En dehors de cette vie à l'énergie originale dans laquelle la nippone a grandi, ses habitudes restent celle d'une fillette, puis d'une adolescente et enfin d'une jeune femme ordinaire, d'une humaine tout ce qu'il y a de plus classique. Dans ses aptitudes à côtoyer des milieux chargés de monde, on y retrouve majoritairement des ambiances calmes. Les coffee-shops dégageant le parfum herbacé du thé matcha se situent en tête de liste des endroits où il est probable de l'apercevoir lors de ces temps libres, suivi de près par les bibliothèques, les coins de nature et enfin les échoppes de tissus et autres merceries. Comme pour échapper involontairement au chaos qui lui fait face, elle trouve refuge près de petites choses fort insignifiantes aux yeux du monde à mille à l'heure. Nous pourrions croire que c'est sa façon à elle, d'économiser son énergie afin de la décupler lorsque le besoin est. Elle ne s'échauffe jamais face à des bagatelles ; mais devant un fléau, elle n'hésite jamais très longtemps. Même si son corps fatigue et que la difficulté est grandissante, elle repart généralement de plus belle.

Seulement, de manière subsidiaire s'installe au fond de ses entrailles, une croyance qu'elle ne peut écarter ; cela lui paraît de moins en moins possible de vivre sans les images putrides des pires horreurs de l'espèce humaine. Entre ses lectures et recherches sur divers sujets conforment aux yeux de tous, se cache depuis quelques lunes, une boulimie étrange pour la lubricité et autres penchants obscures de l'humanité. À l'école d'exorcisme, on apprend un peu de théorie, beaucoup de pratique quant à l'activité des fléaux et leurs origines, mais rare sont les études de cas particuliers qui amènent à diverger d'opinion ou à creuser le sujet plus en profondeur. L'ordre occulte. Un groupement à l'histoire sordide de tuerie, de combats remplis d'amertume et de ressentiments. Si l'écriture de cette sorte de souvenir malheureux peut heurter bon nombre de confrères, tant elle semble démesurée face à l'ignorance de ces derniers, Suri, quant à elle, ne peut délibérément pas croire sur parole en de telles accusations. L'impétuosité des membres de ce groupe ne naquit pas d'une simple rage sans raison il y a maintenant plusieurs dizaines d'année, mais bel et bien du rejet. Lors de ses plongées dans les récits sur le sujet, la jeune femme ne doute plus vraiment. Impossible pour elle de ne pas s'imaginer à la place de cette femme, Aya Asakawa. Inimaginable pour elle de savoir qu'autrui, semblable pourtant à la plupart des exorcistes au départ, fût la comédienne d'une tragédie dramatique, conduite par des civils ordinaires. Comédienne que dis-je, torturée, malmenée, dépecée de tout amour propre, par sa propre existence. Si l'avenir la conduira à une souffrance telle une tornade de la plus haute catégorie, ce n'est que de leurs agissements dont elle hérite désastreusement les conséquences.

Bien du monde ne retiendrai qu'une vulgaire et gratuite intention de décimer un village mais la source n'est pas à nier, la mauve l'a bien enregistré désormais. Son regard change, les journées sont différentes. Ces pensées enivrantes reviennent régulièrement hanter son quotidien, surtout depuis la perte de sa mère. Difficile de l'affirmer, mais cette histoire de maladie mortelle retira assurément un bon morceau de son cœur, arraché à pleine main. Les bordures à vif de son organe vital ne se précipite pas d'ailleurs, pour trouver le chemin de se rejoindre et de refermer enfin cette plaie.Depuis ce jour d'automne, Suri développe vraisemblablement une accoutumance à la mélancolie. Son sourire est véritable la plupart du temps, lors des échanges et autres moments partagés. Sa hargne est grandissante, lorsqu'elle est face à un monstre d'émotions. Sa pureté en revanche, se trouble. Non pas qu'une ignorance quelconque face au monde ravagé dans lequel elle respire soit présente dans sa construction, il s'agirait plutôt de son optimisme. Son mur de l'espoir ; Celui d'avancer dans le bon sens, de se battre pour le bien de l'humanité, de se laisser emporter dans cette danse convenable, voit nonchalamment ses briques se fendre. Les petits morceaux aux arêtes tranchantes glissent non sans mal, le long de son cheminement. Elle n'en est encore pas réellement consciente mais il ne lui manque plus que quelques fragments d'histoires, quelques rencontres, avant de faire le grand plongeon. Un océan de possibilités qui risque bel et bien de lui retourner l'esprit et de l'emmener jusqu'au large, nager à contre-courant de son éducation droite. Être adulte, c'est aussi savoir remettre en question beaucoup de ses acquis et construire sa propre aventure, sa quête de sens.