Izumi emboîta le pas à Kenshin, le suivant sur le terrain vague avec un sourire en coin. Elle s’attela aussi à déblayer quelque peu les débris qui y trainaient mais fit bien attention de laisser une sorte de sac poubelle plein au sol. Elle ne savait pas ce qu’il contenait mais si tout se passait comme prévu, c’est son adversaire qui aurait à le découvrir de lui-même. Et voilà justement que celui-ci semblait vouloir lui offrir l’initiative.

“Réfléchit ET galant ? Cet homme a-t-il un défaut ?”

Izumi laissa échapper un ricanement qui disait tout de ce qu’elle pensait de la générosité du maître des fléaux, mais se dit qu’elle n’allait pas la gaspiller non plus. Elle désactiva sa technique, ce qui permit à son corps de retrouver une chaleur toujours très élevée, mais déjà plus réaliste, et un silence s’installa soudain sur le terrain vague alors que le léger grésillement qu’elle produisait en évaporant les gouttes depuis quelques minutes cessa de faire effet. Comme Kenshin, elle se débarassa d’une pièce de vêtements en la qualité de sa veste, ne gardant en guise de haut qu’un long crop top surmonté d’une sorte de brassière rigide. Elle se plaça à quelques mètres de Kenshin, bras et jambes tendues, sans adopter un semblant de garde.

“On y va ?”

Sans attendre de réponse, elle se propulsa en quelques foulées sur son flanc, où se trouvait le sac poubelle précédemment disposé. Elle l'éjecta d’un coup de pied dynamique qu’elle voulait semblable à un coup franc de football, puis s’élança à sa suite, direction Kenshin. Tout en se rapprochant, elle réactivait doucement sa technique, sans l’emmener dans des extrêmes qu’elle jugeait a priori non-adaptés à un duel de ce calibre. Loin donc de faire trembler l’air et s’évaporer la pluie, la chaleur augmentait pour l’heure son explosivité et sa souplesse, ce qui lui permit de dépasser son projectile, arrivant donc face à un Kenshin positionné, par rapport à elle, de trois quart. Elle commença à lever une jambe, donnant l’impression qu’elle s'apprétait à l'envoyer derrière le sac poubelle au moment où il atteindrait Kenshin, avant de finalement frapper au desuus du genou de son adversaire dans le but premier de gêner une potentielle esquive.

Le second objectif de ce coup était en fait de préparer le prochain, et la délinquante ne se fit pas attendre. Prenant appui à la fois sur ses mais et, avec sa première jambe, sur la hanche de l’adversaire, Izumi propulsa son second pied derrière la tête de Kenshin, répliquant ainsi une version plus brutale et moins académique d’un Don Chan vietnamien. S’il manquait assurément de forme et de placement, Izumi avait bon espoir que l’élan et la force surhumaine dont elle disposait lui permettrait d’obtenir des résultats supérieurs.

Son enchaînement initial envoyé, la délinquante s’écarta d’un petit mètre, s’assurant de rester à portée sans se mettre en danger immédiat. Si elle pouvait se fier à ce qu’elle avait vu dans le konbini à l’origine de leur rencontre, alors Kenshin était probablement moins efficace au corps à corps qu’à distance. C’est là qu’elle devait appuyer.

La résilience de Kenshin avait de quoi surprendre. Pour un homme dont le sort semblait reposer sur les entraves à distance, il s’avérait étrangement doué au corps à corps, à tel point qu’il parvint à stopper avec succès l’ensemble du premier assaut d’Izumi par un savant mélange d’obstructions et d’usage raffiné de ses capacités occultes. Une fois la délinquante écartée, le maître des fléaux se permit même de manifester son étonnement quant à ce qu’il avait cru prendre pour de la condescendance de la part de son adversaire.

“Je ne te pensais clairement pas à ce niveau, c’est sûr, mais ne te relâche pas trop vite.”

Ce n’était de toute façon visiblement pas dans les plans du morose Kenshin, qui s’élança à son tour au corps à corps d’Izumi, prêt à en découdre. D’une rotation du buste, elle esquiva son premier coup, non sans peine en raison du drôle de rythme induit par cette technique aussi mythique qu’inaccessible au commun des mortels. Le déséquilibre ainsi induit l’empêcha cependant de se subtiliser à la poigne de fer qui vint l'agripper avec bien peu de manières, réduisant ainsi  considérablement ses possibilités d’esquive du coude qui fusait vers sa mâchoire. Un inquiétant sourire sur le visage, elle décida alors de faire plonger sa tête en direction du coup, l’interceptant avec succès au milieu du front avant qu’il n’accumule de réel élan.

