe qu'elle jouait les infirmières, mais parce qu'elle avait été rapidement formée par Shizuka Umino sur ce genre de gestes. C'était toujours utile après tout. Parfois les assistants mettaient du temps à arriver et il suffisait qu'ils ne puissent déplacer un blessé grave et... enfin, elle savait à peu près comment arrêter un saignement, retaper des lacérations (au moins pour que ça tienne jusqu'au retour à l'école), et autres petites manipulations. Takehiko aussi lui avait montré à la dur, qu'avec pas grand chose on arrivait finalement à s'en sortir.
Elle se souvenait parfaitement du jour où son entraîneuse avait fait couler une floppée de cognac sur une plaie profonde, et de la sensation de brûlure intense qui avait suivi. Elle avait quelque chose comme dix ans.

Kasca attrapa une compresse imbibée de solution désinfectante et la passa sur la plaie, sans trop appuyer. Ce n'était pas vraiment la peine d'y aller comme une brute, ils avaient eu leur compte. Elle darda ses yeux clairs sur le reste du dos de Daisuke en même temps. Il avait pris aussi plusieurs impacts qui parsemaient sa peau. Elle y nota aussi quelques marques passées et cicatrisées depuis longtemps, dont l'origine lui était inconnue. Si elle l'avait déjà vu torse nu à l'occasion d'entraînements pour le peu qu'ils en avaient faits ensemble, elle n'avait jamais vraiment pris le temps de l'observer. Pas qu'elle était obligée de le faire, mais elle ne pouvait ignorer que le fait de l'avoir si proche attirait son œil curieux.
Pas besoin de recoudre ici, elle posa juste un pansement, mais profita du fait d'être derrière lui pour appliquer un peu d'anti-inflammatoire en gel dans son dos, comme elle avait pu le faire sur elle.

« Tu as trouvé ce que tu voulais ? » demanda t-elle alors, en glissant ses doigts sur sa peau ecchymosée. « Ça a l'air d'être une sacrée longue liste ce truc. J'espère au moins qu'il y a des informations utiles dedans. »

Après tout, elle n'avait pas pu plonger elle-même le nez dedans. Elle darda ses yeux sur le registre, trop loin pour qu'elle y puisse lire une ligne de là où elle se tenait, finit par faire courir ses doigts jusqu'à la nuque de Daisuke passant sur l'emblème des Sato qui trônait entre ses omoplates en appuyant un peu machinalement, pour détendre les muscles avant de passer devant lui.
Kasca prit sa main et l'observa un instant en la retournant doucement, la tenant du bout d'un doigt. Elle savait d'expérience que les mains, ça faisait super mal. Ça, à part nettoyer et colmater le trou, elle ne pouvait pas y faire grand chose. Elle réitéra le même procédé : eau claire, désinfectant, compresse, bandage. Tout en même temps l'écouta t-elle répondre, avant de froncer les sourcils dans une mine trahissant son agacement.

« On a été mauvais. » asséna t-elle, pour elle comme pour lui.

Et c'était la stricte vérité. Ils auraient pu éviter beaucoup de choses s'ils avaient mieux communiqué, s'ils s'étaient mieux accordés. Elle regrettait qu'il n'en fasse qu'à sa tête, elle regrettait qu'il ne soit pas aussi prudent que Katsuro, ou aussi souple que Takeshi qui avait appris à composer avec leur ressentiment mutuel. Ils avaient été trop brouillon tous les deux, et les choses auraient pu prendre une tournure désastreuse.
Elle ne lui rejetait pas la faute entièrement : elle avait largement sa part d'erreurs dans le déroulé de la mission. Elle aurait pu le rejoindre au deuxième étage au lieu de descendre au rez-de-chaussée, par exemple. Au lieu de ça, elle avait laissé parler ses émotions et elle avait failli s'en mordre les doigts, le plexus explosé dans les poings de Goliath.

Kasca finit par la lacération du bras de son coéquipier. Elle était profonde, et saignait encore, moins abondamment puisqu'il y avait plusieurs caillots de formés finalement. Elle décida de faire au mieux pour ne pas les retirer, lorsqu'elle allait le recoudre. L'Umino commença évidemment par nettoyer son bras. Elle s'était faite de nouveau silencieuse, agenouillée devant lui pour être à la bonne hauteur, sa propre demi-nudité ne la dérangeait pas du tout. Elle vissa son regard sur le visage de Daisuke.

« Tu ne m'avais pas dit que tu étais capable de ça. » Et par ça, elle entendait un kokusen. Il pouvait s'il y prêtait attention entendre la frustration sous les mots du diamant.

Elle ne rajouta rien, gardant pour elle ses pensées intrusives alors qu'elle passait à une désinfection succincte des contours de la plaie pour ne pas déplacer les caillots. Fil et aiguille trouvèrent sa main, et elle piqua dans sa peau sans trembler. Si elle était d'apparence calme, quoique son expression trahissait son agacement, à l'intérieur elle se posait de multiples questions quant à sa légitimité, sa progression et sa propre force.
Il lui fallait redoubler d'effort. Et ça la faisait enrager.

Sa position n'était pas si confortable, mais aucune ne le serait jusqu'à ce que Maaya les soigne. Un genou posé à terre, elle s'appuyait sur sa jambe valide mais sentait très bien les tensions dans la lacération recousue de sa hanche. Kasca non plus ne disait rien, la douleur faisait partie du lot d'un exorciste. Elle était en plus visiblement moins amochée que son coéquipier, en apparence. En piquant dans la peau du Sato d'une main, soutenant son bras avec délicatesse de l'autre, elle se disait qu'il était parfois très imprudent dans sa façon de combattre. Il prenait des dégats pour pouvoir en infliger d'autre, mais à l'état de sa main... Il aurait pu trouver une autre approche, une autre faille où se faufiler pour asséner son kokusen.
Daisuke se fiait beaucoup à son instinct, et peut-être même un peu trop. Mais en le regardant combattre, elle apprenait de lui, et plus ils passeraient du temps ensemble ainsi et plus elle serait à même d'appréhender les faits et gestes du Sato, jusqu'à peut-être prévoir ses prochaines décisions. Du moins, sur le papier, c'était ce qu'ils visaient.
Si elle parvenait à le lire, elle ferait d'une pierre deux coups : d'une part en lui offrant des options qu'il n'aurait pas envisagées si ce n'était pas excuser ses faux pas, d'autre part en se servant de lui comme d'un outil à part entière.

Lorsque Daisuke évoqua l'idée d'enquêter de leur côté au lieu d'attendre les prochaines missions, Kasca le trouva un peu trop impatient. Elle saisissait le fil de sa pensée, mais en agissant ainsi ne risquaient-ils pas de mettre à mal les plans d'au-dessus, ou de marcher sur les plates-bandes d'un autre ? Peut-être qu'il leur fallait rester dans leur cadre. Ils n'avaient pas tous les aboutissants de ce qu'il se tramait à l'intérieur de l'école. Les grandes décisions, ils n'y prenaient pas part. Ils n'étaient que des moyens. Kasca ne répondit rien, gardant ses réflexions pour elle. Elle dénota tout de même un certain acharnement à vouloir passer devant leurs supérieurs. Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi, mais elle n'était pas certaine de le suivre à ce propos.
Pour autant, elle ne fit aucun commentaire pas plus qu'elle ne lui posa de question.

Daisuke rebondit enfin sur leur efficacité bancale du jour. Le diamant darda ses yeux clairs dans les siens en tirant doucement sur le fil pour continuer son travail de suture, avant de regarder ce qu'elle faisait de nouveau.

« C'est pas juste l'entraînement, et tu le sais très bien. » répondit-elle un peu sèchement.

Si elle avait sa part d'erreurs dans tout ça, elle lui reprochait son attitude complètement déplacée. Il avait mis trop de temps à rentrer dans la mission, et sa déconcentration aurait pu leur coûter beaucoup plus. D'autant plus qu'il avait pris son plan à la rigolade et en oubliant le maître des fléaux qui les avait grillés, ça aurait très bien pu tourner au vinaigre aussi à cause de ça. Il avait cette manie de tout prendre à la légère, et cette incapacité à rester concentré plus de quelques instants sur la même chose que Kasca arrivait à se demander comment il avait pu suivre les cours jusqu'à leur troisième année d'études. Parfois, et c'était agaçant, il manquait vraiment d'attention sur ses propos, lui coupait la parole ou passait du coq à l'âne avant même qu'ils aient fini de traiter entièrement un sujet de discussion, une autre preuve que l'esprit du Sato papillonnait sans cesse, et qu'il ne lui prêtait pas assez de considération.

Kasca fit couler le fil dans un nœud de chirurgien en l'écoutant lui faire une leçon sur le kokusen, mine froncée. Ce n'était pas du tout ce qu'elle lui avait demandé et l'entendre lui dire qu'elle en était tout à fait capable elle aussi, que c'était simple puisqu'il s'agissait d'une question de calcul... ça l'énervait encore plus. Était-il aussi doué que ça, par rapport à elle ? Plus il parlait, et plus elle sentait une boule se former dans le creux de son ventre. Elle l'écoutait parler de cette manière condescendante qu'il avait de faire, et tout avait l'air si simple quand on était lui, et elle était là à ramer sur ses entraînements, sur la maîtrise de son fléau, avec un temps de retard sur lui. Et il lui semblait que quoi qu'elle fasse, elle ne pourrait pas le rattraper.
C'en était si frustrant.