D’aucuns auraient dit que le jeune fille s’était fait plus de peur que de mal, mais c’était là oublier à quel point elle était dans son élément, à quel point la peur n’avait ici aucune emprise sur elle. Le fin filet de sang qui avait commencé à s’écouler le long de son front s’évapora instantanément dans une brune carmine, alors que le sourire d’ivoire d’Izumi s’étirait en dessous comme un croissant de lune. D’une main, elle agrippa celle de Kenshin qui était déjà refermée sur son haut de sorte à la maintenir en place alors qu’elle y infusait, en se retenant tout de même, une chaleur croissante. Son adversaire ayant déjà fait usage de ses deux membres supérieurs, Izumi se doutait sans peine que la prochaine attaque viendrait d’en bas, et elle fit bien, car voilà que le genou du maître des fléaux semblait se précipiter vers sa hanche pour lui infliger une béquille en bonne et due forme.

“Tu bouges bien, Kenshin !”

Avec un contrôle dont rien dans l’attitude extatique d’Izumi n’indiquait qu’elle en était toujours capable, la délinquante se saisit du second avant-bras de Kenshin, puis joua sur sa taille inférieure et ses prises pour se recroqueviller dans les airs. S’assurant d'émettre de la chaleur en continue par ses deux mains de sorte à monopoliser l’attention adverse sur le haut de son corps, Izumi prit appui sur le genou montant du maître des fléaux avant de se propulser en hauteur pour que son propre genou vienne percuter avec explosivité le menton de Kenshin.
Relâchant les avant-bras de son adversaire de sorte à ce que le coup le fasse bien reculer, elle s’engagea à sa poursuite dès l’instant où elle retoucha le sol. Une fois à proximité, elle rouvrit la confrontation avec un jab, suivi d’un faux direct qu’elle envoya intentionnellement au-dessus de la cible. Son point droit derrière l’adversaire, elle plongea en avant, joignant ses mains derrière le dos du maître des fléaux pour le ceinturer de l’épaule au buste et l’amener au sol avec un tacle.

“Voyons comment tu t’en sors ici.”

Kenshin avait clairement montré qu’il était plus que capable de s’en sortir en striking, alors autant constater maintenant ce qu’il valait en lutte.

Quel style agaçant. Entre son aisance plus que suffisante pour le combat rapproché et son sort inné, Kenshin parvient à se prémunir contre près de 100% des attaques. Pas de quoi paniquer non plus, car il ne s’agit ici que d’un duel amical où tous deux se retiennent, mais cette manifeste invulnérabilité reste le signe de capacités de combat très élevées. Peut-être trop aux yeux d’une Izumi qui n’a décidément toujours pas pris l’habitude de ne pas être la plus dangereuse dans la pièce. Ce duel, plus que tout conflit plus sérieux auquel elle a pu participer au sein du monde occulte, lui fait doucement réaliser que ses priorités lors des affrontements à venir devront changer. Il n’était aujourd’hui plus question de savoir comment s’amuser au mieux, mais bien de s’assurer de pouvoir survivre et, lorsque la chose s’impose, de tuer.

Constatant donc son incapacité à porter de réels coups impactants, Izumi remarque avec plaisir que sa prise fait mouche. Le maître des fléaux serait-il un mauvais lutteur ? Non, pas vraiment. Au prix d’un petit effort physique, Kenshin se libère de l’étreinte de son adversaire, la repoussant des deux paumes alors qu’elle interpose son avant bras. Consciente qu’elle n’a aucun intérêt à se démener dans cette situation, elle laisse son taciturne sparring partner la repousser pour engager sa propre roulade et se retrouver sur ses jambes au même moment que ce dernier.

Désormais de nouveau face à Kenshin, elle affiche une moue ennuyée alors qu’un long et audible soupire s’échappe de ses lèvres. La frustration qu’elle expérimente est double, car si elle déplore le fait de ne pouvoir utiliser son sort à plein régime, elle s’agace aussi de savoir que la situation est la même pour son adversaire. Qu’il s’agisse d’une mesure de fairplay ou de sécurité, il y avait quelque chose d’agaçant à savoir qu’il leur faudrait un combat à mort pour connaître le fin mot de l’histoire.

“J’te propose qu’on s’arrête là, mon ptit Kenshin ! Quitte à faire un sparring technique sans sorts ou presque, autant le mener au chaud sur un tatami et pas dehors dans la pluie et la boue. Tu danses bien, mais ça va nulle part, cette histoire.”

Gardant toujours son collègue dans son champ de vision, Izumi s’approche pas à pas de sa veste, laissée précédemment au sol, ainsi que du haori de Kenshin. Elle enfile la première, lui jette le second.

“T’en dis quoi ?”