Puis elle l'entendit ce "classe S" sortir de la bouche de Daisuke. Le regard polaire se posa instantanément sur le visage du jeune homme, alors qu'elle suspendait son geste de lui appliquer un bandage pour couvrir sa suture. Elle fit fi de sa remarque sur la barrière qu'elle savait générer, son esprit bloqué sur l'information qu'il venait de lui lâcher. Kasca le fixa quelques secondes en silence. Elle fit le lien avec ce qu'il lui avait dit plus tôt lorsque son fléau de compagnie (d'ailleurs il était où lui ?) lui avait fait peur. Il lui avait parlé de la mission pour laquelle il avait été envoyé juste après leur duel, et qui lui avait valu un repos forcé. Elle eut un flash de souvenir du Sato prononçant le prénom de son cousin. L'île d'Ha-Shima.

« ... T'as combattu un classe S ? »

Et elle se sentit encore moins légitime devant lui.
Kasca baissa les yeux sur le bandage et finit d'enrouler la plaie propre, silencieuse et un goût amer dans la bouche. Elle sécurisa son pansement en l'écoutant répondre. Donc il connaissait Toshiyuki. Ça faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas vu. Une part d'elle s'en fichait.
L'Umino examina le bras de son coéquipier. Si elle ne se trompait pas, c'était toujours le même qui prenait. Les plaies bandées, elle ne craignait plus trop de lui faire mal, pour autant elle se permit d'en vérifier l'état articulaire en l'étendant, évitant de toucher sa main endolori. Kasca passa ses doigts au niveau du coude, alors qu'elle tournait le bras de Daisuke sur lui-même dans des positions physiologiques adéquates. Il avait encore bien souffert aujourd'hui.
Les yeux clairs s'accrochèrent quelque peu au bigarade de ceux du Sato alors qu'elle se relevait devant en tenant toujours son bras tendu. Pour détourner son attention de ce qu'elle faisait et l'occuper, elle le relança sur le sujet de conversation.

« Toshiyuki est effectivement mon cousin. Mais ça fait des années que je ne lui adresse plus la parole. » Et des mois qu'elle ne l'avait pas vu.

Le moulin à paroles ainsi relancé, elle put continuer ses manipulations. Elle se souvenait de ce que lui avait appris Shizuka, et elle avait eu de nombreuses fois l'occasion de s'exercer sur ses anciens coéquipiers ou sur elle-même. Daisuke comme elle pouvaient être considérés comme des athlètes quelque part, et si elle avait toujours fait attention à la mécanique de son corps, il était tout naturel qu'elle fasse de même pour lui. Il fallait surtout s'assurer que son outil ne commençait pas à rouiller, n'est-ce pas.
Kasca glissa une main vers son épaule, l'autre s'étant accrochée au poignet du Sato, alors qu'elle l'écoutait distraitement et l'encourageait de "Mmh." légers, et de subtils hochements de tête. Sa paume calée dans le creux entre sa clavicule et l'os de son bras, elle tira d'un coup sec, rapide et court provoquant un "poc" sourd. Si Maaya pouvait soigner les blessures en rentrant de mission, nul doute que Daisuke comme elle-même avait besoin d'un suivi plus régulier. Tous les mouvements qu'ils pouvaient effectuer étaient propices à des déplacements de leur ossature, de leur musculature ou de leurs fascias. Kasca avait beaucoup lu pendant quelques mois à ce sujet, poussée par le besoin de se débarrasser de quelques douleurs chroniques.
Elle réitéra quelques gestes effectués au préalable sur le bras du Sato, pour vérifier que la tension était partie, puis le lâcha et se dirigea derrière lui vers la baignoire où était suspendu son pantalon qu'elle enfila.

« Tu devrais utiliser ton autre bras plus souvent pendant un temps. T'avais l'air ambidextre, mais sans aucun doute t'es plutôt droitier finalement. » lui dit-elle en se tournant vers lui.

Il était temps pour eux de dégager d'ici, maintenant.

Kasca reboutonnait son pantalon en écoutant son coéquipier réfuter ce qu'elle venait juste de dire. Un éclair froid traversa ses pupilles alors qu'elle les dirigeait sur lui, le visage fermé. C'était quelque chose qui l'agaçait vraiment chez lui, cette manie de la contredire sans arrêt. Il faisait ça pour la déstabiliser, c'était certain, et donc elle n'y répondit rien, se contentant donc de lui jeter un regard glacial.

Par contre, ne lui avait pas échappé le sien qui s'était fait déplacé. Kasca ne le prenait pas vraiment mal, au contraire. Si elle ne s'en sentait pas gênée, c'était parce qu'elle savait maintenant l'effet qu'elle lui faisait. Les hommes avaient leurs faiblesses, et qu'il tombe aussi facilement dans des travers tribaux comme ceci, c'était tout à son avantage. Elle en tirerait partie le moment venu. Et finalement, elle dépeignait dans sa tête un nouveau trait du portrait du Sato, pas bien reluisant.
Elle s'entêtait à s'accrocher à sa rivalité à sens unique avec lui, persuadé qu'il finirait tôt ou tard par dévoiler ses réelles intentions. S'il était toujours avenant avec elle malgré sa tendance à la contradiction naturelle et certains de ses comportements arrogants, elle ne se décidait pas à lui faire confiance. Pour autant, ils passaient la majorité de leur temps en journée ensemble à présent. Elle le fuyait encore lorsqu'elle le voyait sur le toit avant qu'elle n'ait pu s'y installer, elle se réfugiait dans sa chambre pour couper court aux interactions sociales le soir, mais comme ils étaient dans la même classe et destinés à être envoyés en mission ensemble régulièrement, elle n'échappait pas à ce que son emploi du temps tourne autour du Sato.

Kasca le suivit dans le couloir lorsque, toujours aussi vif malgré ses blessures, il se décida à aller se servir dans la maison pour s'habiller en vue du trajet retour. L'Umino attrapa machinalement les documents qu'il avait oublié, et s'engagea derrière lui dans les escaliers en clopinant un peu.
Si Daisuke se remit à parler énormément, elle l'écoutait pourtant cette fois. Du moins jusqu'à ce qu'une information l'immobilise au milieu des marches. Le Sato n'eut pas l'air de se rendre compte qu'elle ne le suivait plus. En fait, elle avait fait demi-tour et rejoignait le rez-de-chaussée.

« Semi-classe 1... » répéta t-elle pour elle-même dans un murmure sifflant.

Le diamant s'arrêta dans la cuisine et s'appuya sur le plan de travail, dissociant. C'était pire que ce qu'elle s'imaginait, finalement. Sa tête trouva refuge dans ses mains alors qu'elle perdait ses doigts dans sa chevelure neige. Il se fichait vraiment d'elle.

Voilà, c'était tout. Il jouait avec elle. Il savait pertinemment qu'il était le supérieur et il lui avait laissé croire qu'elle leadait. Il se permettait des remarques sous couvert qu'elle n'en savait rien, bien trop arrogant pour être franc et honnête. Et cet écart qui se creusait entre eux. Kasca soupira longuement et ferma son poing sur le plan de travail en marbre. Depuis son retour de l'île en plus, donc il l'était déjà officieusement lorsqu'ils étaient sortis dans Tokyo. Tout ça, c'était du bullshit. Tout était prétexte pour la tester sans arrêt, et il cherchait simplement à l'humilier. Elle ne voyait pas d'autres raisons qui expliquerait son comportement et pourquoi il se permettait de lui lâcher l'information ici et maintenant. En plus avec son air condescendant là, dans ce sourire qu'il lui faisait tout le temps... Insupportable.

Kasca pianota sur la pierre froide avant de se redresser et d'ouvrir le réfrigérateur. Il n'y avait plus grand chose là-dedans, mais elle jeta son dévolu sur du soda en cannette, et en posa une deuxième sur le plan de travail tandis qu'elle décapsulait la sienne, franchement dégoûtée. Elle n'arrivait plus à chasser la sensation terrible qui lui cisaillait le ventre. L'horrible état de fait qu'elle faisait honte à sa famille, actuellement, de se faire dépasser par un Sato. Comment c'était seulement possible alors qu'elle se buttait à s'améliorer chaque jour et que lui se la coulait douce ? Etait-ce cela, le 80% du potentiel décidé à la naissance ? Etait-ce parce qu'elle était naturellement moins douée que lui ?
Le constat lui faisait mal, si bien qu'elle ne réussit même pas à boire une seule gorgée de sa boisson. Elle en avait presque la nausée.

Kasca eut un nouveau soupire et cette fois, ce fut simplement un réflexe pour tenter de réguler ses émotions. Elle décida d'essayer de se changer les idées et commença à fouiller dans les placards à la recherche de nourriture en prévoyance du trajet retour.
Il y avait assez de snacks et d'autres trucs. Ils mangeaient vraiment mal ici, mais c'était ce dont elle avait besoin. Daisuke ne ferait surement pas la fine bouche. Il n'avait pas intérêt en tout cas.
Elle trouva des fruits sando emballés, et s'en empara pour elle-même, les fourrant dans un sachet. Beaucoup trop bon pour qu'elle les partage avec lui.